Ce n’est pas tout à fait la première fois qu’un épisode de la longue série de jeux de stratégie historique de Koei Tecmo, Nobunaga’s Ambition, arrive en occident. De la quinzaine de titres publiés depuis 1983, nous n’avons cependant eu que quelques itérations distribuées en anglais de manière confidentielle depuis une dizaine d’années. Nobunaga’s Ambition : Taishi, cependant, est le premier épisode à être largement distribué partout dans le monde, sur consoles et sur PC, avec une traduction intégrale et supposément fidèle en anglais. 15 jeux, 35 ans au compteur : l’épisode, signifiant littéralement « l’énorme Ambition de Nobunaga » se veut une porte d’entrée pour une nouvelle génération de joueurs.
Koei n’a jamais caché sa volonté de créer avec Nobunaga’s Ambition une série complexe, voire hermétique. Chaque épisode par le passé a rajouté au savant mélange de stratégie et de gestion différentes couches de gameplay et de possibilités scénaristiques qui ont fini par transformer la franchise en rendez-vous privé pour amateurs très avertis et autres doctorants des guerres d’unification du Japon. Ceci dit, la perspective d’un épisode anniversaire traduit en anglais et présenté comme une synthèse de l’ensemble de la franchise était engageante. Malheureusement, c’est un des plus mauvais épisodes de la saga que nous avons eu à passer à la moulinette de la critique.
Au cœur des guerres d’unification du Japon
Dans Nobunaga’s Ambition : Taishi, vous êtes comme d’habitude chargé d’incarner un des nombreux seigneurs féodaux d’un Japon très divisé au milieu du 16è siècle, alors que se profilent les grandes guerres qui mèneront, le saviez-vous, au cinquième Shogunat du Japon, qui unifiera l’archipel sous la bannière de grandes familles guerrières, en éclipsant presque totalement le rôle de l’Empereur et qui fermera le pays aux étrangers pendant 268 ans. Plusieurs dates de départ entre 1540 et 1580 vous sont proposées, et chacune vous permet de choisir un fief qui peut aller de la microscopique province monacale sans le moindre allié aux grands domaines historiques qui ont constitué les grandes factions des guerres d’unification : Nobunaga, Hôjo et autres Oda. Dans un jeu de stratégie où le but de tout le monde est de parvenir à unifier le pays, il va cependant sans dire que le jeu est nettement plus intéressant si vous choisissez une faction qui a des chances concrètes de survivre aux trois premiers mois de la partie.
On peut néanmoins louer le soin tout particulier à créer un scénario pour quasiment toutes les factions jouables (plusieurs dizaines), avec une emphase toute particulière mise sur des dialogues écrits par « de grands scénaristes de dramas historiques ». En résulte un ton ampoulé et grandiloquent dans les différentes quêtes et événements scriptés de chaque camp, mais on ne va pas se mentir : cela a son petit charme, pour peu qu’on aime les débats interminables entre vieux japonais moustachus et imbus de leur personne et généraux beaux gosses avides de batailles.
Les joueurs désireux de se concentrer sur les simples aspects tactiques et stratégiques pourront de toute façon zapper ces phases de scénario, pour s’approcher d’une expérience qui ressemble à un mélange entre un jeu Paradox (grande map, provinces à micro-manager, etc.) et un bon vieux Total War (batailles en temps réel de grande ampleur).
Effroyablement hermétique
Malheureusement, une fois l’effet agréable produit par sa carte du Japon détaillée et complète, Nobunaga’s Ambition : Taishi tombe très, très vite des mains. Il part avec le handicap d’une traduction anglaise qui oscille entre le correct et le « Broken English », rendant chaque inscription à l’écran inutilement complexe et chaque explication relativement alambiquée. Mais ce n’est pas le plus gros souci du jeu de Koei.
A la manière d’un Hearts of Iron qui n’aurait subi aucun équilibrage, Nobunaga’s Ambition empile de manière frénétique les systèmes et les sous-systèmes, sans que le fonctionnement de la moité d’entre eux ne soit correctement expliqué au joueur. Mélange de tour par tour et de temps réel, le rythme de jeu est rendu bizarre par un mélange de missions chronométrées, de cycle des saisons à gérer, de généraux à manager et d’une interface diplomatique particulièrement opaque. Il est fréquent, même après quinze ou vingt heures de jeu, qu’on ne comprenne pas vraiment pourquoi tel ou tel événement se produit, ou ce qu’on a mal fait pour que tout tourne brutalement au vinaigre. L’Intelligence Artificielle présente un comportement absolument erratique, sans qu’on sache jamais tout à fait si elle est mal pensée ou si on a véritablement fait quelque chose pour l’irriter.
L’interface des batailles, plutôt fréquentes dans le jeu, n’est pas plus limpide. Empilant elle-aussi des systèmes et des sous-systèmes mal articulés entre eux, et présentant des graphismes hideux et confus, il est très difficile d’y déployer correctement le moindre talent de stratège. Tout juste concédera-t-on qu’à la manière du très touffu Distant Worlds, Nobunaga’s Ambition : Taishi propose un ambitieux système de délégation de nombreux aspects de votre territoire à l’IA. Idéal si vous souhaitez vous concentrer que sur l’aspect diplomatique, militaire ou financier de votre faction et laisser l’ordinateur faire le reste, par exemple. Mais cela ne suffit pas à corriger le fait qu’on ne comprend jamais tout à fait ce qu’on est supposé faire, ni pourquoi telle ou telle action a réussi ou échoué.
Un jeu hostile aux vétérans comme aux nouveaux venus
Nobunaga’s Ambition : Taishi est un jeu qui souffre d’être le petit dernier de la fratrie, qu’on a absolument voulu habiller des vêtements de ses quatorze frères aînés. Incapable d’épurer et de sélectionner pour créer une synthèse cohérente, Koei a collé absolument tout et n’importe quoi dans son titre, sélectionnant des éléments un peu partout dans la saga pour les fourrer au forceps dans un jeu qui propose simplement trop de mécaniques mal articulées. Si un Crusader’s King II, par exemple, propose une complexité similaire, force est de constater qu’il bénéficie aussi d’un équilibre subtil où chaque élément vient de manière limpide influer sur les autres. Rien de tel dans ces Énormes Ambitions Nobunaguesques, Koei se contentant de bourrer son jeu de mécanismes fonctionnant en autonomie les uns des autres, forçant rapidement le joueur à en déléguer une part importante, ou à passer son temps à mettre le jeu en pause pour surveiller le cycle des récoltes ou le développement du commerce à tel ou tel endroit, sans jamais maîtriser les paramètres nécessaires à saisir ce qui influe sur quoi.
Drôle de titre anniversaire en vérité que ce Nobunaga’s Ambition : Taishi. Que ce soit au Japon ou en Occident, le jeu a été particulièrement mal reçu, y compris par les amateurs farouches de la franchise, qui déplorent la confusion, la laideur et le peu d’intérêt présenté par rapport aux autres épisodes. Sorte de synthèse malade qui ne va nulle part, le titre de Koei est en tout cas particulièrement hostile à quiconque n’a jamais touché à un autre Nobunaga’s Ambition. Ni didactique ni pédagogique, il vous propose un didacticiel dense et sec comme un biscuit militaire, fait très peu d’efforts pour proposer une mise en contexte historique, et semble partir du principe que vous savez ce que vous faites. Ce n’est pas le cas, et il est évident que si les vétérans de la série ont été déçus, les nouveaux venus ne pourront être qu’horrifiés.
Techniquement médiocre, conceptuellement hermétique, Nobunaga’s Ambition : Taishi n’a pas grand chose pour lui. En voulant créer une synthèse de trente ans étalée sur une quinzaine de jeux, Koei n’est parvenu qu’à empiler de manière incohérente des dizaines de strates de gameplay qui ne se répondent jamais, plongeant dans la confusion les nouveaux joueurs et dans la frustration les vétérans de la série. Déséquilibré, désagréable, confus, mal traduit : médiocre à tous les étages, à l’exception de la quantité astronomique de factions jouables et de scénarios possibles. Que ce soit sur PC ou sur console, on déconseillera absolument l’acquisition de ce titre, qui ne fait ni honneur à la série dont il est issu, ni au genre de la grande stratégie en général.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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