Lancé il y a plus de deux ans sur Kickstarter par le petit studio berlinois Mostly Games, PEPPERED: an existential platformer est un jeu qui intrigue, ne serait-ce que par son titre. En effet, existe-t-il seulement un genre de jeu vidéo plus hautement existentiel que le jeu de plateformes ? Quel moment de gaming vous a déjà laissé plus songeur sur le sens de votre vie que de tomber dix fois dans le même trou de l'exacte même façon ? Quelle expérience pourrait troubler plus profondément votre surmoi que de rater une pièce suspendue en l'air dans un niveau ? Amies et amis névrosés, parlons-en.
Là où commence l'aventure de PEPPERED est là où vient mourir l'espoir (sauf pour les amoureux d'espaces liminaux) : dans des bureaux. Le personnage en imperméable qu'on y découvre, et qu'on y incarne, est venu pour un entretien d'embauche, un processus traditionnellement long et violent au bout duquel il peut espérer obtenir un stage, peut-être, et un bureau à lui, si vraiment il est très sage. Pris par ces considérations, il ne prête qu'une maigre attention au bulletin télévisé diffusé dans le couloir, qui annonce une apocalypse pour dans quelques heures. En effet, le héros censé venir restaurer le sceau sur la prison du dieu de la mort ne s'est pas présenté et est injoignable. Les conséquences pourraient être dramatiques, à commencer par la mort d'une considérable partie de la population et un fâcheux changement des lois de la nature. Tout ça serait évidemment très dommage, mais vous avez un café, et vos preuves à faire pour cet entretien d'embauche, alors concentrez-vous.
En naviguant jusqu'à la machine à café, vous découvrez que vous pouvez interagir avec un bon nombre d'éléments du décor, généralement juste pour le plaisir de lire les impressions pleines d'esprit de notre protagoniste sur ce qu'il observe. Mais c'est quand vous parlez à votre responsable que vous découvrez que ce n'est pas là la seule mécanique que le jeu a empruntée au vaste genre du jeu d'aventure. En effet, PEPPERED vous donne le pouvoir du choix. À vous de décider de ce que vous voulez répondre et de ce que vous voulez faire. Certains choix sont sans conséquence, d'autres pas du tout. Et comme vous le découvrirez en tentant de trouver comment marche cette satanée machine à café, l'échec est lui aussi un choix. Un choix souvent subi, certes, mais un choix quand même.
Le jour où la mort vacille bien
Ainsi, selon vos choix et vos compétences, votre personnage fera son bout de chemin vers l'une des dix fins d'une aventure qui va en fait, si le cœur vous en dit, vous mener bien loin de cette sinistre machine à café. Et comme vous le découvrirez en sortant des bureaux, si l'échec doit être un choix, la mort n'en est pas un. En effet, du fait de l'emprisonnement encore en cours du dieu de la mort, personne ne peut mourir dans ce monde, d'où le respawn à chaque saut un peu trop court au-dessus d'une scie circulaire. Et bien vite, on apprend que si le régime totalitaire et barbare de la Mort n'est certainement pas un projet de société particulièrement sympathique, la situation actuelle, où aucune vie n'a de terme alors que la pauvreté et la souffrance sont encore monnaie courante, n'a rien d'un paradis. Alors, à ce moment-là, que faire ? Faut-il faire quelque chose ? À vous de choisir.

Riche d'une aventure à embranchements pouvant durer d'un quart d'heure à quatre ou cinq heures, PEPPERED vous amènera donc potentiellement à découvrir un univers intrigant et une poignée de personnages souvent attachants, avec un humour qui a ses hauts et ses bas (on lèvera les yeux au ciel face à quelques références un peu lourdes çà et là) mais qui ne semble jamais pouvoir trop entamer le capital sympathie du jeu. Bien au contraire, plus on en voit et plus on aimerait en apprendre sur ce monde fondé sur les ruines de la dictature de la Mort et sur ses personnages discrètement anthropomorphes. Je dis "discrètement" parce que j'ai mis quelques heures avant de me rendre compte que les personnages étaient quasiment tous des furries. Comme quoi. Pas un sujet passionnant à aborder, de fait, mais ça fait une bonne diversion pour me permettre d'éviter de trop en dire sur le scénario, puisqu'il vous réserve son lot de surprises. C'est mon fumigène à moi. Mon furrigène, en somme.

Mais alors, PEPPERED est-il, comme son sous-titre s'en vante, un jeu de plateformes existentiel, si tant est que ça veuille dire quoi que ce soit ? D'un côté, j'ai envie de vous dire qu'aucune de mes expériences avec le jeu ne m'a fait plus profondément remettre en question mes choix de vie que de faire l'erreur d'aller voir ses forums Steam. De l'autre, le jeu pose effectivement des questions intéressantes et pertinentes, sans non plus trop appuyer dessus pour vous laisser respirer et y réfléchir un peu. Que faire quand une catastrophe annoncée nous attend en tant que société, mais que personne ne tente d'y faire quoi que ce soit à cause des règles du système en place ? Quelle est la responsabilité des médias dans les situations de crise ? Peut-on faire un saut et un dash sur une chaise de bureau ? À quoi ça sert de collecter les pièces ? Bref, si ce sous-titre est évidemment un peu fallacieux, il serait malhonnête de faire l'impasse sur l'ambition du jeu à mettre en avant certaines problématiques de notre temps et à questionner notre rapport à celles-ci, ainsi que les éléments de réponse pas inintéressants qu'il y apporte.
Poivre d'hardcore
Tout ça, c'est bien beau, mais c'est un jeu de plateformes, alors parlez-moi de plateformes, Berthier, nom de dieu ! Eh bien, mon cher Ménard, tout à fait, et j'y venais. Car si PEPPERED commence avec un personnage vissé à sa chaise de bureau, il nous permet vite de nous lancer dans des niveaux de plateformes assez bien designés, avec des éléments de gameplay classiques habilement intégrés dans l'univers du jeu, et une palette de mouvements simple mais efficace, bien que perfectible. La charge au sol, notamment, peut être un peu capricieuse, menant à quelques résultats fâcheux.
On a déjà parlé de respawn, et en effet, vous allez respawner, car PEPPERED est un jeu qui aime à vous offrir une pincée de challenge. Si le jeu n'a pas vocation à s'imposer comme un platformer véritablement hardcore, je crains toutefois ne pas pouvoir le conseiller à de vrais néophytes du genre, d'autant plus qu'un écran du jeu vous demande de comprendre une mécanique de plateformes connue des amateurs du genre, mais qu'il ne présente nulle part ailleurs, et sans laquelle vous vous retrouverez bien marris. Pas parfaitement équilibré, donc, mais globalement plaisant pour les joueuses et joueurs expérimentés.

Et si les plateformes ne sont pas ce qui vous passionne, le jeu se montre assez riche en surprises, avec des séquences de gameplay variées l'amenant parfois à changer assez radicalement de genre, souvent avec humour, pas toujours avec succès. Je ne m'attarderai pas plus sur ce point pour ne pas gâcher les surprises que le jeu vous réserve, mais disons qu'il offre une expérience assez variée de chapitre en chapitre.
Je vous parlais de choix à faire pour progresser dans l'histoire, et de fins multiples, alors peut-être que la question vous a traversé l'esprit : n'est-ce pas affreusement relou de devoir tout refaire pour trouver les autres fins ? Eh bien non, et c'est justement l'une des forces du jeu. Entre un chapitrage bien pensé et un système de sauvegarde rapide suffisamment laxiste, le jeu ne vous impose pas de refaire entièrement des heures de jeu pour tenter de faire un autre choix ou retenter une épreuve que vous auriez ratée, ce qui rend l'exploration de ses branches scénaristiques assez agréable.
Alors, on découvre fin par fin cet univers atypique et vite attachant, rempli d'un humour qu'une localisation française peu soignée gâche toutefois quelque peu, et plus on en voit, plus on aimerait en avoir. En suivant l'évolution de la relation de deux personnages en particulier, je me suis même surpris à me rappeler avec nostalgie de la série Sly Cooper, un autre univers cartoon, frais et attachant que j'ai pu beaucoup aimer à l'adolescence. PEPPERED n'est pas sans lacunes, certes, mais cette qualité qu'il a de nous en faire vouloir plus est un témoin fort de la grande qualité de la proposition de Mostly Games.

PEPPERED: an existential platformer a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Mac.
Il y a beaucoup de choses dans PEPPERED: an existential platformer, peut-être trop pour être un tout cohérent. Ça tombe bien, il ne cherche pas forcément à l'être. À coups de phases de gameplay variées et de niveaux de plateformes compétents, il nous parle en tout cas avec humour de la difficulté de choisir entre une vie stable et la confrontation à une irrémédiable crise qui menace le monde entier, en sachant pertinemment à quel point ce choix est trompeur. Au-delà de cette capacité à choper le zeitgeist de 2025, PEPPERED propose aussi un univers et un scénario suffisamment accrocheurs pour qu'on ait envie de s'y replonger jusqu'à en avoir tout vu. Et rien qu'en ça, il parvient largement à justifier son existence.
Les + | Les - |
- Une aventure variée et pleine de personnalité | - L'humour parfois un peu balourd |
- Une direction artistique au poil | - Des phases moins intéressantes |
- De la plateforme très correcte | - Mécaniquement imparfait |
- Un mécanisme de choix pas frustrant | |
- Un univers attachant et intrigant |
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