Premier jeu de Critical Hit Games, Nobody Wants to Die est particulièrement ambitieux. Jeu narratif, film noir, vitrine technique qui cherche à montrer la maîtrise qu'a le jeune studio de l'Unreal Engine 5, univers dystopique qui tente de se démarquer de ses modèles en creusant encore plus loin, autant dire que les attentes étaient grandes. Et si le mélange est intéressant, il manque peut-être parfois un peu de l'harmonie et de la profondeur que l'on désirait.
Un couple dans une voiture, qui regarde un film noir classique diffusé dans un cinéma en plein air. Lui, passionné par l'art devant lui, elle, autant femme fatale que celle sur le grand écran, qui ne peut s'empêcher de se moquer gentiment de la passion dépassée de son compagnon. Et puis un trouble, des pilules et une flasque d'alcool, avant le dur retour à la réalité : le souvenir s'estompe, Rachel n'est plus là et il va être temps de se remettre au travail, alors même qu'officiellement notre flic n'en est plus un. Nobody Wants to Die ne perd pas de temps pour dérouler tous les clichés du genre, le détective torturé par la mort de sa femme, qui n'hésite pas à plonger dans l'alcool pour essayer d'éponger sa peine, et qui se retrouve embarqué dans une aventure à laquelle il n'a pas vraiment envie de prendre part. Avec tout de même un petit twist supplémentaire, spécifique à ce monde. Ici, personne ne meurt vraiment. Et Nobody Wants to Die s'est donné du mal pour essayer de dépeindre un monde incroyablement dystopique, même si tout ne fonctionne pas toujours.
Who Wants to Live Forever
En surface, Nobody Wants to Die raconte une histoire simple. Un flic perturbé et officiellement hors service est envoyé enquêter sur une affaire sensible, le meurtre d'un membre proéminent de la société. Son chef lui impose une partenaire à distance du nom de Sara, aussi bien chargée de lui permettre d'accéder aux différents systèmes officiels dont il est coupé que de le surveiller pour s'assurer qu'il n'aille pas trop loin. Car notre détective n'est pas tout à fait stable : victime d'un accident alors qu'il poursuivait un criminel, il a dû acquérir un nouveau corps pour remplacer son ancien, tandis que son partenaire est décédé définitivement, sa "conscience", ici appelée ichorite, ayant été détruite lors du drame. S'adapter à un nouveau corps n'est pas simple et jusqu'à ce qu'il puisse prouver que la synchronisation est parfaite, il ne peut officiellement pas reprendre ses fonctions. Et, compliqué de faire croire que tout va bien quand les visions se multiplient et qu'il lui est difficile de se rappeler des événements qui ont conduit à sa mort, condition essentielle pour qu'il arrive à adopter sa nouvelle enveloppe. Mais c'est aussi ça qui fait de lui la personne parfaite pour le job : autant éviter que les détails de l'enquête ne s'ébruitent, surtout que, James va vite s'en rendre compte, nous ne sommes pas face à une mort ordinaire. L'ichorite du mort est détruite, ce qui signifie, selon sa place dans la société, soit une mort définitive, soit un certain temps avant de pouvoir revenir à la vie. En bref, quelqu'un a essayé de se débarrasser définitivement de l'un des membres les plus influents de ce New York futuriste.
Futur oblige, nous avons à notre disposition toute une série de gadgets pour mener notre enquête, dont le plus intéressant d'entre eux est celui qui nous permet de reconstituer les scènes de meurtre. En se basant sur des indices, il est possible de revenir quelques minutes en arrière, avec la scène qui change sous nos yeux. À nous de trouver l'endroit intéressant sur la timeline, indiqué par le jeu, puis d'observer cette nouvelle scène pour trouver de nouveaux indices et ainsi de suite, jusqu'à modifier totalement la pièce devant nous, qui est revenue à un état antérieur. L'idée est bonne et offre des tableaux franchement intéressants, avec ces modifications que l'on voit en temps réel et ces instants suspendus dans le temps, qui profitent de la maîtrise du studio dans la mise en scène, visible tout au long du titre.
Cependant, on regrette rapidement l'aspect dirigiste du titre lors des enquêtes, qui ne nous donne jamais la possibilité de découvrir les choses par nous-mêmes. Que ce soit Sara dans notre oreille ou James qui décide de se parler à lui-même, tout est là pour nous dire quoi faire à chaque instant : utiliser tel gadget, aller à tel endroit, regarder tel indice, avec des conclusions qui se forment toutes seules, sans que l'on ait notre mot à dire. À côté de ça, le jeu ne nous donne pas énormément d'éléments pour nous y retrouver dans le scénario. L'absence d'un journal ou d'un codex se fait sentir lorsque l'on commence à enchaîner les noms et les événements et la partie où nos deux enquêteurs réunissent les preuves qu'ils ont trouvées pour déterminer ce qu'il s'est passé et les motivations des criminels en souffre rapidement. Sans avoir de possibilité de se remémorer tout ce que l'on a vu et les différents protagonistes des scènes de crime, on finit par tâtonner en plaçant des indices un peu au hasard, jusqu'à ce que le jeu valide notre action. Malgré un mystère qui fonctionne bien, le tout reste un peu décevant, même si l'on retient les moments époustouflants offerts par ces séquences. Le problème est peut-être aussi que, contrairement à ce que le jeu essaie de nous faire croire au début, l'enquête n'est pas vraiment le sujet ici.
Flou entretenu
On s'en rend vite compte dès que le titre nous permet de regarder autour de nous : quelque chose ne va pas dans ce monde. Toute la ville baigne dans un brouillard et une pluie acide perpétuels, les couleurs passent du gris au verdâtre sans grand-chose entre les deux, on mélange gratte-ciels vertigineux avec une esthétique déjà rétro même pour nous, comme si tout l'univers était suspendu dans le temps depuis que l'on a trouvé le secret de l'immortalité. Un côté figé que l'on retrouve dans le gameplay, où l'on ne peut pas se déplacer de façon libre dans la ville, mais où l'on est plutôt téléportés de tableau en tableau, en ne pouvant visiter que des scènes établies. Un choix qui surprend au début, mais qui fait vite sens tant tout a été créé avec soin : chaque nouveau lieu se prête à l'exercice du screenshot, on veut capturer chaque moment et chaque décor, chacun plus beau et oppressant les uns que les autres. Mais l'ambiance reste constamment pesante et il ne faut pas beaucoup de temps à Nobody Wants to Die pour confirmer notre impression et nous donner le nom de ce grand ennemi qui condamne le monde : c'est le capitalisme.
Comme je le disais plus haut, en principe, il est très dur de mourir dans ce monde : chaque personne a l'opportunité de récupérer un nouveau corps à sa mort, tant que la substance qui représente son être, l'ichorite, est encore intacte. On transfère l'ichorite dans le nouveau corps et, au bout d'un certain temps d'adaptation, on est comme neuf. En vérité, le système est fait pour offrir l'immortalité promise à un nombre de plus en plus réduit de personnes, tout en offrant un surplus constant de corps à habiter pour les riches. Car ici, pas de clonage ou autres méthodes scientifiques pour permettre à tous d'accéder à l'immortalité. On a plutôt choisi des lois injustes, avec une obligation de payer très tôt un abonnement pour continuer à pouvoir vivre, qui permettent uniquement aux plus riches de voler les corps des plus pauvres, qui en sont retirés de force dès le premier défaut de paiement, avec leur ichorite stockée dans une base de données pendant que leur enveloppe charnelle est vendue aux enchères. Pour la classe moyenne, le reste de leur vie éternelle est passé à travailler, dans un corps souvent de mauvaise qualité, en espérant ne pas rater un mois de paiement, tandis que l'élite continue à vivre ses vies sans trop de changement dans son quotidien. La critique de l'exploitation des pauvres par les riches est très peu subtile, et ce n'est pas forcément un mal. Le problème est surtout que, comme pour le reste de ses thématiques, le jeu a bien du mal à aller jusqu'au bout de son worldbuilding. Difficile de comprendre durant notre partie comment un tel monde, tellement méchant que ça en devient presque comique à certains moments, arrive à fonctionner au quotidien et le titre n'apporte que très peu de réponses à toutes nos questions.
C'est d'autant plus dommage que Nobody Wants to Die a plein de choses intéressantes à raconter : l'influence de l'argent dans un monde capitalisme, les manipulations politiques pour continuer à vendre des rêves inaccessibles aux classes moyennes et plus pauvres, l'appropriation du corps des pauvres par les riches, ici de façon littérale, et la difficulté à s'adapter à un monde malade qui nous pousse à continuer en permanence, sans jamais nous laisser la possibilité de s'arrêter à un seul instant pour faire le point. On le voit particulièrement dans le personnage de James Karra, condamné à vivre alors qu'il n'a plus vraiment rien qui le motive, sa femme est décédée, son ancienne carrière de joueur professionnel de baseball lui a échappé à sa première mort, il est enfermé dans un travail ingrat, obligatoire pour pouvoir continuer à payer son droit de vivre et pour donner un sens à ses journées.
Le titre aborde également la peur de la mort, qui a conduit les personnes influentes à prendre des décisions inconsidérées lorsque leurs proches les ont quittés, mais aussi la peur de la non-mort créée par ces solutions, où l'impossibilité d'avoir un corps n'offre pas le repos éternel souhaité, mais juste une existence dans une banque de données, où il est impossible de savoir si la conscience continue de fonctionner ou non. Le monde de Nobody Wants to Die est un monde de personnes effrayées et dysfonctionnelles, qui préfèrent un statu quo à l'incertitude du futur, alors même que leur immortalité leur donne la possibilité de le vivre. Avec des thèmes aussi intéressants, il est donc regrettable que le titre n'arrive jamais à vraiment expliciter ce qu'il cherche à dire et donne constamment l'impression de ne pas aller jusqu'au bout de son propos, préférant des fins nébuleuses avec un mystère superficiel, qui tente de relier maladroitement une histoire intime à un scénario qui se suffisait déjà à lui-même. On retiendra tout de même un propos qui, si l'on se prend à rêver de la vie éternelle, nous permettra de nous rappeler qu'il y a peut-être des sorts moins enviables que la mort.
Nobody Wants to Die a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 5 et sur Xbox Series.
Nobody Wants to Die est à la fois plus et moins que ce que l'on espérait : son univers est intéressant, les décors sont incroyables, certaines séquences restent en mémoire et difficile d'imaginer monde plus dystopique que ce qu'a mis en scène Critical Hit Games. On reste cependant sur notre faim à cause d'une partie enquête très rigide et d'un message qui reste un peu trop en surface pour être pertinent. On regrette notamment une fin un peu facile, qui propose certes une critique intéressante du rêve d'immortalité, mais qui balaie un peu trop le reste pour être réellement satisfaisante. Nobody Wants to Die reste une expérience plaisante que je conseille d'essayer, ne serait-ce que pour se plonger dans les décors magnifiques de cette version de New York, mais il lui manque encore plusieurs éléments pour atteindre son plein potentiel.
Les + | Les - |
- Des décors magnifiques | - On aurait aimé plus de liberté lors de l'enquête |
- Un scénario intéressant... | - ... Mais qui a du mal à se finir d'une manière satisfaisante |
- Des thématiques pertinentes | - Manque un peu de profondeur |
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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