Jeu d'aventure dystopique vous plongeant dans un Taïwan ravagé par un capitalisme en roue libre ayant laissé l'économie entière aux mains d'IA, Minds Beneath Us ne va certes pas vous remonter le moral. Mais le titre de BearBoneStudio va faire passer un excellent moment à tous les amateurs d'anticipation audacieuse.
L'IA telle qu'on l'entend depuis quelques années n'est pas encore pleinement traitée par les jeux d'aventure narratifs. Bien sûr, le fait que des intelligences artificielles ou robotiques puissent profondément changer nos modes de vie est un truisme vidéoludique, de Horizon Zero Dawn à 2064: Read Only Memories. Mais les conséquences directes de "l'IA générative" dans les décennies à venir, avec leur immense besoin en énergie, et les répercussions directes sur l'organisation du monde du travail et de la société en général, c'est encore assez rare. Dans l'Asie étouffante de Minds Beneath Us, la solution a été toute trouvée : l'énergie nécessaire à faire tourner les petabytes peut se trouver au sein même du cerveau humain. Au risque de créer une armée de zombies vendant leurs corps pour servir de datacenter et alimenter une machine toute dévouée à détruire la nature même de presque tous les corps de métiers possibles et imaginables.
Les personnes aux deux personnes
Fondamentalement, Minds Beneath Us n'est qu'un énième technothriller à néons violets situés dans une mégalopole asiatique du futur. On arrive en terrain un peu trop connu, et les premières dizaines de minutes, servant de tuto, déroutent. Dans la peau d'un chef de gang prisonnier d'un hôpital militaire, on doit résoudre quelques puzzles pour sortir d'une pièce verrouillée. Mouif. Et soudain, heureusement, tout bascule : tout ceci était une illusion, le décor s'efface, tout s'écroule autour de nous. Une entité nous révèle alors notre véritable nature de pur esprit, obligé de fuir dans les tréfonds du cerveau de quelqu'un d'autre.
Dans Minds Beneath Us, vous vous retrouvez donc à squatter l'esprit de Jason, un jeune homme dont vous ne savez quasiment rien. Aucun briefing, aucun avertissement, et une intro in media res dans son quotidien, alors que sa compagne entre et vous demande si vous êtes prêts pour demain, et d'aller lui chercher le techno-bidule à l'endroit habituel. Il vous incombe ainsi de faire les bons choix, et de donner le change en essayant d'imiter au mieux celui que vous pensez remplacer. Le tout en étant généralement assez limité, via des réponses à choix multiples plus ou moins nombreuses en fonction des indices récoltés. Et bon courage pour roleplayer ce type que vous devinez pas franchement sympa auprès d'une petite copine qui le connait sur le bout des doigts !
Toute l'intrigue de l'aventure, au ton particulièrement désespéré, tourne autour de l'idée d'un monde ressemblant encore en apparence relativement au nôtre, mais où ce concept de "louer du temps d'esprit" est devenu une réalité matérielle concrète. À mesure que toutes les strates de la vie quotidienne ont été automatisées, du travail manuel au management en passant par l'enseignement ou la gestion des catastrophes, des pans entiers de la société ont été mis sur le carreau du marché de l'emploi. Jason va alors intégrer une "ferme de flops", lieu où sont recrutés et exploités des travailleurs pauvres chargés d'installer des modules cérébraux pour traiter des données.
Tout ça, c'est dans la tête
Il faut dire que désormais, tout n'est plus que données. Et données qui traitent d'autres données. Et la principale question politique est leur répartition en fonction de ce qui est plus ou moins prioritaire. Si l'IA des infrastructures de transport juge qu'un bus rempli de cadres supérieurs est plus important qu'un bus d'ouvriers vivant dans un quartier excentré, elle attribue les données nécessaires en priorité au véhicule important, et vous arrivez en retard au boulot. Prenez cette simple anecdote et appliquez-la à absolument tout : c'est la toile de fond de Minds Beneath Us.
Vous allez devoir accomplir votre parcours d'imposteur, donc, en explorant les rouages d'une structure chargée de recruter de pauvres gens contraints (généralement par des problématiques médicales et d'absence d'assurance) d'accepter de louer leur cerveau, avec les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur la santé. Une sorte de travail de dernier recours, façon cobaye de laboratoire, mais appliqué à des dizaines de milliers de pauvres hères. Le tout supervisé par des employés de bureau humains bossant dans une ambiance relativement détendue, puisqu'ils sont du bon côté de l'extracteur de cerveau. Détendus, mais obsédés par la rentabilité et l'efficience. Car après tout, une ferme efficiente, c'est une ferme qui vend le plus de données possible au système tout en arrivant à ne pas donner trop de primes ni de bonus à ses cobayes. Une question de cost management avant tout.
Tout au long du jeu, on progresse avec notre avatar dans la compréhension des rouages infernaux de cet univers pourtant assez quotidien et banal, en devant faire les bons choix et convaincre les bonnes personnes. Et ce à mesure qu'une conspiration épouvantable se dessine en creux derrière tout cela. C'est probablement le point le plus stupéfiant de l'aventure, outre sa superbe direction artistique et son sens parfaitement ciselé des dialogues : Minds Beneath Us est une aventure cyberpunk terriblement vraisemblable.
Les gens ont toujours des crush et des rendez-vous amoureux. Ils sortent au restaurant, vont à l'école, ont des grands-parents à la campagne. Ils regardent la télévision, planifient leurs fiançailles ou passent du temps à s'occuper de leurs animaux domestiques. Il y a toujours des élections, portées par des politiciens médiocres, avec des promesses douteuses. Ce n'est pas un grand gouffre qui aurait séparé le présent cyberpunk de toute racine passée. C'est une lente dégradation en train de s'accélérer, acceptée par tout le monde parce que "c'est comme ça". Une vision absolument terrifiante, soulignée par un personnage obligé de louer son cerveau après s'être fourré dans une panade inextricable. "Que voulez-vous que j'y fasse ? Que je porte plainte ? Qu'est-ce que ça changerait ?". Ce moment m'a davantage terrifié que tout le reste du jeu et ses propos lugubres sur le futur d'une société mécanisée dans laquelle plus personne n'a de place ni d'utilité.
Minds Beneath Us a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Rien ne distingue vraiment le gameplay de Minds Beneath Us de la pléthore de jeux à choix narratifs en temps réels apparus depuis une quinzaine d'années, de Telltale aux productions Supermassive Games. On avance, on récolte des indices, on fait des choix, et on est occasionnellement confronté à une action "réflexe". La prise en compte de vos actions et les conséquences induites sont, d'ailleurs, plutôt dans le haut du panier du genre. Mais plutôt que cette mécanique bien rodée, c'est le fond du propos, terrible, mais lucide, qui me restera en tête. BearBoneStudio a livré une première copie magnifique qui embrasse pleinement les codes du cyberpunk pour livrer une fable politique étouffante, mais épatante.
Les + | Les - |
- Le monde présenté est vraisemblable et cohérent | - Hélas, pas de VF |
- Les choix opérés dans l'intrigue s'articulent de manière cohérente | - Quelques bugs restent à corriger |
- La direction artistique originale et efficace | - L'interface d'enquête, pas toujours très pratique |
- Un sens du dialogue remarquable | |
- Déprimant, mais inspirant |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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