Tout a été dit sur le jeu de chasse aux monstres de Capcom. Itération ultime, parfaite porte d’entrée à l’univers d’une franchise aux 40 millions de titres vendus, ouverture sur le grand public, beauté et richesse de l’univers. Inutile de revenir là-dessus : Monster Hunter World est à la fois un grand jeu, et une impressionnante modernisation d’une série jusqu’ici peu réputée pour son accessibilité. En ce qui me concerne, rien ne devrait me parler là-dedans : je déteste le craft, je déteste les systèmes opaques, je déteste le jeu en coop. Mais avec l’épisode World, Capcom cherche manifestement à capter les gens comme moi, en leur offrant une expérience différente et amusante. J’ai donc mis mes a priori de côté et tenté l’aventure Monster Hunter en solo total, sans aide ni guide (même pas Youtube), armé uniquement de ma patience, en me demandant si Capcom arriverait à me séduire avec son étrange concept et avait équilibré son titre pour un ronchon individualiste tel que moi.
Monster Hunter World, mais en solo et sans expérience
Ma chasseuse sera une grande rousse nommée Zali (comme tous mes personnages de RPG customisables). Je suis immédiatement estomaqué par la qualité de l’éditeur de personnage, si poussé et précis qu’il permet sans nul doute de créer des versions tout à fait crédibles de Jésus, Staline et Kad Merad, pour peu qu’on en ait l’envie et la patience. La contrepartie : votre personnage sera désespérément muet, l’histoire vous étant narrée par le biais d’autres personnages. Après tout : il faut que ça s’adapte à n’importe quel avatar. On me propose ensuite de me créer un « palico », sorte de familier/petit chat mignon humanoïde. Je crée un adorable chaton nommé « Monsieur So6 », qui m’accompagnera dans mes aventures.
Jusqu’ici, tout est simple et compréhensible, ce qui est tout à l’honneur d’une franchise réputée pour son côté dense (pour ne pas dire de gros mot). Le scénario, sans être très intéressant, est très immersif, et implique le joueur dans une grosse mécanique, sans en faire le héros messianique classique du genre. Dans cette sombre histoire d’exploration d’un continent lointain peuplé de gros dinosaures par une guilde d’aventuriers, vous êtes un des nombreux pions contribuant à la réussite de toute votre guilde. Le jeu a l’intelligence de placer le joueur au cœur d’un écosystème humain et animal qu’il ne maîtrise pas, et qu’il ne maîtrisera jamais vraiment. Vous êtes un rouage, vous n’êtes pas LE rouage. C’est parfois grisant.
De toute façon, les premières heures de Monster Hunter World vous font bien comprendre que votre objectif ici n’est pas de dominer votre environnement, mais simplement d’y survivre, vous, petite chose perdue au milieu de monstres grands comme des montagnes. Et que la petite colonie d’Astera qui sert de Hub aux joueurs ne tient sa misérable survie qu’à la capacité de chacun à y ramener de la viande et des matières premières à même d’améliorer un peu l’ordinaire.
Et de fait, c’est ce que vous allez passer l’essentiel de votre temps à faire, plutôt très bien pris par la main par une série de tutoriels vraiment bien pensés. Monster Hunter n’est pas un jeu méchant : on vous explique avec assez de douceur et de patience comment vous allez passer du temps à vous planter, et pourquoi ce n’est pas grave. Car à ma grande surprise, et bien que le titre de Capcom soit parfois difficile, il n’est pas impitoyable. Il est rarissime qu’un échec ne vous apporte pas quelque chose : quelques éléments d’armure, des champignons, la validation d’une quelconque quête annexe, la mise à jour du bestiaire, ou la découverte d’un nouveau recoin inconnu d’une des cinq grandes maps du jeu.
Incroyable : me voici ambiancé par du craft !
Le Craft est un élément pour lequel j’ai le plus souvent une grande aversion. Rarement bien pensé, souvent prétexte à forcer des boucles de gameplay un peu nulles, manière d’ajouter du contenu sans ajouter d’intérêt ludique, et générateur infini de tableaux et de sous-menus pléthoriques et peu lisibles, je considère que le craft est le plus souvent un cache-misère de systèmes peu organiques et mal pensés.
Mais si la densité des menus est bien là, Capcom réussit le tour de force de créer une expérience où, à défaut d’être agréable, la navigation dans les menus est facile. De nombreux processus sont automatisables (la création des potions et des remèdes, par exemple), les fonctions de tri sont bien pensées, et le joueur se voit rapidement doté de la possibilité d’identifier des « favoris », sortes de pop-up qui vous signalent le moment où le slip en peau de dinosaure de vos rêves est prêt à être forgé dans la boutique prévue à cet effet. Dans ma perspective d’exploration solitaire et lente, je n’ai à aucun moment ressenti le moindre besoin d’aide autre que celle fournie par le jeu. Malgré la profusion de centaines et de centaines d’éléments à combiner, j’ai rarement eu à y mettre le nez plus loin que lors de courtes séances de création d’objet, une fois toutes les deux ou trois heures. De nombreux éléments ne sont utiles que si vous choisissez de manier telle ou telle arme, et vous apprenez bien vite à les ignorer.
Pour le joueur qui serait plus précis et acharné que je ne le suis, ou qui voudrait planifier ses tâches avec une précision plus accrue, il me faut noter que les possibilités offertes par le fruit de vos chasses sont plutôt impressionnantes, et s’adaptent largement au style de jeu que vous adopterez. Ayant choisi un style plutôt offensif (combat rapproché à deux lames, très mobile), j’ai ainsi rapidement pu créer des potions renforçant ma vitesse et mon endurance, des pièges étourdissant les monstres à mon approche, et des balles de lumière pour désorienter mes adversaires. De la même manière que j’aurais pu miser sur des potions beaucoup plus défensives si j’avais choisi d’incarner un tank, ou un joueur de cornemuse de combat (oui : c’est un truc dans Monster Hunter, pas avare en bizarreries).
Ce qui m’a frappé à mesure que le jeu me prenait par la main, assez discrètement, de quêtes en quêtes pour me faire découvrir la plupart des subtilités de celui-ci, c’est à quel point il semblait s’adapter à mon choix de jouer seul et en combat rapproché. Le niveau des monstres, adapté au nombre de joueurs en jeu, n’a jamais véritablement été un problème. Comme je le disais, il est rare de ne rien retirer d’une chasse, même infructueuse, et je n’ai jamais à aucun moment ressenti le sentiment de mur impossible à franchir. Simplement, au fil des chasses s’est installé un sentiment mélancolique. Jouer à Monster Hunter seul, c’est jouer à Monster Hunter SEUL.
Si les quelques heures que j’ai pu pratiquer en multi se sont rapidement posées comme des expériences fun et colorées, où tout le monde courait joyeusement après les monstres, les quarante-et-quelques passées en solo ont été une expérience de patience et d’observation, à ramper dans des jungles et autres ravins putrides, à suivre les traces de ma proie avec patience, à éviter les prédateurs trop violents pour moi, et à enfin fondre sur ma proie, pour souvent finir en silhouette imprimée sur la paroi la plus proche. Et ce avec un rythme presque religieux : préparer sa chasse, c’est méditer. Abattre le monstre, c’est chanter pendant la cérémonie. L’un ne va pas sans l’autre, et rares sont les jeux à avoir pu transmettre ce sentiment. Rares sont les jeux qui peuvent placer le joueur face à lui même, à l’écoute de ses cinq sens, dans une nature hostile. Et tout le gameplay, toute la direction artistique (superbe) sont arqués autour de la facilitation de cette expérience. De ce moment de solitude glorieux face aux monstres qu’on vous demande de ramener envers et contre tout.
Les limites de l’exercice : avoir un travail à côté.
Ce n’est pas vraiment un défaut, mais Monster Hunter World est un jeu exigeant et chronophage. Très rapidement, vous comprendrez, a fortiori en solo, que gérer tous les aspects de la vie d’un chasseur n’est pas spécialement complexe, mais vous prendra du temps. Rassembler les ressources autour d’un projet de piège ou de pièce d’armure. Apprendre (souvent par la défaite) le comportement et les immunités d’un monstre. Préparer les ingrédients pour des repas ou des potions destinés à renforcer vos compétences. Passer du temps à vous entraîner, ou dénicher de nouveaux emplacements de camps dans une des cinq grandes maps du jeu. Cela vous demandera, pour être maîtrisé, des dizaines d’heures, à fortiori seul avec la simple assistance des différents tutoriels du jeu.
Entendons-nous bien : à aucun moment ce que vous ferez ne sera pénible ou répétitif. Chaque mouvement est l’occasion d’apprendre, et la structure du jeu vous ouvre peu à peu toutes ses possibilités, tout au long d’une quête principale plutôt rythmée. Mais comprendre et vivre pleinement l’expérience Monster Hunter World, c’est faire un deal avec le jeu : oui, l’expérience est agréable et la montée en puissance parfaitement mesurée. Mais non, on ne rentre pas dans ce titre comme on rentre dans un Mario ou un Rayman. La simple maîtrise d’une arme (parmi une quinzaine possible, chacune avec son propre gameplay) vous demandera plusieurs heures. Chaque nouveau monstre vous conduira à des chasses pouvant avoisiner l’heure de jeu. Et chaque monstre se voit décliné en variantes (tuer, capturer, affronter une version plus difficile, tuer plusieurs monstres à la suite, affronter dans un Colisée étriqué…), autant d’expériences qui vous font, à chaque fois, reconsidérer longuement ce que vous avez appris.
Si je me suis amusé tout au long de mon parcours dans le jeu, je n’ai véritablement commencé à comprendre ce que je faisais qu’au bout d’une vingtaine d’heures. Pour finalement comprendre que les automatismes mis en place n’étaient au fond que les prémices à une véritable maîtrise de ce que je pouvais faire avec mes deux épées, mes pièges électriques et ma fronde. En cela, Monster Hunter World, en coop mais a fortiori en solo comme je l’ai pratiqué, exige du temps, et tout le monde n’en a pas. La déception serait cruelle pour le joueur qui n’aurait que vingt minutes à y consacrer par-ci par-là. Cette idée est à peser avant tout achat du titre de Capcom.
Savoir s’incliner face à un putain de grand jeu
A quelques broutilles près (une caméra parfois capricieuse, quelques lourdeurs dans tel ou tel menu, des moments un peu mous dans la progression au milieu de la quête principale…), je n’ai rien d’autre à reprocher à Monster Hunter World. En tant que titre se revendiquant coop et multi, je pensais le prendre en défaut en faisant le choix d’y jouer seul et sans aide extérieure. Mais je n’ai pu que constater que le jeu avait été tout autant pensé et équilibré pour le offline que pour le online, ce dernier étant d’ailleurs parfaitement instinctif et pratique.
Exigeant mais jamais injuste, bénéficiant d’un contenu titanesque et d’une politique de mise à jour très généreuse tout en ne s’éparpillant jamais, cet épisode est à la fois exemplaire vis à vis de la franchise qu’il entend rebooter, et une leçon de design à l’attention des autres titres AAA de ces dernières et prochaines années. Parfois, il n’y a rien d’autre à dire que cela. Monster Hunter World est une milestone, un moment dont on reparlera dans des années, et un monument auquel on comparera une partie de la concurrence jusqu’à la nausée, comme on a pu le faire pour les Dark Souls et autre Bloodborne.
Pour peu que vous ayez devant vous le temps et l’énergie nécessaires pour vous plonger dans une fresque désespérée et intimiste en tant que pion minuscule dans une mécanique gargantuesque de chasse au monstre, vous ne devriez sous aucun prétexte rater la chance de découvrir un titre qui, bien que sorti en tout début d’année, soit déjà un très sérieux prétendant d’expérience la plus fabuleuse de 2018. Et ne laissez personne vous dire que vous êtes obligés de faire ça avec des NEET japonais que vous n’avez jamais rencontrés : seul contre la machine, c’est moins rigolo, mais nettement plus intense.
Le pari de Capcom de créer le jeu multi de chasse au monstre parfait est réussi, mais ça, nous le savions déjà tant les retours critiques sont triomphants. Mais Monster Hunter World est aussi un formidable jeu solo, immersif et exigeant, qui tiendra son rythme et sa tension tout au long des dizaines d’heures que vous pourrez y consacrer sans que jamais l’expérience redevienne redondante. Bijou de design et d’accessibilité, aussi bien pensé pour de longues traques solitaires que pour de la chasse en groupe façon cartoon, Monster Hunter World est à la fois l’aboutissement d’une formule entamée sur Playstation 2 en 2004, et la porte d’entrée rêvée pour tout joueur rêvant d’une aventure chronophage et haletante comme le Japon en était jadis coutumier. Peut-être un des seuls jeu qui m’aura fait regretter de ne pas mettre de note sur The Pixel Post, car Monster Hunter World aurait, sans nul doute, frisé le maximum.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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