Attrapez votre doudoune sans manches, votre plus beau bob et vos noix de macadamia, direction la forêt de Melmoth dans NUTS, curieux jeu d’observation d’écureuils qui se révèle, évidemment, bien plus que ça.
C’est au sein de l’université de Reykjavik, à l’occasion de la Global Game Jam 2018, que naît le prototype de NUTS. Le squelette du gameplay est déjà là : trois caméras sur pieds aux têtes largement inclinables, des postes de télévision, des arbres et un écureuil, dont il faut trouver la planque à noisettes. Le projet est porté par Jonatan Van Hove, dit Joon, et celui-ci va réunir autour de ce drôle de concept quatre collaborateurs et collaboratrices afin de plancher sur une version plus ambitieuse : Pol, à la direction artistique, Muutsch, sound designer et compositrice (Curious Expedition 2, Through the Darkest of Times), Char, chargée de l’écriture, et Torfi, développeur déjà présent sur le prototype. Ensemble, et à l’aide de Noodlecake à l’édition (avec qui ont déjà travaillé certains membres du groupe, pour Don’t Trip ou Vignettes), ils signent ce curieux jeu d’observation et de déduction, bardé d’idées, qui se parcourt comme on écouterait un album de pop lo-fi, détendu et tout sourire. Malgré l’écho vaguement inquiétant qui hante les sous-bois.
Sans foi ni noix
Fraîchement débarqué dans la pampa après avoir suivi le sentier qui quittait la route et, par là même, la civilisation, on aperçoit notre refuge pour l’expédition à venir : une caravane un peu vieillotte, qui attend gentiment près de la barrière barrant l’accès à la forêt de Melmoth. C’est là qu’a lieu notre mission, et le quasi-isolement est de mise. Employé par l’institut Viago, structure spécialisée dans les études d’impact de projets de construction, on doit parcourir la région à la recherche des écureuils qui y vivent. La présence des rongeurs à queue touffue devrait en effet signer l’arrêt des plans de Panorama Corp, qui prévoit de construire un complexe hôtelier dans le coin, après avoir déjà tenté le coup 15 ans auparavant. C’est notre cheffe, la professeure Nina Scholtz, qui s’était alors chargée de l’étude, faisant capoter les ambitions bétonnières du groupe. Nina est la seule personne avec qui on sera en contact régulier grâce au téléphone de la caravane et c’est elle qui nous donnera nos missions par fax, quand Simon nous approvisionnera en matériel mais saura se faire assez discret pour qu’on ne le croise jamais – au contraire de ses trognons de pomme, sagouin. Bien équipé de notre petit appareil photo et de notre carnet, nous voilà parti au beau milieu des bois, traquant les noisettes et coques de noix.
Très vite, on s’habitue à la petite routine du déroulé des missions : arrivé dans une zone (une pour chacun des six chapitres), on faxe Nina pour l’avertir qu’on est prêt à commencer le travail, celle-ci nous appelle pour expliquer en quoi consiste la mission et, après avoir récupéré les caméras, direction le terrain. Depuis un lieu indiqué par Nina d’où l’écureuil partira, il faut placer les caméras à notre disposition (jusqu’à trois), de sorte qu’on puisse découvrir et suivre le trajet habituel du sautillant animal. Une fois prêt, retour à la caravane et c’est le début de l’enregistrement. Une ellipse plus tard, la nuit est tombée, il est l’heure d’observer les rushs, sur deux puis trois postes de télévision à l’image tremblante, qui ne dépasseront guère la minute. Notes et observations : une tâche informe vient d’apparaître dans le coin gauche de la caméra 1 ; depuis 15 secondes plus rien ; au loin, sur l’écran de la caméra 3, on distingue vaguement un mouvement, pause zoom et lecture au ralenti, c’est bien l’individu recherché qui grimpe à cet arbre, et plus rien. Il est temps de se coucher et de recommencer, jusqu’à ce que l’objectif soit observable, une rapide impression et hop dans le fax, en attente de l’appel de Nina pour de nouvelles instructions.
Ajoutez une noisette de peur
NUTS n’en manque pas, mais son originalité la plus marquante tient sûrement dans cette proposition entre l’engagement physique de l’exploration et ses phases à part qui appellent à une prise de recul vers le statut de spectateur – actif, toujours. La vue à la 1e personne implique d’aller soi-même explorer les alentours, s’aventurer entre les arbres, sur les rochers (et sans se perdre grâce au GPS), au bord d’un précipice où la ligne d’horizon se perd rapidement dans un brouillard commode. L’immersion est au centre du dispositif, avec des environnements plausibles, des interactions réalistes et une palette d’actions assez limitée ; on ne peut porter qu’une caméra à la fois, restriction compensée par la fluidité des déplacements et la possibilité de courir. Dans cet optique, il faut noter l’attention portée au sound design, excellent, dans les sons d’ambiance de la forêt comme dans les bruits caractéristiques du maniement du simili magnétoscope, un petit régal d’interface. Et lors des sorties sur le terrain, il n’est pas rare de s’immobiliser un instant et se retourner à la suite d’un craquement de branche un peu trop proche. Certes, on pourra arguer que l’environnement manque un peu de vie, mais ce travail de bruitage est suffisant pour habiter les espaces traversés. La tendance réaliste n’est, de toute manière, pas ce vers quoi tend l’expérience globale.
Une fois humées les odeurs de mousse et ancrés au sol les trépieds de nos caméras, place à l’observation. Là, NUTS dévoile un tout autre aspect. On y devient moins randonneur qu’espion, et quelque chose du Blow Up d’Antonioni (l’image) et du Blow Out de de Palma (la continuité) se révèle. Rien que ce barda d’écrans cathodiques, posés les uns sur les autres, a tout de l’opération clandestine. Alors on guette, à vitesse normale dans un premier temps, tentant d’avoir un œil sur l’ensemble des moniteurs et jonglant entre les différentes touches à notre disposition. Puis, après un retour en arrière, il faut enclencher le ralenti, car ça bouge vite, un écureuil, doublé d’un zoom sur un coin de l’écran pour déceler l’ombre entraperçue. Il est réellement satisfaisant de surprendre l’animal alors qu’on pensait l’avoir perdu, à la limite de ce que permet la profondeur de champ des caméras, juste avant qu’il ne disparaisse dans un flou abscons. Les objectifs du jeu se renouvellent d’ailleurs assez bien d’un chapitre à l’autre pour éviter la redite, déroulant un rythme similaire mais différent à chaque fois, dans l’exploration d’un nouveau biome et la traque de nos différents sujets granivores. On pourra regretter que les éléments à trouver dans la forêt, plus particulièrement les planques de noisettes, ne soient pas dynamiques et que leur présence se révèle en-dehors des missions, au hasard d’une exploration libre du coin. Rien qui ne vient toutefois empêcher ce sentiment diffus d’étrangeté d’apparaître au fur et à mesure de notre retraite et de nos observations. Entre chercheur animalier et témoin intrusif, il n’y a qu’un pas.
Avant même de connaître ses mécaniques de gameplay, c’est la direction artistique de NUTS qui capte l’attention. Dans la continuité thématique de l’enregistrement, de l’image, de ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, notre perception du monde semble soumise à différents filtres négatifs. Chaque zone et lieux précis à l’intérieur de celles-ci baignent dans une dominante de couleur qui leur est attachée, différente de jour et de nuit. À une courte exception près parfaitement lisible, ce choix participe avant tout du caractère impressionniste de l’aventure, qui ne tarde pas à se présenter sous un jour déconcertant. Certains objets ou scènes observés vont, l’air de rien, faire pencher le récit dans l’étrange, par petites touches esquissées, alors qu’en parallèle, les évolutions du scénario restent terre à terre, dans une veine mettant en avant l’engagement écologique de Nina. La fin du jeu, quant à elle, interroge. Elle fait fi d’une partie des questionnements soulevés plus tôt en s’engageant pleinement dans la fable fantastique mais suit pour autant, malgré un dénouement inattendu, un carcan assez classique. Il n’empêche : l’équipe de développement de NUTS comptait nous embarquer dans une drôle d’histoire, un peu à côté du monde, et on est certain de se souvenir des quelques heures passées en autarcie au cœur de la forêt de Melmoth.
NUTS a été testé sur PC (Steam) via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur iOS, Switch, Humble et Itch.io. Comptez entre 4h et 5h pour en voir le bout.
Déroutant à plus d’un titre, NUTS est surtout très cohérent. À l’heure où commencent à se multiplier les jeux tournant autour de la photographie et l’attention à porter à notre environnement, il se place en représentant ambitieux de ce sous-genre à venir. Ses mécaniques simples à comprendre et à prendre en main donnent la part belle à un récit étrange dont on est bien trop excité d’être le témoin inattendu.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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