Perfect Tides est un point and click à l’ambiance et au gameplay résolument rétro, nous faisant vivre quelques mois dans les baskets mal ajustées d’une adolescente cherchant un sens à la vie sur une île paumée, au début du millénaire. Un projet mélangeant nostalgie, sentiments contrariés et Americana : bref, un jeu indé narratif.
Perfect Tides, c’est surtout et avant tout un projet kickstarté avec brio par Meredith Gran, une dessinatrice et scénariste américaine principalement connue pour le webcomic Octopus Pie, qui racontait les aventures de deux jeunes femmes débutant leur vie professionnelle à New York. C’est en association avec l’illustrateur Soren Hugues que Gran a fondé le studio Three Bees, dans l’idée de trouver une autre manière que la BD pour raconter sa prochaine histoire, qui prend donc la forme d’un jeu d’aventure (très) à l’ancienne, avec verbes, gestion d’inventaire et chasse au pixel. Si le résultat est narrativement très intéressant pour peu qu’on s’acharne un peu, Perfect Tides est aussi un jeu bourré de petites lacunes énervantes qui empêcheront sans doute la plupart des joueur·euses de l’apprécier pleinement.
Millenial Origins
Nous sommes en l’an 2000. L’île de Perfect Tides est perdue quelque part sur la côte américaine. Pas un paradis touristique à proprement parler, pas franchement en déclin non plus, elle abrite une petite ville, un paquet de résidences secondaires et une poignée d’habitants qui s’ennuient, au premier rang desquels les enfants et les adolescents de l’île. La seule spécialité de l’île : sa réputation de lieu de vacances idéal pour la communauté gay. Entre premières bières au bord de la plage et nuits passées à chatter sur Internet, la vie s’écoule relativement tranquillement au fil des saisons pour les enfants du coin.
On y découvre et incarne Mara, 15 ans, autrice en herbe plutôt isolée, mal dans sa peau, pouvant compter ses amis sur la moitié des doigts d’une main et partageant une maison modeste avec sa mère et son grand frère. Seule échappatoire dans le quotidien morne et limité de Perfect Tides : Internet, ses chatrooms, ses forums et ses inconnus se racontant leurs vies des heures et des heures durant. La nuit, Mara rêve de son crush, rencontré sur une messagerie instantanée. Le jour, Mara essaye tant bien que mal de s’intégrer à la vie de l’île, à l’école, et de trouver des raisons de sortir de sa chambre alors qu’elle connaît déjà Perfect Tides par cœur.
Perfect Tides nous propose de suivre Mara pendant environ un an, jusqu’à l’aube de son dix-septième anniversaire. Ce qui nous permet de (re)découvrir le quotidien des adolescents américains au tournant du millénaire : influence de MTV sur la pop culture, arrivée de Sailor Moon à la TV, modems 56k facturant l’Internet à la minute ou encore découverte de Final Fantasy VII sont au programme. Les téléphones portables sont chers, et la carte postale est encore une alternative banale pour communiquer si le téléphone tombe en panne.
De manière évidente, Meredith Gran maîtrise beaucoup mieux la création d’univers, la densité de la narration et la mise en scène que nombre de créateurs de jeux vidéo dont la création d’histoires n’est tout simplement pas le métier. En multipliant les scènes émouvantes et en créant une galerie de personnages cohérents et logiques dans leur évolution, Perfect Tides parvient pile à toucher sa cible : le passage inexorable (avec les drames et les échecs que cela convoie) vers l’âge adulte. Le jeu n’hésite pas à aborder des questions parfois crues, rarement traitées dans le jeu vidéo autrement que de manière allusive. On y dépeint l’éveil de la sexualité, les violences quotidiennes, on y parle en creux de la difficulté d’être une mère seule aux moyens financiers limités, et on y brasse tout un tas de petites thématiques globalement mieux troussées que dans la plupart des jeux du genre.
Entre webcomic interactif et film d’animation
Perfect Tides impressionne graphiquement dès son écran d’accueil, une scène animée nous montrant Mara en train de littéralement nager entre les saisons. Ce n’est qu’un avant-goût de l’immense souci du détail figuré par le jeu qui déroule, sur cinq ou six heures, une multitude de saynètes mises en scène via une série d’artifices narratifs vraiment bien pensés : fantômes translucides figurant la matérialisation d’une chatroom IRC, sensation fugace et éthérée d’un rêve, scène cinématique d’un jeu vidéo auquel Mara est en train de jouer, etc.
À bien des égards, Perfect Tides tient autant du jeu d’aventure que du webcomic interactif, voire, par moments, du cinéma d’animation. On pourrait presque s’interroger sur le choix du jeu vidéo pour raconter cette histoire, tant certaines scènes-clés du jeu semblent loucher plutôt du côté du cinéma d’animation ou du roman (Perfect Tides ne se prive pas de livrer d’immenses pâtés de texte pour décrire certaines scènes et certains objets).
En l’occurrence, la forme vidéoludique n’apporte pas grand-chose au propos, si ce n’est qu’on sent à chaque moment l’immense amour mis par Meredith Gran et Soren Hugues dans la création du moindre détail cliquable de cet univers. On termine Perfect Tides avec l’impression d’avoir parcouru l’un des univers les plus travaillés de ce début d’année, chacun des environnements visités (une cinquantaine) ayant été redessiné au gré des saisons et de l’avancée du scénario. On en viendrait presque, au fond, à regretter qu’en tant que pur jeu vidéo, Perfect Tides soit souvent une plaie.
Un jeu d’aventure hélas un peu confus et approximatif
Parce que oui, Perfect Tides n’est pas que la nouvelle histoire racontée par son autrice, c’est quand même techniquement un jeu vidéo. Et, hélas, pas un très bon jeu vidéo. Moi-même très client des jeux d’aventure avec un habillage rétro, je dois bien reconnaître combien il est frustrant quand cet habillage s’accompagne de toutes les raideurs et de tous les archaïsmes propres aux point and click de cette époque. Hélas, en voulant faire « comme à l’époque », Perfect Tides s’avère souvent assez désagréable à parcourir, voire par moments presque injouable.
Alors que presque tous les point and click modernes ont abandonné depuis longtemps l’idée de nous faire sélectionner nos actions dans une fastidieuse liste de verbes pour troquer ce système contre quelque chose de plus instinctif, Perfect Tides a une approche beaucoup plus passéiste des choses. Ici, tout ce que vous ferez nécessitera d’abord la sélection de la bonne action (regarder, parler, utiliser sur, aller vers ou encore manipuler), ainsi qu’une vraie patience de votre part dans la chasse au pixel qui s’engage à tout propos : ici, il ne suffit pas de cliquer sur un personnage pour lui parler, il faut trouver les deux ou trois pixels uniques qui permettent de déclencher la conversation. Même chose pour les énigmes : il ne s’agit pas de repérer un objet à ramasser, encore faut-il deviner comment le ramasser, en restant parfois frustré parce qu’on clique à un millimètre à côté de sa hitbox. Certaines énigmes assez simples sont ainsi largement complexifiées par une interface rigide, peu pratique et où l’on passe l’essentiel de son temps à changer de verbe pour faire des actions pourtant aussi basiques qu’ouvrir une porte.
On patauge donc un peu trop et un peu trop souvent dans Perfect Tides. On aurait aimé davantage de fonctionnalités modernes vues dans l’essentiel des jeux d’aventure récents, même sous emballage rétro : le double clic pour se téléporter au bord d’un écran, une minimap ou encore un journal de quêtes. Il m’est souvent arrivé de ne plus savoir quoi faire faute d’avoir un mémo me rappelant quel personnage m’avait demandé de lui ramener tel ou tel objet. Cette ergonomie catastrophique ne parvient jamais à vider Perfect Tides de son intérêt mais constitue hélas un joli caillou dans la chaussure qui empêche de l’apprécier à sa juste valeur.
Perfect Tides a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Perfect Tides possède une ambiance très réussie, émouvante et subtile, et servie par une mise en scène exemplaire. J’ose même dire qu’il s’agit d’un des jeux indé de ce début d’année possédant la mise en scène la plus bluffante, sous couvert de minimalisme assumé. On souhaite donc que le prochain jeu de ses auteur·ices, si prochain jeu il y a, ne se contente pas de la majestuosité de sa narration pour se concentrer sur la partie vidéoludique à proprement parler. Car Perfect Tides aurait vraiment pu être un grand jeu si sa partie purement point and click n’était pas aussi frustrante et approximative.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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