Point and click néo-noir situé dans un monde futuriste perturbant, Murder on Space Station 52 est une proposition curieuse du micro studio Made From Strings. Elle aurait gagné à faire davantage confiance à son intrigue, et un peu moins à ses puzzles à la qualité très variable.
C'est un cliché de le dire, mais le jeu vidéo, c'est souvent une histoire d'équilibre entre de la narration et du gameplay, et à la fin, c'est la narration qui perd. C'est un peu exagéré, certes, mais c'est tout de même assez fréquent : le gameplay, c'est un grand destructeur d'histoires. Les jeux qui arrivent à articuler les deux de manière organique et élégante existent, mais ils ne sont pas si fréquents. Il y a des approches pour limiter cet écueil. Par exemple, séparer complètement le gameplay de la quête principale et celui des quêtes annexes, comme peuvent le faire les jeux Like a Dragon. Ou au contraire décider de s'en foutre entièrement et d'assumer une dissonance constante au service du jeu. Ou encore intégrer son gameplay à la raison même d'être du scénario. Et puis il y a ces titres dont l'approche est calquée sur celle de la vénérable série Professeur Layton : ceux qui décident que vous vivez dans un univers peuplé de psychopathes qui aiment que chaque aspect de leur univers soit un sudoku, un tableau électrique à recâbler ou un trictrac à résoudre. Portes, machines à laver, ascenseurs : pour eux, tout doit être une page de Télé 7 Jeux. Et pourquoi pas, à condition que ces énigmes en cascade tiennent la route.
Le shérif de l'espace
Rendons à César ce qui est à César : la critique que vous allez lire n'est pas très positive, mais Murder on Space Station 52 mérite quand même pas mal de louanges. Particulièrement en ce qui concerne son scénario, ou plutôt son univers. Car ce qu'il raconte n'est pas si novateur ni si complexe : un mécanicien fraîchement débarqué dans une station spatiale se retrouve obligé d'enquêter sur le meurtre de son prédécesseur. Un meurtre qui gravite autour d'un "tueur au trousseau" obsédé par les clés. Le tout avec un ton clairement inspiré des classiques du polar néo-noir : ambiances louches, musiques blues inquiétantes et femmes fatales vénéneuses seront au programme. Mais la manière dont tout ceci nous est narré fonctionne du tonnerre, grâce à un univers admirablement bien mis en scène.
La fameuse station spatiale 52, en réalité une petite colonie de peuplement artificielle, est en effet un des endroits les plus bizarres qu'il m'ait été donné de voir dans un jeu vidéo. Complètement défraîchi, cet ancien bijou de la technologie du voyage intergalactique tombe désormais en ruines et ressemble de plus en plus à un vaste dégât des eaux intergalactique. Il y règne en effet une ambiance aquatique étrange : les aliens qui habitent le coin ont des airs de pieuvres et d'hommes-poissons, toute la faune barbote dans des aquariums rouillés, et chaque tableau m'a fait me sentir à la fois sale et humide.
Plus on avance dans le jeu, et plus ce côté extrêmement bizarre est totalement assumé, sans jamais nous être étalé à la figure. Murder on Space Station 52 est un excellent exemple de "show, don't tell", puisqu'il n'est pas très bavard et globalement assez économe d'exposition. On comprend à quoi a pu ressembler la station dans le passé, et on comprend très bien comment elle a pu se dégrader à ce point. On ne nous dira jamais explicitement que les gens qui habitent encore ici sont globalement de pauvres diables qui n'ont plus nulle part où aller, mais chaque chapitre du jeu nous le fait comprendre à sa manière. Même le protagoniste que l'on incarne est nimbé d'une aura de mystère sur laquelle la narration n'a pas besoin de s'attarder pour fonctionner. L'aventure est belle, intense et mystérieuse. Voilà, ça, c'était ce qui, à mon sens, fonctionne bien là-dedans. Et retenez que c'est déjà beaucoup, surtout pour un aussi petit studio que Made From Strings. Le problème, c'est qu'il y a un jeu par-dessus cette histoire.
Capitaine crochète
Je dirais que le principal problème de Murder on Space Station 52, c'est l'inélégance de ses omniprésents puzzles, ainsi que leur qualité assez variable. Dans la station spatiale, il ne semble pas possible de faire un pas sans que des gens nous demandent de manière tout à fait artificielle et systématique de réparer trois fusibles, de résoudre tel code écrit sur un coin de table ou de manipuler telle grue activée par des glyphes à replacer dans le bon ordre. On se retrouve continuellement dans des séquences de type "Oui bien sûr détective, je vais vous orienter vers le suspect, mais avant, pouvez-vous réparer mon interphone en utilisant le nuancier codé de ce robot répondant à des commandes en fonction des dessins tracés sur le clavier" ?
Certains chapitres du jeu ne vous proposent ainsi aucune autre interaction avec les PNJ que ce type de farces, et c'est assez désagréable. De fait, vous allez passer 80 à 90 % de votre temps de jeu devant des interfaces de puzzles, davantage qu'à vous imprégner de l'univers. D'autant plus dommage que si certaines énigmes sont assez bien senties, leur niveau est globalement assez mal réglé et sans véritable gestion de la courbe de difficulté. On peut passer en quelques minutes d'un câblage à reconstituer niveau CM1 à des énigmes à l'énoncé totalement abscons et délivré sans aucune forme d'indice ni d'explication claire.
Cette absence de système d'indices ou d'assistance (pourtant devenue assez commune dans les point and click du genre) n'est pas uniquement un problème parce que je suis un gros bêta qui a du mal à résoudre des puzzles complexes. C'est le cas et j'assume. En revanche, Murder on Space Station 52, c'est aussi régulièrement des énigmes basées, par exemple, sur la perception des couleurs, sans prendre en compte une seconde le fait qu'elles sont peu, voire pas du tout accessibles aux daltoniens. En tant que personne concernée, je dois dire que c'est toujours un peu décevant quand un jeu propose ce type d'approche sans déployer aucune des (nombreuses) solutions pour designer ses énigmes autrement. En tâtonnant un peu (et par là, je veux dire : en bruteforcant les puzzles, en faisant n'importe quoi, en hurlant jusqu'à ce que ça marche), j'ai fini par en voir le bout. Mais ça reste un peu dommage.
Murder on Space Station 52 a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 5, Nintendo Switch et Xbox Series.
Même si c'est quelque chose que je fais de manière rarissime dans un point and click, j'aurais presque préféré parcourir Murder on Space Station 52 avec la possibilité de sauter toutes les énigmes pour juste pouvoir me concentrer sur l'intrigue. Ce polar surréaliste, bizarre et mystérieux est assez bien ficelé pour qu'on ait envie d'y rester quelques heures de plus, mais cette réussite thématique et esthétique se double d'un puzzle game assez approximatif. Il ne manque pas grand-chose pour qu'on passe un excellent moment, ceci dit. C'est frustrant.
Les + | Les - |
- Ambiance et scénar au top | - Les énigmes pas toujours très inspirée |
- Quelques rebondissements intéressants | - Manque d'accessibilité |
- Bande-son très réussie et immersive |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024