En 2006, Atlus entamait avec Persona 3 une conquête d'un nouveau public ainsi qu'une petite révolution dans le JRPG. Mais 2006, c'est loin, et il fallait bien un remake quasi intégral pour recommencer à apprécier ce monument. Quitte à parfois tenir, avec Persona 3 Reload, un double discours un peu déroutant.
Rappelons avant toute chose que ce n'est pas la première fois qu'Atlus triture son propre héritage pour tenter de le compléter, de le moderniser et de nous refaire passer à la caisse. Dès 2007, P3 ressortait complété par un long épilogue sous le nom Persona 3 FES. En 2009, c'est une version Persona 3 Portable qui sortait sur PSP, sorte de demake simplifié, mais largement réécrit via l'ajout de la possibilité de sélectionner un avatar féminin. Les personnages de Persona 3 voyaient par ailleurs leur aventure se prolonger dans des spin-offs, à l'image de Persona 3 Dancing in Moonlight, et la suite de leurs aventures était même évoquée dans plusieurs jeux mettant en scène d'autres personnages de la licence (Persona 4, Persona 4 Arena). Tout ceci avait fini par constituer un canon narratif épais, voire indigeste, dont Persona 5 avait fait table rase en changeant complètement et définitivement le casting. D'une certaine manière, Persona 3 Reload fait la même chose, en proposant une réinterprétation profonde du jeu de 2006, impliquant entre autres un retravail étonnant de nombreux aspects du scénario. Et le résultat est incontestablement brillant et moderne. Au point de mettre bizarrement en lumière les aspects n'ayant pas bénéficié de cette refonte, qui jurent un peu et gâchent par moment la fête.
La nuit, je morfle
Nous tenons donc ici le premier jeu Persona sorti depuis des années (au moins depuis le cinquième épisode en 2016) qui ne part pas du principe que vous seriez déjà parfaitement familier avec l'ambiance et les mécaniques de la série. Pas besoin d'être un maître des fusions et des arcanes de la Chambre de Velours pour vous amuser ici, même et surtout si vous n'avez pas touché au jeu d'origine en 2006. On repart vraiment de zéro, et c'est super.
L'intrigue de Persona 3 Reload est, dans l'ensemble, plus simple que ne le sont celles des épisodes 4 et 5, puisqu'Atlus avait ici davantage l'envie d'expérimenter que d'en mettre plein la vue. Près de 20 ans plus tard, le résultat semble parfois un peu trop ramassé sur un jeu d'une centaine d'heures, mais cela fonctionne tout de même assez bien. L'intrigue se passe en 2009 — dans le futur proche, à l'époque de l'écriture du scénario —, dans une mégalopole futuriste japonaise. On y suit un jeune homme transféré dans un dortoir rempli d'étudiants de son âge. Ces derniers s'avèrent tous être des combattants luttant contre les monstres apparaissant durant "l'Heure Sombre", une dimension parallèle située entre la dernière heure du jour et la première heure du lendemain. Le tout s'incarne par l'apparition d'un labyrinthe géant, le Tartare, qui servira d'unique donjon à l'aventure.
Cela va rapidement se traduire par un rythme cyclique : chaque mois, un nouveau phénomène paranormal frappe la ville, et vous devrez progresser assez haut dans le Tartare pour renforcer votre équipe en attendant une inévitable confrontation à la prochaine pleine lune. Le tout en alternant exploration (donc gain d'expérience) et vie sociale, pour vous faire des amis et développer votre personnalité. Si tout semble ici plus sommaire et plus condensé que dans un Persona 5, force est de constater que cet opus a parfaitement posé les bases de ce que sera la série dans les deux décennies suivantes. Et cela nous est ici livré dans une version diablement bien modernisée.
A social link to the past
On reprend l'excellente interface de Persona 5, on mélange le système de combat des trois derniers épisodes avec quelques innovations sympas, on s'autorise une refonte graphique moderne : ma foi, c'est ça qu'on veut. Persona 3 Reload, disons-le, c'est un vieux meuble luxueux dans un appartement disposant de tout le confort moderne. Mention spéciale aux immenses efforts effectués pour retravailler le rythme de la partie donjon du jeu.
En effet, terminé les enfilades infinies de confrontations hardcores et répétitives qui vous séchaient votre barre de vie en trois coups de batte à clous : sans renoncer à l'exigence des combats et à une bonne dose de challenge, tout a été largement fluidifié. Points de sauvegarde réguliers dans le donjon, quêtes annexes à y effectuer, système de "théurgie" pouvant renverser le cours d'un affrontement mal engagé, simplicité à accéder à des objets de soin, de buff ou à du meilleur équipement : on a enfin l'impression de progresser de manière régulière et agréable dans le labyrinthe. Persona 3 Reload est l'exemple parfait du remake qui correspond exactement au souvenir que vous avez du jeu davantage qu'au jeu lui-même, un sentiment particulièrement agréable.
La partie "sociale" du jeu a, elle aussi, été largement réorganisée pour offrir bien plus de possibilités et surtout de temps. Le Persona 3 d'origine vous contraignait énormément en la matière, vous poussant en permanence à faire de grands sacrifices. Ici, à la manière d'un Persona 5 Royal, on va vous donner un maximum de plages horaires pour expérimenter avec tous les systèmes annexes du jeu, et même vous permettre de faire un plus grand nombre d'activités annexes qu'à l'époque. De plus, l'argent étant dans ce remake une denrée moins rare, vous aurez beaucoup moins de scrupules à consacrer des ressources financières à passer du temps au karaoké ou au restaurant.
J'ai simplement regretté deux points : tout d'abord que cette tonne de contenu revisité et amélioré ne bénéficie pas d'une meilleure traduction française. Cette dernière a visiblement été réalisée en manquant d'images, de contexte et d'une relecture de mise en cohérence, ce qui donne régulièrement des phrases qui semblent complètement hors sujet. Ensuite, on ne peut s'empêcher de remarquer, à de nombreux moments de l'aventure, à quel point cette dernière paraît parfois à l'étroit dans sa structure d'origine.
La querelle des anciens et des modernes
Cela a déjà été pointé par d'autres, mais la réécriture plutôt ambitieuse du scénario de Persona 3 Reload est à bien des égards une bénédiction. Bénédiction incarnée par le départ du lead writer historique de la série qui, si brillant soit-il, a truffé les intrigues de la licence de contenu homophobe et transphobe gratuit. Persona 3 Reload s'affranchit en bonne partie de cet héritage douteux, tout en corrigeant pas mal d'autres petits détails de ce jeu qui était à bien des égards, il faut le rappeler, un brouillon pour la suite. Cette transformation a été amorcée par Persona 5 Tactica et elle se poursuit ici en douceur, ce qui n'est pas pour me déplaire.
En revanche, Persona 3 Reload ne réécrit pas assez son modèle d'origine pour ne pas produire un effet étrange. Certes, le Tartare est plus rapide et plus fluide à explorer, mais il reste un énorme blob de 250 étages à la structure effroyablement monotone. Certes, tout le contenu scénaristique lié aux membres de l'équipe a été profondément retravaillé, mais ce n'est pas le cas de nombre d'autres personnages annexes, à l'écriture complètement anachronique. Le jeune puceau que vous devez littéralement convaincre de sortir avec sa prof pour qu'il devienne votre ami : il est toujours là. Le crypto-fasciste du conseil des élèves qui accuse ouvertement et sans preuve des gens de divers crimes et que vous soutenez sans faille ? Yep, vous devez toujours faire semblant d'être d'accord avec lui. Le petit gros dont l'essentiel de la storyline est "j'aime manger" ? Fidèle au poste, et c'est gênant.
Trop souvent, Persona 3 Reload nous renvoie ainsi à la figure du contenu accusant franchement son âge. En 2006, on ne concevait pas des quêtes annexes et un donjon à explorer de la même manière qu'on le fait 18 ans plus tard (tant mieux). En choisissant, pour des raisons parfaitement compréhensibles de temps et de budget, de n'avoir retapé qu'une partie (importante, certes) de l'édifice, Atlus nous plonge par moment dans une sorte de jeux "deux en un". Un résultat fort étrange, bien loin de proposer le même niveau de subtilité et de fun. Ce n'est pas assez pour gâcher le voyage, mais il vaut mieux le savoir avant d'y aller : Persona 3 Reload propose une expérience beaucoup plus inégale et scénaristiquement moins travaillée que d'autres jeux de la licence. À cet égard, il me semble intéressant de commencer par se familiariser avec la logique, le ton et l'ambiance de la saga en commençant par découvrir Persona 5 Royal. Puis de remonter jusqu'à cet épisode Reload qui ne réussit pas tout à fait à remplir son rôle d'hôte de qualité pour les nouveaux et nouvelles venu·e·s.
Persona 3 Reload a été testé sur PS5 via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également sur PlayStation 4, PC et les consoles Xbox.
Persona 3 Reload est un objet magnifique, qui a pour seul défaut de ne pas avoir été encore plus loin dans son impressionnant travail de modernisation. Excellent jeu, bien qu'un peu répétitif en raison de son unique donjon de 250 étages, il apporte tout le confort moderne nécessaire à sa (re)découverte. Il s'agit aussi d'une immense bouffée d'air frais narrative offerte à une série qui en avait bien besoin, et qui est désormais pilotée par une nouvelle équipe visiblement brillante. La hype pour le futur Persona 6 n'a jamais été aussi haute en ce qui me concerne !
Les + | Les - |
- Le moteur et le système de combat de Persona 5, impeccables | - Toujours un peu à l'étroit dans son unique donjon |
- Le gros travail de réécriture du scénario principal | - Absence de la partie "The Answer" du scénario |
- L'exploration du Tartare plus fluide et plus équilibrée | - Les morceaux non réécrits (en particulier les Social Link) sont parfois calamiteux |
- Meilleur équilibrage que dans le jeu d'origine | - L'équipe de traduction a visiblement traduit le jeu sans contexte, le résultat est parfois à côté de la plaque |
- Le retravail de la bande son est très chouette | |
- Un excellent RPG qui tient la route en 2024 |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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