C'est au collectif croate Gamechuck, spécialisé dans les courtes expériences narratives, que l'on doit Paws of Coal, un jeu d'enquête qui entend vous faire utiliser la logique et la démarche scientifique pour progresser dans une enquête nécessitant méthode et subtilité.
Une ville ouvrière, peuplée d'animaux anthropomorphes, dans un contexte politique déprimant et tendu. Il ne manquait qu'une mystérieuse série de maladies inexpliquées touchant uniquement les lapins pour que ces derniers, mineurs de fond, se mettent en grève. Charles, hérisson botaniste et fin lettré de son état, reçoit le mandat de tenter de déterminer l'origine de l'épidémie, et comprend rapidement qu'un échec pourrait avoir de terribles conséquences sociales. Charles, c'est vous, armé de votre carnet et de votre seul esprit de déduction. Dans Paws of Coal, la seule chose que vous aurez concrètement à faire, c'est de parler à tout le monde, de recueillir les témoignages les plus précis possibles, et de noter les connexions logiques dans votre calepin de détective avant de rendre vos conclusions. Cela n'est pas sans rappeler un certain Paradise Killer, la folie furieuse en moins.
Oh qu'est-ce qu'il speak, ce hérisson
C'est, d'ailleurs, la plus grande réussite de Paws of Coal : à l'exception des premiers moments de l'intrigue, vous faisant mener une mini-enquête pour vous expliquer ses mécaniques, vous allez avoir une (illusion de) liberté à peu près totale. L'objectif final est de comprendre pourquoi et comment des mineurs de fond attrapent tous la même maladie alors que certains autres semblent mystérieusement échapper à la pathologie. Mais les différents objectifs intermédiaires seront globalement laissés à votre appréciation et à votre organisation interne.
Il y a cependant quelques barrières, matérialisées sous forme de quêtes annexes à résoudre : obtenir une autorisation de consulter des registres ou d'accéder à certains lieux en résolvant certaines difficultés d'un PNJ, par exemple. Mais à ces quelques réserves près, le jeu est structuré à la manière d'un petit monde ouvert à la taille d'une ville, lequel va vous donner la possibilité de déployer vos talents d'enquêteur. Et ce sans particulièrement vous mettre la pression sur l'ordre dans lequel accomplir les différentes étapes de l'enquête.
Paws of Coal est un jeu basé sur le dialogue et l'introspection. Rapidement investi d'un mandat semi-officiel vous permettant de poser un tas de questions et de fouiner partout, vous allez passer l'essentiel de votre temps à interroger les témoins liés aux victimes de l'épidémie. Et, bien entendu, à essayer de dénicher des indices dans leurs propos, parfois sincères et précis, parfois déroutants et mensongers. Petite originalité qui n'est pas sans rappeler un certain Disco Elysium, vous allez également être amené à interroger des objets ou des livres, voire à vous interroger vous-même. L'idée étant que nombre d'informations ne sont pas présentes dans les témoignages, pas forcément toujours fiables ni complets, mais bien dans la large bibliothèque personnelle de Charles, par exemple. On regrettera d'ailleurs que si les dialogues sont globalement riches et bien écrits, leur arborescence (qu'il convient souvent de parcourir plusieurs fois) est de temps en temps un peu laborieuse.
À la vitesse du hérisson
Laborieux, c'est hélas l'adjectif qui qualifie nombre de limites de Paws of Coal. Le jeu, plutôt joli et malin, propose un scénario qui retient bien l'attention. Mais il semble à la fois à l'étroit dans son cadre comme dans son gameplay. Il se termine si rapidement, même en fouillant dans les moindres recoins, qu'on parcourt les crédits de fin en ayant l'impression d'avoir eu une toute petite fenêtre sur un univers bien plus riche et bien plus grand. Une fois le jeu achevé, on connaît à peine Charles, et encore moins l'univers qui l'entoure. Ce n'est certes pas si grave, puisque l'aventure proposée par Gamechuck revendique et assume ce côté très ramassé, plus proche dans la forme de la nouvelle que de la fresque.
Cependant, ce côté très bref, qui mériterait largement d'être développé dans d'autres épisodes, se heurte aussi au fait que la mécanique principale de l'aventure (un carnet de déduction), manque cruellement de finition. Chaque tâche ou indice récolté termine dans une page du carnet, qui sert à formuler des hypothèses en reliant littéralement des indices entre eux. Par exemple, pour déterminer si une maladie est causée par un aliment, vous devez placer les indices liés à la nourriture, puis ceux liés aux symptômes, et enfin cliquer sur une hypothèse pour que les liens se créent sous forme de fil. Vous pouvez ensuite soumettre votre hypothèse, qu'elle soit juste ou fausse.
L'idée est absolument brillante, et donne l'impression de voir la pensée (parfois erronée, d'ailleurs, il y a des pistes qui ne mènent à rien) se matérialiser en direct. Cependant, l'interface du carnet est à la fois bordélique, confuse et pas très claire, et naviguer là-dedans devient rapidement assez cauchemardesque dès qu'on doit formuler des hypothèses un minimum élaborées. C'est très regrettable, car sur la fin du jeu, on a vraiment l'impression de travailler dans un bureau dérangé couvert de papiers entassés dans tous les sens davantage qu'être un détective de choc.
De même, on regrettera que les déplacements dans la ville soient particulièrement fastidieux : passer d'une porte à une échelle à un escalier simplement pour circuler d'une maison à l'autre est un immense pari sur l'avenir. Charles va-t-il monter, descendre, interagir avec un objet aléatoire ou juste se figer et vous forcer à relancer la partie ? Mystère ! Paws of Coal est ainsi entaché de gros problèmes de bugs, de masques de collision et d'ergonomie qui rendent les moments de promenade et d'exploration parfois assez pénibles. Notons tout de même que les développeurs sont sur le coup, et ont d'ores et déjà corrigé nombre de problèmes depuis la sortie du jeu.
Paws of Coal a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Vendu pour moins de 5 €, Paws of Coal ne vous promet pas autre chose que de passer quelques dizaines de minutes à recueillir des témoignages et à en tirer des conclusions logiques, dans un contexte mélangeant science et tensions sociales. Une proposition qui fonctionne plutôt bien, et qui témoigne de la bonne santé des jeux d'aventure portés par leurs dialogues. On en ressort cependant avec l'impression d'avoir davantage joué à une longue démo qu'à un jeu complet : le scénario est à peine esquissé, le monde parcouru est minuscule et on regrette finalement de n'avoir qu'une seule enquête à résoudre sur le modèle proposé. J'espère pour ma part retrouver un jour Charles le hérisson botaniste dans d'autres aventures !
Les + | Les - |
- Pas mal de liberté laissée lors de l'enquête | - Vraiment trop court pour ce qu'il essaye de raconter |
- Univers original qu'on aimerait découvrir encore plus en profondeur | - L'interface du carnet manque de clarté |
- La mise en avant de la démarche scientifique | - Truffé de bugs parfois très pénibles |
- Vendu à tout petit prix |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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