Dans Mullet Madjack, vous n'avez plus qu'une poignée de secondes à vivre. Pour gagner quelques instants de répit, vous devez dessouder des robots milliardaires capitalistes. Bon, écoutez, au moins, c'est une perspective réjouissante.
J'en ai une bien bonne : c'est le fast FPS à la Doom 2016, les boomer shooter à la mode depuis quelques années, le roguelite et la popularité des animés japonais dans le Brésil des années 90 qui rentrent dans un bar. C'est pas vraiment une blague, en fait, c'est juste l'histoire de la jeunesse de HAMMER95, un studio qui sort un premier jeu brutal, nerveux, situé aux confins de la stupidité et du génie. J'avoue que je ne sais pas exactement comment, mais ce jeu de massacre dégénéré, fluo et braillard tombe du bon côté de la tartine. Sans doute parce qu'il est excessivement accueillant et accessible et arrive presque toujours à maintenir son rythme frénétique.
Fiche le camp, Jack
Si on devait traiter Mullet Madjack par le prisme de son scénario (ne riez pas, il y en a un), il dépeindrait probablement le monde le plus bigrement dystopique de toute la SF contemporaine. Dans un futur atroce, l'argent et le pouvoir sont désormais détenus par des super-IA qui ont installé un minuteur relié au cœur des gens. C'est comme ça : on peut vous buter à distance en quelques secondes, pour rigoler. Ou si vous ne consommez pas assez de paires de godasses. Ou juste sans raison, comme ça, pouf. Dans ce monde joyeux, Jack participe à un jeu télévisé dans lequel il a dix secondes (quinze si vous jouez en mode facile) pour distraire les foules. S'il n'arrive pas à tuer un robot de manière sanglante dans ce laps de temps, il meurt.
Dans cet OVA-FPS il est donc question d'à peu près une seule chose : foncer en hurlant dans des couloirs bourrés d'ennemis pour gagner quelques battements de cœur de plus en tuant tout le monde. Un concept qui subit quelques variations intéressantes au gré d'un scénario pas si débile que ça, mais qui, manette en main, prend quand même la forme d'une des tueries les plus intenses jamais vues dans un jeu vidéo.
Mullet Madjack n'assume d'ailleurs pas seulement une esthétique évoquant les années 85-95 de la japanime cyberpunk, il évoque aussi un certain héritage des jeux vidéo d'arcade de cette époque. Sa structure en minuscules niveaux ne durant qu'une ou deux minutes avec un gros boss à dégommer en fin de chapitre est un héritage de la préhistoire vidéoludique. Durant l'aventure, on escalade une tour façon Le Jeu de la Mort, une structure qui fut calquée dans des classiques vidéoludiques comme Shinobi, Karateka et autres Kung-Fu. Mais Mullet Madjack ne se contente pas de transposer ce genre de dispositif en 3D et de rajouter beaucoup de sang et de rouille à la formule : il la modernise en proposant une dimension stratégique de roguelite et une modulation de la difficulté tout à fait moderne.
L'école de la rouille
Cette modulation de la difficulté, justement, mérite qu'on s'y attarde un instant. Mon principal reproche à nombre de fast FPS contemporains, c'est leur côté décourageant si l'on n'est pas déjà un joueur aguerri. Un côté gatekeeping irritant qui ne vous laisse progresser qu'à coups de sang et de larmes et qui est quasiment fait pour dégoûter les moins doués tout en flattant l'égo des plus agiles. Mullet Madjack a l'approche inverse.
On peut parcourir l'aventure via six niveaux de difficulté différents. Le premier désactive complètement le timer et est idéal pour se familiariser avec les commandes de Jack et apprendre à progresser en rythme sans être frustré par le compteur. Les niveaux moyens donnent une modulation agréable sur le nombre de secondes disponibles et le comportement des adversaires, tandis que les niveaux élevés vous forceront à tuer à peu près un robot toutes les deux secondes, uniquement de manière "artistique" (électrocution, coup de fusil dans les baboules, etc.)
Et le tour de force de cette modulation, c'est d'arriver à livrer à peu près les mêmes sensations et la même intensité de combat sans se sentir obligé de vous juger. Mullet Madjack veut ostensiblement vous voir progresser et vous donne toutes les armes nécessaires pour vous entraîner à enchaîner les kills de manière de plus en plus efficace. De fait, au bout de quelques heures de jeu, j'ai naturellement pu remonter la difficulté de deux crans sans me sentir brutalisé par un jeu qui abat ses cartes assez vite. Vite, mais avec une courbe de difficulté très bien dosée.
Katana que l'amour
Il faut dire que Mullet Madjack, pour un jeu de sa (petite) envergure, est particulièrement généreux dans ce qu'il vous propose pour dégommer de la tôle. À la manière de tout bon roguelite, vous allez régulièrement récupérer des améliorations temporaires pour booster les capacités du protagoniste, et ponctuellement débloquer des boosts permanents pour vos runs futures. Et la gestion de ces bonus permet de modeler radicalement l'expérience du massacre pour l'adapter à votre style et monter progressivement en niveau.
Après quelques tentatives, vous allez ainsi débloquer des armes modifiant radicalement le gameplay (une run "katana de feu" a un feeling très différent d'une run "fusil à pompe") mais aussi la manière d'enchaîner les kills. Choisir des améliorations perforantes permet par exemple de stocker davantage de secondes de vie en dégommant des ennemis en enfilade, mais prendre une arme à dégâts proches permet de gagner du temps en ouvrant les portes blindées plus vite.
Pour valider vos progrès dans l'escalade de la tour, il faut généralement parcourir une dizaine de niveaux qu'il est possible de boucler en une minute à peu près. Ce qui vous fait sept ou huit choix stratégiques d'upgrades à sélectionner avant le boss suivant : de quoi offrir des possibilités de synergie et de combo impressionnantes. Au fond, Mullet Madjack a réussi le petit exploit de proposer une quantité très raisonnable d'éléments mais sans créer une sensation de trop peu : sept types d'environnements différents, une dizaine d'armes, et pas mal de bonus pour moduler le tout. Ce n'est pas énorme, mais tout ici fonctionne à merveille.
Mullet Madjack a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Je ne vais évidemment pas conseiller Mullet Madjack à n'importe qui. Avec son rythme ultra-frénétique, sa bande-son agressive, son côté fluo clignotant et ses explosions de cervelle d'androïde à foison, il vous laissera peut-être de côté si vos genres de jeux préférés sont les poèmes interactifs intimistes. Mais dans son domaine restreint et précis, il se pose comme une des productions les plus accessibles, fun et addictives de 2024. Malgré le look du héros, qui est à mon sens davantage un crime que le fait d'atomiser des cerveaux de robots capitalistes pendant une demi-douzaine d'heures. Même si c'était probablement cool dans un certain passé mythifié.
Les + | Les - |
- Concept simple mais décliné de manière astucieuse | - La DA criarde pourra irriter |
- Très accessible | - La physique des sauts est désastreuse (même si on ne saute pas beaucoup) |
- Courbe de diffficulté parfaitement gérée | - Le roster des ennemis manque un tout petit peu de variété |
- Richesse assez épatante des différentes builds | |
- Les boss offrent une variation bienvenue |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024