Cinquième opus de la saga Fallen London de Failbetter Games, Mask of the Rose est un nouveau tournant de la licence en termes de gameplay et de structure, mais conserve la patte bien particulière du studio britannique. Le titre amène ainsi la série du côté du visual novel avec succès, mais y intègre de manière un peu artificielle des éléments de dating sim et d’enquête.
La licence Fallen London sera passée par des états et mains assez différents au fil des années, depuis sa création en 2009 sous la forme d’un RPG textuel sur navigateur – toujours en activité – et de son préquel The Silver Tree, puis des jeux de survie et exploration Sunless Sea et Sunless Skies. Les productions du studio trainent depuis le début une réputation (méritée) d’œuvres cryptiques, bavardes et difficiles d’accès, mais surtout assez fascinantes pour peu que l’on réussisse à entrer dedans. Bien qu’également très verbeux et écrit dans un anglais au niveau de langage élevé (j’ai souvent dû recourir à la traduction, ce qui ne m’arrive quasiment jamais, et j’ai parfois ensuite dû chercher la définition du mot français), Mask of the Rose reste cependant la porte d’entrée la plus accueillante de l’univers Fallen London.
Le drama coule dans mes VN
Si vous n’avez jamais joué à l’un de ces titres, rassurez-vous : Mask of the Rose rappelle toutes les bases. Les habitué·e·s des productions Failbetter reconnaîtront sans soucis un certain nombre de lieux, de thématiques et d’esthétiques, mais rien n’ira vraiment plus loin que quelques clins d’œil, références ou légères touches de fan service. Nous nous retrouvons ainsi dans le Londres de 1862, en pleine ère victorienne, à la différence près que la ville s’est enfoncée dans le sol pour atterrir dans The Neath, une sorte de caverne profondément enfouie sous la surface de la Terre, coupant ses habitant·e·s du reste du monde. Un point de départ qui avait permis aux autres jeux de la saga de développer différents scénarios, gameplays et pans de lore, et qui permet maintenant à Mask of the Rose d’à la fois s’appuyer sur une mythologie déjà très dense et développée, et de se la réapproprier, en y ajoutant des morceaux et en la traitant avec de nouveaux points de vue.
C’est la principale force de Mask of the Rose : le titre est un incroyable générateur d’histoires, le plus souvent complètement absurdes et hilarantes, mais qui peuvent parfois s’avérer assez touchantes ou inquiétantes, avec quelques fulgurances musicales et de mise en scène à la clé. La quête principale, qu’il est possible de résoudre de nombreuses manières – ou de complètement ignorer, mais vous garderez sa résolution sur la conscience – est surtout un prétexte à papillonner de lieux en lieux et de personnages en sous-intrigues. Ces objectifs secondaires et leur découverte faisant tout le sel du titre, je me garderai de trop en dévoiler, mais je me suis souvent engagé dans un dialogue ou une quête a priori banals, pour finalement me retrouver à rechercher le saint patron des rats, écrire des romances provocantes ou aider une créature lovecraftienne à développer un commerce.
Et quand ce ne sont pas les péripéties qui se montrent divertissantes, les dialogues viennent prendre le relai, grâce à un cast, mais surtout un personnage principal terriblement sassy. C’est bien simple, tout est prétexte à faire un maximum de drama. Un effet amplifié par un petit aspect RPG amorcé en début de partie, puisque la backstory de notre héros ou héroïne aura des répercussions sur nos réponses et notre caractère, mais aussi par nos choix vestimentaires, qui ajouteront au fil de la partie des options de réponse plus… disons, intenses. Ce ne sont pas tant les différentes fins disponibles qui m’ont ainsi poussé à refaire le jeu, mais la perspective de parcourir différentes histoires, ou de retraverser les mêmes avec un personnage et des habits différents, et donc de nouvelles attitudes et options de dialogue.
Failfaster
Je ne pourrais d’ailleurs pas assez insister sur cet aspect : Mask of the Rose est un jeu conçu pour être fini plusieurs fois, et s’avère plus agréable et plus divertissant à chaque nouvelle partie. La première run est même assez décevante, si, comme moi, on essaye de faire un peu de tout : un peu de flirt, un peu d’enquête, un peu de chaque mission annexe, et on se retrouve à échouer partout et voir son amoureux pendu haut et court jusqu’à ce que mort s’ensuive. Si des situations et dialogues amusants et/ou intéressants étaient déjà présents lors de ce premier contact, je dois avouer qu’arriver au bout d’une partie de quelque 7 h en ayant absolument tout raté laisse comme un goût de déception et d’inachevé. Une partie pourtant pas inutile, puisque tous les échecs de cette run ont été capitaux pour les réussites de la deuxième et des suivantes. On apprend ainsi à se concentrer sur une poignée d’objectifs afin de les mener à bout, et de conserver le reste pour de futures parties.
Mais surtout, on découvre des lieux et personnages jamais rencontrés lors des parties précédentes. Lors de ma deuxième run, pas loin de la moitié des lieux, objectifs et NPC m’étaient inconnus, et ont apporté des intrigues, thématiques, et surtout, des pans entiers de lore totalement insoupçonnés à mon premier passage. Alors, certes, quelques séquences clés auront tendance à se répéter d’une partie à l’autre, et un sentiment de redondance peut s’installer dans quelques scènes, mais les parties étant également plus courtes et la structure plus compréhensible à mesure qu’on les enchaine, c’est surtout le plaisir de la découverte et de la nouveauté qui prime, aidé par une meilleure connaissance de l'univers et une meilleure anticipation des évènements fixes.
Notre amour est artificiel et pas éternel
Et heureusement que l’écriture et les péripéties tiennent à ce point la route et s’avèrent aussi plaisantes à suivre, déjà car il s’agit d’un des aspects les plus importants d’un visual novel, mais surtout, car à côté de ça, Mask of the Rose souffre de problèmes de conception qui le limitent sur le plan ludique. Ses aspects dating sim et enquête étaient censés enrichir le gameplay autrement limité du visual novel, mais finissent par plus le plomber qu’autre chose.
Pourtant bien mise en avant dans la com du jeu, la partie dating sim est, je trouve, la plus décevante. Tout commence bien, puisque le jeu nous demande lors de la création du personnage quels types de relations (amicales, amoureuses, charnelles, etc.) l’on souhaite ou ne souhaite pas mener, et respecte scrupuleusement ce choix tout au long de la partie. Malheureusement, lesdites relations opèrent de manière très artificielle et mécanique. On voit presque les jauges d’affinité se remplir, et on finit par savoir précisément à quel moment d’un dialogue le jeu va nous permettre de romancer ou de flirter avec notre interlocuteur·rice - on notera tout de même avec plaisir que le jeu contient un grand nombre de personnages et relations queers. Cette action tombe toujours comme un cheveu sur la soupe, et on ne voit jamais vraiment le moindre début d’alchimie ou de complicité se former entre les personnages, que ce soit pour les relations amoureuses comme amicales, ce qui est quand même très dommage pour un dating sim. Alors oui, j’étais bien content de rouler des pelles au beau docteur écossais rebelle, mais j’aurais aimé que ce soit le climax du développement d’une relation, pas le fruit de trois dialogues isolés.
Le problème, c’est que Mask of the Rose n’a pas le temps : le nombre de jours que constitue une partie est finalement assez limité, et il y a beaucoup de choses à faire rentrer dedans, trop pour que le flirt occupe plus que la place qui lui est ici laissée. Il lui faut par exemple cohabiter avec un encombrant système d’enquête et de création d’histoires, dont Failbetter ne semble pas tout à fait savoir quoi faire. Sur le papier, la proposition est intéressante : plusieurs objectifs impliquent de former des scénarios plus ou moins complexes, en utilisant des mots-clés collectés au fil des dialogues et potentiellement des enquêtes. Ça peut être pour écrire des romans cochons, inventer une histoire d’évangélisation des rongeurs, accuser le ministère de tous les maux de Londres ou trouver le·a coupable d’un meurtre. Le système n’est pas complètement cassé : quand il demande de s’atteler à des tâches simples, il fait office de sympathique mini-jeu, un peu oubliable, car peu développé, mais ajoutant un peu d’interactivité au sein d’une quête. Quand il se complexifie et se retrouve au centre même d’objectifs plus importants, c’est une autre paire de manches, et on finit par ne plus trop savoir ni comprendre ce qui aura ou non une importance et des conséquences dans les choix de mots-clés et de la place laissée à la vérité dans ce que l’on raconte. Les enjeux étant majeurs, et l’échec nécessitant de recommencer une nouvelle partie, c’est un peu gênant.
Mask of the Rose a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch, et sortira plus tard sur PS4, PS5, Xbox One et Xbox Series.
Disons-le clairement : en tant que jeu vidéo, Mask of the Rose est assez bancal. Les enchainements de scènes et de dialogues ont un côté artificiel et mécanique qui peut aisément faire sortir de l’ambiance, la partie dating sim prend trop peu de place et s’articule trop mal pour être satisfaisante (malgré la présence de beaux docteurs écossais) et les séquences d’enquête et de fabrication d’histoires ne tiennent pas longtemps la route. Reste que Failbetter Games excelle et a toujours excellé dans l’art de raconter des histoires, et Mask of the Rose ne trahit pas cette réputation. Le titre est un générateur de scènes absurdes, drôles, touchantes, dramatiques, voire inquiétantes, dans lesquelles évolue toute une palette de personnages lancés à pleine vitesse dans un concours de drama et d’impertinence. Si la découverte du titre peut s’avérer un poil âpre et frustrante, le plaisir de jeu augmente à chaque nouvelle partie, chaque nouvelle situation.
Les + | Les - |
- Un incroyable générateur d'histoires et situations, souvent drôles et absurdes | - Des mécaniques assez bancales dès que l'on sort du VN |
- Un cast très intense et prompt au drama... | - ... mais peu satisfaisant à romancer |
- DA et bande-son superbes | - Le niveau de langage (uniquement en anglais) peut être une barrière |
- Une très bonne porte d'entrée dans l'univers Fallen London |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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