Surfant sur la vague de succès du JRPG à la Persona 5, Mato Anomalies est une tentative du studio Arrowiz de transposer la formule dans un Shanghaï cyberpunk. Sans avoir nécessairement compris ce qui pouvait faire le sel de ce genre de JRPG mélangeant pop culture et légendes urbaines.
Il y a des jeux qui provoquent des impressions ou des émotions contrastées, mais multiples. Un jeu fort bien écrit à la réalisation bancale pourra vite me faire passer des larmes à la colère. Et puis il y a ceux dans lesquels une seule émotion domine, écrasant tout sur son passage. Dans le cas du superbe The Gardens Between, c'est par exemple un profond sentiment de mélancolie qui dominait. Hélas, Mato Anomalies est de cette catégorie de jeu mono-émotionnel. Hélas, parce que dans son cas précis, c'est un profond et abyssal sentiment d'ennui qui m'a emporté d'heure en heure. Ennui devant une histoire absconse, devant des systèmes de jeu vus et revus, devant une réalisation absolument plate. Il y a bien un petit cœur plein de belles idées qui bat sous toutes ces couches de somnifères, mais mazette, il faut aller les chercher bien loin.
Cyberdodo
En ce qui me concerne, "un JRPG / Visual Novel dans un Shanghaï cyberpunk", ça a tout du projet de mes rêves. Des espoirs que Mato Anomalies douche dès les premières secondes, avec une introduction un poil confuse et la certitude que tout ce qu'on verra dans le jeu en matière de Chine Futuriste tiendra à trois néons et deux hologrammes poussifs. On y incarne un certain Doe, un jeune détective qui va se retrouver fourré dans une sale affaire de collecte de renseignement pour le compte de Belladone, une femme-clé dans les milieux interlopes locaux. Rapidement, Doe va se retrouver obligé de fouiller directement dans l'esprit de ses victimes, des palais mentaux dans lesquels se trouvent leurs démons intérieurs et autres obsessions. C'est : exactement pareil que dans les Persona récents, oui. À quelques nuances près, il faut bien le reconnaître.
Tout d'abord, concédons que Mato Anomalies a l'intelligence de séparer son personnage de détective fluet du reste de son équipe. Lui, c'est la tête, et eux, compagnons recrutés au fil de l'eau, ce sont les muscles. On va donc alterner entre des personnages à l'aise dans le monde de l'enquête de rue et ceux qui sont là pour se taper contre des cybermonstres techno-virtuels. Ceci donne à l'équipe une dynamique assez particulière et plutôt vraisemblable. Là où le dispositif prend rapidement l'eau, c'est lorsque l'on constate dès la fin du prologue que ni les parties dans la ville ni les donjons mentaux ne sont capables de déployer le moindre rythme ni la moindre tension narrative.
Il me semble qu'Arrowiz se soit retrouvé face à un dilemme : Mato Anomalies doit-il être avant tout un visual novel misant tout sur son intrigue et son univers, ou un donjon RPG basé sur des combats contre des entités techno-spirituelles ? Une équation déjà assez bien résolue par les jeux Shadowrun de Harebrained, mais qui parait avoir ici causé les pires difficultés. Incapable de vraiment choisir entre les deux genres (auquel il faut rajouter des séquences très malvenues de deck building), l'aventure s'enlise rapidement dans un enchaînement de séquences laborieuses et soporifiques.
Verbeux et confus
La partie narrative est sans doute la plus décevante, car elle était aussi la plus prometteuse. J'ai dans un premier temps été particulièrement dérouté par la version française du jeu, multipliant les pâtés de textes excessivement verbeux et maniérés. Un ton donnant moins l'impression d'être dans un roman de rue cyberpunk que dans la copie appliquée d'un lycéen zélé essayant de faire des phrases alambiquées, pleines d'italiques et de lexique pointu. J'ai rapidement compris que cela ne tenait pas tant à la traduction parfois légèrement confuse du jeu qu'à son écriture elle-même, multipliant les considérations annexes, les sous-intrigues enchâssées maladroitement et une tendance lourde à multiplier le techno-babillage éhonté sans raison.
Dans Mato Anomalies, tout est prétexte à des phrases tortueuses, trop longues, à des circonvolutions philosophiques laborieuses, n'en venant jamais au fait. Le tout est entrecoupé d'acronymes, de mentions de technologies obscures, d'analogies sur lesquels vont disserter vos personnages encore et encore… En noyant progressivement l'intrigue principale servant de fil rouge au jeu dans un océan de problématiques secondaires. On finit par ne plus trop savoir ce qu'Arrowiz cherche à nous raconter. Est-il question de corruption, de technologie, d'aménagement urbain, de luttes mafieuses ? Un peu tout et rien à la fois.
Au contraire d'un Persona 5 qui avait une thématique centrale relativement claire gravitant autour des abus des adultes sur les plus jeunes et le sentiment d'injustice sociale découlant de la loi du plus fort, Mato Anomalies ne semble jamais trop savoir ce dont il entend parler. Et la multiplication des quêtes annexes écrites dans le même style n'aide pas, en forçant à entrecouper ces propos sibyllins de répétitions en boucle des mêmes donjons. Lesquels constituent sans doute la catastrophe finale qui achève d'écrouler cet édifice déjà bien bancal.
Donjons et dormons
Relativement brefs, mais terriblement nombreux si vous souhaitez faire quoi que ce soit d'autre que la quête principale, les donjons de Mato Anomalies sont parmi les moins inspirés qu'il m'ait été donné de voir dans un RPG récent. Il s'agit pour l'essentiel de longs couloirs, quasiment sans embranchements, farcis d'énigmes minimalistes (appuyer bouton = ouvrir porte) et entrecoupés des combats les plus mous que vous pouvez imaginer.
Des affrontements par ailleurs pas exempts de bonnes idées qui auraient mérité d'être creusées, à l'image par exemple de la barre de vie partagée entre tous les personnages ou de la manière assez fine d'améliorer et d'agencer les équipements récoltés. Mais ces quelques moments un peu inspirés ne peuvent pas vraiment masquer la catastrophe constituée par la répétitivité absurde de confrontations extrêmement molles et très faiblement mises en scène. Mato Anomalies, c'est des duels lents dans des décors moches, contre des polyèdres laids et désincarnés qui peinent à vous faire croire que tout ceci aurait une quelconque importance.
Ce ne serait pas si grave, au fond, s'il n'était pas sans arrêt question de vous faire retourner au charbon. Presque toutes les quêtes annexes ne vont ainsi pas tant miser sur votre capacité de détective que sur le fait de s'enfiler encore et encore des variations des mêmes donjons linéaires et vides. On aurait pu imaginer d'autres types de résolution d'affaires, des interrogatoires, des procès, des confrontations avec des indices à agencer, et ainsi de suite. Mais non, une fois que Doe a épuisé son blabla et cerné la personnalité des suspects d'une affaire, il ne sera quasiment toujours question que d'une chose : refaire encore et encore les mêmes phases de jeu pour obtenir une résolution de sous-quête généralement attendue et pas bien intéressante.
Mato Anomalies a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur PC et sur les consoles Xbox.
J'aurais pu digresser longtemps sur tous les autres problèmes qui sont autant de boulets aux pieds de cette belle idée qu'est Mato Anomalies. Parler de ses menus qui rament, de ses problèmes d'affichage à répétition ou encore détailler son atroce système de "hacking mental" à base de combats de cartes. Mais tout ceci ne serait pas bien grave si le jeu arrivait à déployer un univers plus intéressant et à le faire vivre avec un rythme et une énergie satisfaisants. Ce n'est pas le cas, et même si on se raccroche à ce qu'on peut (comme un chara design absolument superbe ou quelques thèmes musicaux sympas), il ne reste en dernier lieu rien d'autre qu'un profond et désespérant sentiment de vide.
Les + | Les - |
- Quelques idées amusantes dans les combats | - Le scénario est confus |
- Le chara design est sublime | - Tout manque cruellement de rythme |
- Les donjons et les combats sont catastrophiques | |
- Les quêtes secondaires sans intérêt | |
- Le jeu arrive à ramer (du moins sur Nintendo Switch) |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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