Quand j’étais petit, on m’emmenait régulièrement dans des aquariums. Les aquariums, c’est cool, j’aime leur mystique totalement différente du zoo : des néons, des petits placards scientifiques, beaucoup plus de silence, un personnel plus discret, des visiteurs plus introvertis, et un décorum, disons, plus spirituel, méditatif. J’ai visité des tas d’aquariums, et mon préféré de tout l’univers c’était celui de Sumida, au pied de la Tokyo Skytree Tower, parce qu’il est plein de pingouins et d’anguilles étranges et de méduses. Moi, ce que je voulais, c’est un Aquarium Tycoon pour faire mon super aquarium de Sumida rien qu’à moi. Et soudain : Megaquarium.
Je ne sais pas si on vit dans un nouvel âge d’or du jeu de gestion, mais ça y ressemble quand même pas mal. De Game Dev Tycoon à Frostpunk en passant par Jurassic World Evolution, avec des titres à venir poussant encore plus le champ des possibles (regardez ce futur simulateur de trafic dans le métro londonien) les titres de qualité se succèdent, en explorant toujours plus de concepts. Même si le Megaquarium des londoniens de Twice Circled avait tous les atours d’un jeu très modeste, il s’avère, une fois lancé, un très retors générateur de conflits d’egos en bassin fermé. Au risque de ne pas être un si bon jeu de management de parc que cela.
Remue ton Bassin
Rien que dans ses premières minutes et le début de son tutoriel, Megaquarium est plus malin qu’il en a l’air. Vous prenant doucement par la main, il va dans un premiers temps vous faire passer le moment le plus chill de votre semaine. Un aquarium ? Oh, juste un bloc d’eau avec une pompe, un chauffage, un distributeur de granulés et des petits poissons. Et puis très rapidement, on vous signale que vous devriez peut-être acheter des plantes et lancer des recherches pour acquérir de nouveaux poissons.
Jusqu’ici, tout va bien. Les visiteurs affluent. Mais rapidement, ces fieffés passants exigent davantage de poissons. Mais vos nouveaux poissons, plus variés, exigent d’être heureux. Telle variété exige des plantes, d’autres des cailloux, d’autres une température plus élevée, ou encore la présence ou l’absence de poissons de la même espèce. Mais vous suivez toujours.
Et puis soudain, un visiteur casse-pied exige d’avoir des bancs, un autre veut un soda, et un troisième exige que les filtres des aquariums soient cachés derrière des murs et que les toilettes soient facilement accessibles. Vous commencez, doucement, à transpirer un peu, mais vous vous en tirez encore. Vous recherchez de meilleures pompes, de nouveaux types de bestioles, des crustacés, des murènes, des étoiles de mer et des anguilles. Vous embauchez de nouveaux soigneurs, vous mettez à disposition des poubelles, des balais, des établis pour réparer les pompes. Vous apprenez à déplacer les bassins dans des endroits plus en vue, et à refaire la tuyauterie pour reconnecter le tout. Mais vous surmontez l’ensemble des difficultés. Et puis soudain, vous réalisez un beau matin que vous avez placé par erreur une petite murène qui, arrivée à la taille adulte, a bouffé sans ménagement tout le reste de la ménagerie. Et un visiteur vient se plaindre parce que dans le bassin N°38, le décor n’est pas assez varié, et vos anémones de mer se dépérissent parce que vous n’avez pas placé assez de lumière autour de leur bassin. Bienvenue dans la jungle. Bienvenue dans Megaquarium.
Délits de Poissons
Graphiquement très minimaliste, au point où on le confondrait presque avec un petit jeu pour mobile, Megaquarium concentre l’essentiel de ses atouts dans la notion d’équilibrage des bassins et son articulation avec les besoins des visiteurs.
Créer un environnement écologiquement viable ? Au fond, c’est assez simple. Chaque nouvel animal est livré avec sa notice d’utilisation détaillant tout ce dont il a besoin pour grandir et être heureux (température, qualité de l’eau, nourriture, besoins sociaux…) et quelques avertissements (tel poisson mange tel autre, tel autre déteste ses propres congénères etc.) : avec un poil de logique, tout cela est simplissime.
Ce qui vient rapidement compliquer la donne, c’est que vous ne gérez pas une réserve naturelle, mais une exploitation commerciale. Pour lâcher les pépettes nécessaires au développement de votre boutique, un visiteur doit : voir des poissons variés, aimer les décors proposés, boire, manger, s’asseoir, ne pas croiser d’ordures, satisfaire sa curiosité. Vous contenter de créer des écosystèmes viables ne leur suffira rapidement plus, vous poussant à fabriquer des bassins de plus en plus baroques, au risque de rompre l’équilibre entre les animaux et de faire exploser les coûts d’entretien. Il m’est arrivé, piteusement, de constater que j’avais involontairement introduit un poisson tueur au milieu d’innocents crustacés juste pour augmenter le score d’un bassin.
Chaque « niveau » de notoriété de votre aquarium augmentera bien entendu les possibilités, tout en montant les exigences des visiteurs attirés par la bonne réputation de l’établissement. Certains poissons font monter la valeur scientifique (utile pour débloquer de nouveaux éléments), d’autres la valeur de réputation (indispensable pour obtenir de nouveaux animaux). Certains boostent les deux statistiques, et ce sont, surprise, les plus pénibles, les plus rares, les plus chers, et les plus susceptibles de manger leurs semblables. Ils sont aussi plus difficiles à dénicher, vous poussant parfois à devoir effectuer des quêtes secondaires pour des clients capricieux pas très enclins à céder les animaux les plus rares de leur collection pour les mettre sur le marché.
Littéralement anguille sous roche
Megaquarium est donc un jeu consistant à trouver un équilibre entre finances, besoins des visiteurs et des investisseurs et création de biomes écologiquement viables. Et il est sur ce point tout à fait brillant. Dévoilant très progressivement ses atouts, simple en logique et exigeant en pratique, le titre de Twice Circled possède une profondeur étonnante qu’on ne soupçonnerait pas au premier abord. Megaquarium est un excellent petit jeu de gestion, et c’est déjà une belle performance.
Tout n’est cependant pas parfait. Si je vous parlais en introduction de la mystique de l’aquarium, c’est bien parce qu’un aquarium, ce n’est pas n’importe quoi. Je prends peut-être cela trop au sérieux, mais il me semble qu’un aquarium ne consiste pas simplement à aligner des bassins pour y jeter jeter du Captain Igloo : c’est aussi un décorum, des éclairages, une ambiance sonore, l’impression de traverser des mers inconnues, d’être presque un intrus au milieu des méduses. Rien de tout cela dans Megaquarium, avec sa 3D grossière, ses visiteurs à grosses têtes, sa musique d’ascenseur, ses bassins génériques et ses poissons impersonnels.
La limite (relative) de Megaquarium est là. Oui, l’expérience est au final toujours agréable, le niveau de difficulté s’adapte à chacun (il reste globalement assez bas), et oui, on ne voit pas passer le temps. Mais rapidement, la limite graphique et esthétique du titre fait ressembler chacun de vos aquariums à tous les autres. Les possibilités de personnalisation s’avèrent rapidement très limitées, et donner une véritable personnalité à votre établissement est proche de l’impossible. Quant aux visiteurs, ils ne semblent guère être plus qu’un tas de zombies répondant plus ou moins à des sollicitations extérieures, déambulant aléatoirement et ne laissant ni trace ni souvenir dans la tête du joueur.
En chipotant encore un peu plus, et bien que la version légèrement anticipée qui nous a été fournie par l’éditeur était livrée avec une promesse d’amélioration de ce côté, j’ai déploré lors de mes longues sessions de Magaquarium des problèmes de menus et d’interface récurrents. Voire, par certains aspects, des balourdises dans le gameplay. Exemple : il est impossible de poser directement une porte sur une surface, le joueur devant d’abord supprimer le pan de mur concerné, y ajouter une porte, la placer dans le bon sens, etc. De ce point de vue, Magaquarium fait moins bien que les Sims en 2001. Et tout est à l’avenant : après une dizaine d’heures, je n’étais toujours pas fichu de comprendre la logique de certains menus et l’arborescence générale de mes poissons, entassés dans une sorte de grande colonne assez confuse où une louve ne retrouverait pas ses petits.
A n’en pas douter, les développeurs de Magaquarium auront un peu de travail pour simplifier cette interface, rendre plus parlantes l’arborescence et les icônes, et améliorer le confort général pour le joueur, sous peine que le fin équilibre entre les compromis dus au minimalisme de l’expérience et sa compensation faite par des tableaux et des onglets assez denses et nombreux ne soit pas défavorable à l’expérience de jeu. Megaquarium étant à ma connaissance absolument seul sur son créneau, y compris au sein des autres jeux de gestion de parcs animaliers, il serait dommage que l’expérience soit ternie par ces nombreuses petites balourdises de gamedesign et cette généricité graphique. C’est pourtant le cas de la version que nous avons eu entre les mains. Quoi qu’il en soit, Megaquarium demeure un bon jeu. Je crois cependant que la partie enfantine de moi qui était émerveillée à la perspective de revoir encore une fois le Mérou géant de l’aquarium de Nancy attendait, tout simplement, un tout petit peu plus.
Megaquarium a été testé sur PC, via une clé fournie par l’éditeur du jeu.
Jeu de gestion d’aquarium tout à fait efficace, Megaquarium a cependant choisi de mettre le paquet sur l’équilibrage de la vie à l’intérieur des bassins davantage que sur la personnalisation des aquariums et la gestion des visiteurs du parc. Il en résulte un jeu qui, avec son interface parfois confuse et sa campagne assez désincarnée, finit par laisser au joueur l’impression d’avoir davantage géré des tableaux pas très bien agencés que d’avoir vraiment laissé entrevoir les merveilles de la nature à un public de passionnés. Dommage, on ne passe pas très loin d’un indispensable des jeux de gestion de 2018. Pesez-bien le pour et le contre et votre propre goût pour les jeux de gestion un peu désincarnés avant de dépenser la vingtaine d’euros nécessaire à son acquisition.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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