Cela devait bien finir par arriver un jour : après presque une décennie de bons et loyaux service, la 3DS est sur son lit de mort, entourée de ses proches, parmi lesquels l’indéfectible Tonton Atlus. Persona Q2 : New Cinema Labyrinth est, du moins jusqu’à un éventuel retournement de situation, le dernier jeu annoncé sur la portable de Nintendo, portages tardifs de petits jeux indés mis à part. Un départ à l’image de la vie de la 3DS, pleine de projets annexes, de RPG à l’ancienne, de spin-off curieux et nichés, et d’une console qui s’éteint avec une ludothèque assez magistrale dont plus de 40 titres dépassent le score de 85 sur Metacritic. Synthèse de cet esprit qui a porté en occident jusqu’aux plus étranges des spin-off des plus confidentielles des franchises typiquement japonaises, Persona Q2 est une bonne façon de dire au revoir.
Quand le premier Persona Q voit le jour en 2014, la série d’Atlus n’a pas encore le retentissement international que lui donnera Persona 5 lors de sa sortie sur PS4. Donjon RPG hardcore mettant en scène de manière volontairement kitsch les personnages des épisodes 3 et 4 de la franchise et surfant sur la petite hype de Persona 4 The Golden (le meilleur jeu de la PS Vita, vérité indiscutable), il avait été salué comme un spin-off honorable de la franchise avant de tomber dans l’oubli et les bacs à soldes. Quelques années plus tard, alors que les aventures des Phantom Thieves se sont écoulées à presque deux millions d’exemplaires et ont même reçu leur propre adaptation animée, Persona 5 est devenu le jeu le plus vendu de l’histoire d’Atlus, et se retrouve complété et enrichi par de nombreux remakes et épisodes bonus. Il était donc logique qu’une suite à Persona Q finisse par voir le jour. Réunissant pas moins que les personnages de Persona 3, Persona 3 FES, Persona 4 et Persona 5, ce tout frais Persona Q2 : New Cinema Labyrinth vous propose d’explorer des donjons étranges et brutaux sur fond de décors de cinéma et, crossover oblige, de faille dimensionnelle et temporelle.
S’il existe, c’est d’être fan
Le nombre prodigieux de jeux tournant autour des franchises liées à Shin Megami Tensei ainsi que la communication absolument frénétique mise en place par Atlus pour faire, depuis plus d’un an, la promotion de ce Persona Q2 nous ferait presque oublier au moment d’insérer le jeu dans le dock plein de poussière de notre vieille 3DS -bon courage pour retrouver le chargeur oublié dans un sac de câbles- qu’avant d’être un spin-off du spin-off de la série d’Atlus, ce jeu est avant tout un jeu Etrian Odyssey.
Nous sommes donc face à un reskin assez évident du concept décliné au rythme de quasiment un épisode par an depuis douze ans par Atlus : depuis un hub central, vous explorez un donjon en vue à la première personne, et vous mourrez beaucoup parce que la moindre erreur vous enverra ad patres. Une approche qui se prête bien à l’ADN traditionnel d’un Megami Tensei, mais assez mal à l’univers beaucoup plus accueillant de Persona. Qu’à cela ne tienne : Persona Q2 vous propose dès le début une possibilité d’ajuster la difficulté à la volée, sachant qu’au niveau « normal », vous pouvez déjà vous faire démolir en deux tours par des mobs un peu énervés. Mais si vous n’êtes là que pour l’histoire, vous aurez tout de même le plaisir de trouver une difficulté si simple qu’elle vous permet de rouler sur le jeu à toute vitesse. On ne vous jugera pas, car ce qui différencie un Persona Q2 de n’importe quel autre jeu Etrian, c’est qu’il met le paquet sur le fanservice.
Car ne nous mentons pas. Pourquoi on est là, au fond, si ce n’est pour voir l’héroïne de Persona 3 FES interagir avec son double masculin de Persona 3, ou pour voir le chat Morgana envoyer des punchlines à Teddie la mascotte de Persona 4 ? Et si c’est ce que vous cherchez, vous serez servis : Persona Q2 c’est un véritable dégueulis constant de dialogues uniquement orientés fanservice. Une sorte de récit de fan improbable aux dialogues saturés de références aux diverses aventures vécues par les personnages miraculeusement projetés dans le même cinéma labyrinthique hanté par les esprits d’anciens antagonistes vaincus (il faut bien un prétexte pour que tout ce beau monde parte à l’aventure). Une diarrhée verbale qui vous enchantera ou vous irritera rapidement le colon selon ce que vous aimez en terme de diégèse vidéoludique, et en ce qui me concerne, le vocabulaire lié à l’univers des maladies du système digestif présent dans ce paragraphe vous fera aisément déduire ma position. Mais peu importe, c’est un jeu pour les fans, et les fans seront servis : si l’histoire principale n’est pas très intéressante, elle présente son lot de rebondissements, et tous les personnages de la franchise y ont leur moment de gloire.
Le principal écueil, c’est que cette volonté constante de fourrer du lore Persona comme un danois fourre de la crème au beurre dans une pâtisserie, donne un début de jeu excessivement lent (comptez trois bonnes heures de blabla avant de rencontrer le moindre personnage qui ne soit pas un personnage de Persona 5), et des tutos étalés en longueur qui lèvent trop lentement le voile sur les différentes possibilités du gameplay. En résulte un premier donjon assez pénible si on n’accroche pas au charme discret des coups de coude appuyés à destination des fans.
Plus qu’un Dungeon Crawler, moins qu’un Persona
Certes, les textures baveuses et pixelisées de la 3DS, qui n’étaient déjà pas à la pointe de l’esthétique moderne en 2011, commencent à sérieusement piquer les yeux. Mais Atlus, qui a été un gargantuesque pourvoyeur de jeux sur la portable de Nintendo, maîtrise la machine sur le bout des doigts. Au regard de ce qu’on peut attendre d’un jeu du genre, Persona Q2 est beau, l’univers de la franchise est bel et bien là, le redesign de dizaines de personnages en version kawaii fonctionne à merveille, et si les donjons sont, comme d’habitude chez Etrian et compagnie, assez répétitifs, la variété du bestiaire et le souci du détail du game design poussent à avancer toujours plus loin.
On retiendra tout particulièrement la musique pop et naïve signée Atsushi Kitajoh, compositeur attitré des épisodes secondaires de la série. En reprenant les grands thèmes de Shoji Meguro pour les rendre plus mignons et un peu comiques (le ton du jeu est plutôt léger), l’OST fait un travail admirable tout en sachant se faire oublier quand c’est nécessaire.
Le gameplay habituellement si lourd de la série Etrian Odyssey laisse place ici à des mécaniques assez fluides, presque élégantes (à quelques sous-menus redondants près), qui transposent assez bien le gameplay issu de la série Persona : capture et fusion de monstres, nécessité de maîtriser les forces et les faiblesses de chaque adversaire du bestiaire, combats en plusieurs phases, tout est là, et pour une fois dans ce type de jeu, les combats ne sont ni trop nombreux, ni trop assommants. A moins de jouer dans un mode de difficulté prévu pour la souffrance, on ne fait presque jamais de leveling, et si le niveau de difficulté reste élevé, il est assez aisé de revenir au camp de base pour sauvegarder.
On regrettera tout de même que les efforts d’accessibilité n’aient pas été poussés jusqu’au bout : la nécessité de tracer, à l’ancienne, la carte des donjons à la main peut certes être désactivée par une option (bien planquée), mais pour le fanatique qui souhaiterait jouer le jeu, force est de constater que l’interface au stylet est toujours assez maladroite, et pourra décourager les plus fins cartographes dès qu’ils essayeront de faire plus que tracer les murs des donjons. Mais ne faites pas ça. Faites-vous plaisir. Activez l’automap. Elle est au fond du menu « config » sur l’écran d’accueil. Et retenez que si jamais Persona Q2 n’arrive pas à la cheville de la série dont il s’inspire, il est en revanche l’un des meilleurs épisodes de la série Etrian Odyssey qui n’a plus qu’à passer sur Switch pour entrer de plein pied dans la modernité.
Je ne suis pas certain que ce jeu soit pour vous.
Écrire sur les jeux vidéo, a fortiori pour un site à l’audience certes croissante mais loin de toucher des millions de lecteurs, c’est toujours se poser cette question : « est-ce que ce jeu va vous intéresser ? » Ou, plus prosaïquement « est-ce que ce jeu vaut que vous ressortiez votre 3DS du formol et 40€ de votre argent de poche ? » Pour les jeux incontestablement excellents, c’est facile. Je peux me contenter d’un bon gros « allez-y » en me disant que je n’ai pas tant mauvais goût que cela. Pour les jeux effroyablement mauvais ou manifestement ratés, c’est pareil, je pense sans trop me vanter que vous pouvez me faire confiance.
Et puis il y a les curiosités à la Persona Q2. Sorti sur une console au parc installé assez massif, mais commercialement éclipsée par la Switch depuis des mois. Dérivé d’une série qui a gagné ses lettres de noblesse, mais qui n’est pas encore un succès digne des plus grands triple A (à titre d’exemple Dragon Quest XI a vendu plus d’exemplaires au Japon en deux jours que Persona 5 dans le monde en deux ans). Décliné sous la forme austère d’un donjon à la première personne qui n’est pas, au fond, sans rappeler les origines lointaines de la saga Megami Tensei. Et le tout avec un ton résolument plus kawaii et sucré que le déjà très pop acidulé Persona 5.
Une fois croisés tous ces éléments qui ont chacun un côté excluant pour une part des gens qui liront ces lignes, à qui puis-je encore conseiller Persona Q2 ? Vous dire qu’il s’agit d’un bon jeu serait la vérité, vous dire que vous avez tout de même de fortes chances de ne pas passer un moment mémorable, voire de carrément vous ennuyer un peu le serait tout autant. Allez, disons que si vous n’en pouvez plus d’attendre Persona 5 The Royal, que vous avez essoré Persona 5 Dancing in Starlight et que Persona 5 Scramble ne vous fait ni chaud ni froid, et que par hasard vous avez encore une 3DS qui traîne et la nostalgie du Persona Q de 2014, il y a une petite chance pour que ce jeu vous vole un sourire, et une cinquantaine d’heures de votre vie. En espérant tout de même qu’Atlus finisse par passer à autre chose.
Persona Q2 : New Cinema Labyrinth a été testé sur 3DS via une clé envoyée par l’éditeur.
Bonne suite d’un jeu sorti en milieu de vie de la console, bonne dose de fanservice pour les fans de Persona, bonne itération de la foisonnante franchise Etrian Odyssey : ce Persona Q2 : New Cinema Labyrinth ferme donc (peut-être définitivement) la ludothèque de la 3DS avec les honneurs, sans toutefois être promis à rester dans les mémoires. La communication frénétique déployée par Atlus pour vendre cet épisode au Japon comme à l’international ne tenait pas du cynisme : ils l’ont bichonné, leur Persona Q2. Savoir si la petite niche de joueurs assez fans de Persona et de Donjons-RPG austères et aptes à dépoussiérer leur 3DS existe encore, c’est une autre question. Mais en terme de dernière séance, la portable de Nintendo aurait pu rêver bien pire.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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