Développé par Route 59 et édité par PLAYISM, Necrobarista est un jeu narratif qui me laisse songeur de bien des manières. Ma principale interrogation portant sur le fait que Necrobarista ne pousse pas assez loin son gameplay. Cependant, ne sautons pas tout de suite aux conclusions, prenons notre temps comme pour déguster un bon café.
Quand j’ai lancé Necrobarista, je m’attendais à une sorte de descendant du maintenant célèbre VA-11 Hall-A, un jeu narratif où l’on incarne une barmaid dans un bar cyberpunk. J’ai donc été très heureux de voir que les thèmes abordés, l’ambiance, les personnages, et même la narration étaient très différents de celui-ci. Par contre, malheureusement pour Necrobarista, il est arrivé dans ma vie après quelques œuvres auxquelles je suis un peu obligé de le comparer, ce qui a quelque peu altéré mon appréciation.
Un bien bel établissement, mais un peu branlant
Commençons donc par le début : C’est quoi Necrobarista ? C’est simplement un jeu narratif découpé en trois phases distinctes. La phase « narrative », celle de « décryptage », et enfin celle « d’exploration ». La première est celle où l’histoire nous est racontée à la manière d’un visual novel mais en 3d, et plus ambitieux en terme visuel. La phase de « décryptage » vient à la fin de chaque partie de récit, le jeu nous demande de sélectionner 7 mots qui ont été mis en valeur durant la phase précédente. À chacun de ces mots correspond un concept parmi 9, et ces concepts permettent de débloquer des souvenirs dans la dernière phase. Celle-ci nous laisse nous promener en vue subjective dans le café où se déroule toute l’intrigue. Comme les phases d’exploration se déroulent entre chaque moment de récit, elles nous ouvrent à chaque fois un nouveau lieu dans le café qui a un rapport avec les évènements qui viennent de nous être racontés, et qui contient des souvenirs à débloquer pouvant nous aiguiller sur les évènements à venir. Voilà en gros pour tout ce qui est lié au gameplay, mais on y reviendra.
Il faut qu’on parle du côté artistique de Necrobarista maintenant, et je ne vais pas passer par quatre chemins : je suis tombé amoureux de la direction artistique du jeu. J’irai même plus loin en affirmant que c’est probablement le jeu avec l’utilisation de la caméra la plus audacieuse que j’ai vue depuis fort longtemps ; ce qui est un coup de maître pour un jeu en plan fixe la majorité du temps. Si un élément pouvait résumer tout l’amour que je porte à la minutie de la caméra du jeu, ce serait une des scènes de discussion entre deux personnages. Dans celle-ci, à un moment donné, un des deux interlocuteurs adopte le point de vue de son vis-à-vis et change d’état d’esprit. À cet instant, l’action est marquée par un superbe traveling compensé. Sans être exceptionnel, ça reste le genre de détail qui fait plaisir à voir, d’autant plus que la narration par la mise en scène n’est pas tant utilisée que ça dans le jeu vidéo. En plus de la maîtrise de la caméra, le reste de l’aspect visuel est très bon, avec des personnages expressifs (dont un sans visage) aux designs qui, sans être originaux, permettent de les identifier facilement et de leur donner un peu de personnalité, et des décors tous très marquants avec un gros travail de la lumière. Le tout avec une superbe musique qui sans être forcément au niveau de celles que Shift vous présente régulièrement, reste très adaptée à son contexte.
Mais dans cet océan d’amour de l’art, il y a un énorme mais. Le jeu rame sur PC. Vraiment beaucoup selon le moment. D’ailleurs, il fait aussi beaucoup chauffer ma machine, qui sans être un « PC à 7000 boules », reste très correct pour jouer d’habitude. Pour faire une comparaison actuelle, mon ordinateur fait tourner en chauffant un peu, mais à un framerate stable, DOOM Eternal en bonne qualité. Necrobarista, avec des options calibrées sur moyen, accuse de gros ralentissements de temps en temps, et fait chauffer mon PC comme jamais. De plus, le jeu souffre de gros problèmes de localisation dans sa version française, avec des passages mal traduits, voire par deux fois, des phrases manquantes remplacées par un très sexy « INVALID OR MISSING STRING ID null_Blurb ». Néanmoins ces soucis n’ont pas gâché complètement mon expérience de jeu, en ne m’empêchant pas d’apprécier l’intrigue et l’écriture, mais ils m’ont fait me poser une question qui n’a pas arrêté de me trotter en tête pendant que je jouais à Necrobarista, et qui me turlupine encore maintenant. Pourquoi ne pas avoir pris le temps de bien finir et d’approfondir les mécaniques de Necrobarista ?
Vous le buvez comment votre café ?
Je sais que la question que j’ai posé semble méchante, après tout il est difficile de savoir quand est ce qu’un jeu est définitivement prêt à être lancé, mais dans le cas de Necrobarista, elle est importante. Le jeu vidéo dispose d’une grammaire qui lui est propre pour proposer des expériences uniques. Une grammaire qui passe en grande partie par le gameplay. C’est ce qui fait qu’une adaptation cinéma d’un jeu comme Hitman est un peu absurde et s’éloigne énormément de son matériau d’origine. Pour le cas de Hitman, c’est le fait de pouvoir se déguiser et de tout planifier à l’avance qui rend le jeu si grisant, mais avec les moyens d’un film, il peut être dur de faire ressentir aux spectateurs le sentiment de prédation et de contrôle du jeu sans en dénaturer le message. Pour Necrobarista, le problème est inverse : c’est un jeu vidéo, qui utilise à merveille la grammaire cinématographique et la mise en scène, mais qui esquive systématiquement le gameplay pour faire passer des messages forts.
Ce constat est d’autant plus flagrant lorsqu’on compare Necrobarista à des jeux comme Outer Wilds ou NieR : Automata, qui utilisent à fond leurs gameplay pour soutenir leurs propos. Là où Outer Wilds fait passer son propos et sa narration par son gameplay, et où NieR : Automata donne du sens à son gameplay par le biais de son intrigue, pour ensuite les faire se développer l’un avec l’autre, Necrobarista semble avoir du gameplay juste parce que c’est obligatoire pour être un jeu vidéo. Le plus triste c’est qu’il avait le potentiel de faire résonner sa jouabilité et sa narration, soit en étoffant un peu la partie exploration qui, dans les faits, ne sert qu’à approfondir vite fait le background, soit en permettant de faire des petits choix dans le déroulé de l’histoire. Au final, je ne comprends pas pourquoi les développeurs chez Route 59 ont concentré tant d’efforts dans l’aspect audio visuel plutôt que sur la jouabilité et la technique de leur titre. Pour être un peu plus clair, je regrette que Necrobarista ait un gameplay aussi décorrélé de son propos, et qu’en plus ses soucis techniques soient si nombreux et gênants.
Je préfère le thé doux amer
Après avoir dédié toute une partie de ma critique au fait que Necrobarista m’a laissé dubitatif en termes de technique pure et de jouabilité, vous devez vous dire qu’au final j’ai passé un piètre moment dessus. C’est faux. J’ai beaucoup aimé la presque dizaine d’heures que j’ai passé dessus. Malgré tous les défauts que je peux lui trouver, Necrobarista arrive tout de même à remplir son objectif : nous raconter une belle histoire sur des gens qui tentent d’aller à l’encontre d’une réalité injuste. J’ai volontairement omis de parler de la trame et des personnages en détails dans ce papier, afin de vous laisser le plaisir de découvrir par vous même tout ça, car ça en vaut largement la peine. Ce n’est peut-être pas le meilleur jeu auquel j’aurais joué cette année, mais sûrement celui avec le parti pris esthétique le plus réussi.
La sévérité dont je fais preuve lorsque je parle de Necrobarista vient d’une énorme frustration. Ce jeu aurait pu être hyper marquant, voire devenir culte avec le temps ou devenir un standard des jeux narratifs . Mais ses défauts sont tels qu’au final on se retrouve avec une expérience un peu sympa, mais malheureusement oubliable. Ce constat est d’autant plus amer que le titre est plein de bonnes intentions et que ça se sent : c’est un jeu LGBTQ+ Friendly, on ressent un véritable attachement à Melbourne tout au long du récit via des petites remarques bien placées et les développeurs font preuve de bienveillance certaine envers les personnages et le joueur. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est du gâchis, mais tout ce potentiel inexploité me laisse déçu.
Necrobarista a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. En outre le jeu est aussi disponible sur Mac OS, et en 2021 sur Switch et PS4.
Finalement, mes conclusions à propos du jeu sont plutôt simples : j’ai aimé l’histoire qu’on m’a raconté et tout l’enrobage qui allait avec, mais j’aurais voulu que le jeu soit plus marquant en étant un peu plus… un jeu. D’autant plus qu’il y a du rab de prévu, vu que les développeurs ont annoncé que des DLC gratuits allaient arriver plus tard dans l’année. Ils se concentreront sur des personnages secondaires qu’on peut apercevoir dans le jeu. Et j’espère que vous prendrez plus de plaisir que moi à jouer à Necrobarista, et que je ne vous ai pas dissuadé de tenter l’expérience.
Un Rieur
J'aime tous les jeux, surtout les jeux un peu nazes ou cassés. C'est pas parce que c'est nul que c'est pas bon, et puis j'aime aussi la bouffe, et le JDR
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