Doit-on comprendre une œuvre pour l’apprécier ? Je ramasse les copies dans trois heures… ou alors, je suis sympa et je vous donne une piste de réflexion. On fait comme ça ? Bon, ok.
Mais d’abord, qu’est-ce que la bioéthique ? Vous ne comprenez rien à ce qui se passe et en même temps un petit peu quand même, sans arriver vraiment à formuler ça de manière cohérente ? Je vous comprends, car c’est la sensation que j’ai eue en jouant à Phoenix Springs et j’ai adoré, au premier degré, et je me fiche que le jeu ne soit pas parfait ou qu’en fin de compte, je ne sois pas sûre d’avoir compris l’histoire, voire même l’univers dans lequel elle se déroule.
Comment c’est beau
Je sais, normalement, on met les formes dans ses intertitres, mais je n’y peux rien, c’est beau. Chaque décor, chaque lieu dessiné pourtant à l’économie de couleurs est extrêmement vivant et évoque paradoxalement un tableau, mais un tableau comme le tableau dans Sacrées Sorcières de Roald Dahl, si vous savez, celui dans laquelle la petite Solveg est emprisonnée à jamais par une sorcière. J’ai des traumatismes d’enfance hyper spécifiques. Car visiblement, et en même temps, c'est ce qu’on attend du genre néo-noir, on sent bien que ce n’est pas la fête tous les jours (jamais) dans le monde de Phoenix Springs. On ne saura jamais vraiment ce qui s’y est passé, en tout cas pas lors de la découverte du jeu. Mais on sait qu’il s’est passé quelque chose, Iris parle de nombreux changements de régimes, d’objets et livres interdits. Mais Iris est-elle une narratrice fiable ? Même si je le voulais, je ne saurais pas comment répondre à cette question, il faudra donc décider vous-même.
Qu’est-ce qu’on fait là au fait ? On cherche le frère d’Iris, c’est de ça qu’on se rappelle dès la première minute du jeu. On ne sait pas vraiment pourquoi on le cherche, mais on le cherche. D’ailleurs, elle le dit, c'est son leitmotiv : « c’est la nuit où je retrouve mon frère ». Alors on cherche, grâce à une carte mentale. Iris cherche des objets ou des informations en associant des idées, elle cherche le nom de son frère dans ses archives, le sujet d’un livre dans une bibliothèque, tout en narrant d’une voix monotone ce qu’elle découvre, et en résumant de manière tout aussi monotone les échanges qu’elle a avec ses interlocuteurs·rices. On n’entendra rien d’autre que la voix d’Iris, les bruitages et la musique. D’associations d’idées en associations d’idées, on se retrouve sur la bonne piste, qui nous emmène ensuite encore plus loin. À Phoenix Springs, justement. Une magnifique oasis dans un désert de sable abrasif dans lequel rien ne semble subsister sauf une gare et une échelle. Une magnifique oasis remplie de malaise où personne ne répond jamais vraiment aux questions, allez même savoir s’ils les entendent.
Comment c’est cryptique
Oui, je m’obstine, mais que voulez-vous, c’est beau, mais cryptique. Phoenix Springs n’explique rien, vraiment rien, même pas comment ouvrir la carte mentale. Il faut aller vérifier dans le menu si on ne trouve pas. Il n’explique pas ce qu’on fait là, il n’explique pas son univers, il n’explique pas vraiment sa fin non plus. Il n’explique pas, il montre. Il montre des lieux, des environnements, des détails, il dit, les pensées d’Iris, ses découvertes, ses intuitions et nous laisse faire le reste. Cliquer jusqu’à ne plus savoir quoi tester, se sentir idiote parce qu’on avait oublié quelque chose d’évident ou au contraire se demander comment on était censé comprendre ça. Mais conscient de cet état de fait, le menu propose un lien vers une solution complète et gratuite. Comme pour Grunn, j’avais peur d’être perdue dans Phoenix Springs et, de fait, Grunn est beaucoup plus intuitif, pas en termes de gameplay mais en termes de motivations et d’actions à entreprendre. J’ai donc été perdue dans Phoenix Springs au point d’utiliser la solution dans toute la dernière partie. Et pourtant, j’ai adoré et dans sa dernière update avant la sortie, le studio indique qu'il est prévu pour être rejoué : « Il y a peu de chances que vous débloquiez plus d’une poignée [d’achievements] lors de votre première partie […] ». Je suis un peu circonspecte, mais curieuse. Une fois que j’aurais eu le temps de bien digérer ma première expérience, j’envisage de le relancer pour voir ce que je peux découvrir avec les connaissances acquises lors de la première partie.
Est-ce que ça ne serait pas un peu prétentieux ton truc, BatVador ? Non ? Peut-être, c’est à l’appréciation de chacun·e, bien sûr, mais je pense quand même que non. Peut-être que si j’avais tout compris, je serais d’un autre avis, mais dans l’état actuel des choses, je pense que non. D’abord parce qu’Iris analyse, résume et simplifie, elle cherche des réponses, à une question ténue mais concrète qui a lien à son frère, pas le sens de la vie. Elle ne tergiverse pas, elle avance. Ensuite, et c’est ainsi que je l’ai vécu, parce que le créateur du studio à l’origine du projet avait visiblement une idée précise de son univers, de là où il voulait aller, mais semble avoir décidé de le livrer sous une forme qui permette au joueur de l’interpréter à sa manière ou à la rigueur pas du tout et d’apprécier l’aspect enquête sans être plombé par trop de considérations externes. Phoenix Springs était au départ pensé pour être un film, ce qui explique d’ailleurs cet aspect visuel impressionnant. Le gameplay, présent mais très épuré, souligne quant à lui une bonne connaissance des mécaniques des point and click et jeux d’aventures (une influence dont le créateur de Calligram Studio, Jigmé Özer, parle dans cet article).
Pour conclure et être honnête, c'est faux de dire que je n'ai rien compris, j'ai compris et ressentis beaucoup de choses. Je ne suis juste pas sûre d'avoir saisi précisément le propos des créateurs et je m'en fiche, parce que la façon dont je l'ai vécu m'a pleinement contentée.
Phoenix Springs a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Faut-il comprendre une œuvre pour l’apprécier ? Je dirais donc que non, parce que l’appréciation passe par bien plus de biais que ça. Ça passe par les sensations visuelles et auditives, par l’ambiance et l’immersion, mais aussi par les possibilités offertes par le jeu vidéo, le gameplay, l’interactivité et ce qu’elle apporte à l’univers. Si Phoenix Springs reste assez cryptique, il n’en reste pas moins magnifique, agréable à jouer et maitrisé en termes de gameplay. C’est possible qu’il ne plaise pas à tout le monde, mais si la bande-annonce a retenu votre attention, foncez.
Les + | Les - |
- C'est vraiment très très beau | - Et aussi assez cryptique |
- Un gameplay discret mais efficace | - Léger manque de précision dans les clics par moment |
- L'ambiance |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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