Tout commence avec une petite fille qui adore les livres et qui va chez son libraire préféré pour obtenir sa dose d’imaginaire. A la suite d’une photo retrouvée dans un vieux livre, le libraire se rend compte d’un point troublant et décide de raconter les souvenirs qui lui remontent du fin fond de sa mémoire. Et hop ! Nous nous retrouvons dans un temps de guerre contre des robots, où on suit la terrible épopée de deux enfants, une fille et un garçon, qui affrontent de cruels dangers. Voilà ce que nous propose My Memory of Us, un joli jeu d’aventure narratif, créé par le studio polonais Juggler Games. Mais c’est bien plus, sans être trop…
Petit retour en arrière, à la Gamescom 2017 : Juggler Games annonce leur jeu narratif à l’apparence résolument naïve qui attire mon attention (« Une histoire de fille, de garçon et de robots ? MHMH ! »). Je m’attendais à quelque chose de classique, et je craignais des stéréotypes de genre. J’étais déjà en train de ressortir ma mallette à couteaux bien aiguisés pour me faire un sashimi de machos ordinaires, mais en fait, je l’ai recouverte très vite sous un tas de chiffons blancs, de rameaux d’olivier et de cages vides de colombes. Car non seulement le tout jeune studio créé en 2015 évite les pièges évidents, mais il nous offre plusieurs points d’intérêts autour de la mémoire, pour finalement devenir un bel hommage aux survivants de la guerre.
Stimuler son cerveau pour ne pas s’oublier
Le studio propose d’incarner ces deux enfants, qui se rencontrent au détour d’un petit larcin du garçon. Pour les besoins de l’histoire, nous jouons soit l’un, soit l’autre enfant. Ils ne veulent plus se quitter et se prennent souvent par la main, pour rester ensemble, et survivre ensemble. Cette alliance est nécessaire pour résoudre des énigmes et des puzzles, d’autant que chacun dispose d’atouts différents très utiles.
D’ailleurs, si les énigmes narratives servent correctement l’histoire, il arrive que les puzzles, très variés, soient un peu déconnectés du fil rouge (si je puis me permettre ce trait d’humour, puisque le rouge représente la petite touche esthétique du jeu, tout en nuances de gris sauf pour les objets avec lesquels interagir, et marquer la différence, comme j’en reparlerai sans doute), mais cela n’est pas vraiment dérangeant. La difficulté est bien dosée, parfois même représente de véritables défis d’agilité, et c’est très sympa. Beaucoup de puzzles ressemblent à un entraînement cérébral très beau et assez efficace. Certains trouveront le jeu facile s’ils ont l’habitude des énigmes, mais pour ceux qui n’en font pas souvent, la difficulté sera réelle.
Et l’entraînement cérébral, c’est important pour limiter l’impact de toutes sortes de maladies neurodégénératives ! Cela représente l’un des intérêts du jeu : on découvre la mémoire du vieil homme, qui l’a gardée particulièrement vive, tout en musclant notre propre esprit. D’ailleurs, le saviez-tu ? Plus on vieillit, plus on se souvient de chaque détail de son enfance, contrairement au reste, qui s’estompe en premier.
Stimuler notre sensibilité pour ne pas oublier notre humanité
Mais My Memory of Us ne parle pas que de l’histoire d’amitié entre ces deux jeunes gens. Elle parle de l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, des crimes qui ont été commis, et plus particulièrement de ce qui s’est passé dans le Ghetto de Varsovie.
A travers la poésie distillée tout au long de l’histoire mise en mots par Paul Magrs, l’esthétique très soignée, la magnifique musique de Patryk Scelina, et la voix envoûtante de Patrick Stewart (Star Trek, X-Men…), le studio crée une alchimie qui stimule notre sensibilité et nous empêche d’oublier ce qui a été. Les dialogues stylisés en rébus et yaourt animalcrossinguesque offrent une immersion totale dans cette enfance brutalisée. Et la gorge peut parfois se serrer douloureusement quand on fait le parallèle entre ce qui est raconté et la réalité historique, en contraste avec la douceur de l’évocation d’une amitié aussi forte.
Alors d’accord, des robots à la place des Nazis, c’est un peu simpliste. Mais c’est très efficace pour signifier à quel point l’être humain peut se déshumaniser facilement, sous prétexte de suivre des ordres. Et la couleur rouge pour créer une différence entre les gens, en parallèle avec l’étoile jaune, ne représente rien d’autre que notre capacité à juger sévèrement autrui, agrémenté de l’intolérance caractéristique de l’aveuglement à la diversité de notre espèce. Oui, ces symboliques sont visibles comme un éléphant au milieu du couloir, et c’est bien le deuxième intérêt de My Memory of Us : il est compréhensible par tous, comme une sorte de langage universel qu’il serait temps que nous retrouvions.
« Mamie t’a déjà raconté ça ? »
Si vous avez des enfants, c’est une question qui risque de fuser si vous y jouer avec eux ou devant eux. D’ailleurs, les points évoqués précédemment permettent de discuter des drames de l’Histoire avec eux. Le style cartoon, le format raconté, le yaourt et les rébus, les personnages enfants, la musique… Tout est pensé pour diminuer l’horreur de ce qui est raconté.
Cela en fait un jeu PEGI 7, mais attention : les commandes ne sont pas toujours faciles en terme de prise en main, et il faut savoir lire les sous-titres rapidement pendant les phases narratives. Ou sinon, vous les lirez très vite à voix haute pour eux. Sauf si vos enfants sont bilingues. Là, ils se laisseront bercer par le Professeur X.
En famille, My Memory of Us devient un support de dialogue, une porte d’entrée sur ce que veut dire « être humain », sur le côté obscur de l’humanité, et sur l’histoire de votre famille, qu’elle ait été concernée de loin ou de près par la Shoah. Nous avons tous été impactés par la Seconde Guerre mondiale, que l’on soit Juif ou non : la guerre, les dénonciations, les tortures, la déportation, la Résistance, l’Occupation, la survie de nos grands-parents et arrières-grands-parents, la terreur et la mort… C’est un drame universel, total, partagé, qu’il convient de transmettre sans tabou.
Un bel hommage aux survivants et survivantes du Ghetto de Varsovie
Évidemment, certains et certaines peuvent souffler : « encore un jeu sur la Seconde Guerre mondiale ? Ils en ont pas marre ? ». Eh bien non, et heureusement. Au regard de l’actualité politique et sociale de la fin des années 2010, il est plus que nécessaire de se souvenir de ce qu’il s’est passé 80 ans plus tôt, de comment ça s’est passé, et de comment c’est arrivé. Autant l’oubli peut être salvateur sur le court terme, autant affronter ce passé commun à tous, l’assumer ensemble et empêcher que cela recommence, où que ce soit et avec qui que ce soit, devient l’unique solution pour réparer et devenir des êtres humains meilleurs.
Incarner ces deux enfants qui se battent pour survivre, ne pas céder à la folie et à l’absurdité de la situation, nous permet de comprendre comment la tolérance, la coopération et l’amour au sens le plus large, sont le ciment même de notre humanité. Et pour ne rien gâcher, les souvenirs à collecter tout au long de l’histoire rendent hommage aux survivants, aux héroïnes et héros qui ont sauvé tant d’enfants des horreurs qui les attendaient. A nous de faire nos recherches ensuite pour comprendre, apprendre, et ne pas oublier. Ni ces personnes, ni le courage d’être humain.
My Memory of Us a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Bien sûr, My Memory of Us n’est pas le jeu du siècle, mais pour un temps de jeu de 3 à 6h, avec rejouabilité intéressante si on veut débloquer tous les trophées ou succès, la qualité est plus qu’au rendez-vous. Et il vaut le coup, rien que pour sourire et pleurer sur le message final…
bob thebob
Mes parents ont trouvé ça drôle de m’appeler Bob, notre nom de famille étant Thebob. Ça vous en bouche un coin ? Moi pas. Pour une raison simple : je n'en ai pas, de coin. Du coup, même si je
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