Dans Magical Delicacy, vous incarnez la jeune sorcière Flora, bien décidée à préparer de la bouffe pour les gens de sa nouvelle ville d'adoption, tout en retapant son magasin. C'est supposé être une expérience cosy et relaxante. En réalité : bof, pas vraiment.
Il n'est pas innocent que ce jeu sorte maintenant. Environ un an après le début de la crise sanitaire, on a vu émerger un nombre de propositions vidéoludiques hallucinantes à base de jardinage, de fabrication de pain ou encore de cuisine relaxante. Et toutes ces annonces se sont transformées en œuvres qui sortent par vagues depuis un ou deux ans. Le jeu vidéo, particulièrement chez les indés et les petits éditeurs, a toujours été un miroir des névroses du moment. Le catalogue de Whitethorn Games, l'éditeur du projet, est rempli d'œuvres du genre. Je ne veux pas faire sonner ça comme un problème, parce que le résultat est parfois formidable. Mais il est vrai qu'au quatorzième jeu de sorcières herboristes avec des grenouilles anthropomorphes métaphorisant l'isolement et l'incertitude du lendemain, on peut être un tout petit peu méfiant sur la capacité de renouvellement du genre. Et à vrai dire, le jeune studio allemand Skaule coche un peu toutes les cases des trucs à éviter lors du développement d'un premier jeu. Pas par cynisme, pas par incompétence ni même par précipitation excessive. Mais je crois en revanche que l'on peut parler d'inexpérience et de manque de benchmarking.
Metroidmiammiam
Si je devais définir Magical Delicacy en deux mots, ce serait "un metroidvania light centré sur la cuisine", ce qui est déjà une proposition baroque, assez difficile à équilibrer. Mais je pense sincèrement que mélanger gestion d'un restaurant ou d'une autre structure du genre et metroidvania peut parfaitement fonctionner. Dès 1990, Actraiser mélangeait par exemple city builder et platformer d'action. Plus récemment et plus proche de notre sujet du jour, Spiritfarer faisait un taf exemplaire pour mélanger narration, gestion et aventure.
Il est donc ici question de squatter une boutique de magie, et d'en gérer les arrière-cuisines. Avec l'objectif lointain d'en racheter le titre de propriété, en s'étant fait assez d'argent via l'aide aux habitants du coin, qui nous noient sous les commandes de produits précis. Le jeu propose une boucle de gameplay a priori simplissime : on sort acheter et récoler des matières premières dans une île construite comme un labyrinthe. Quand on se heurte aux limites de cette exploration (poches pleines, portes fermées sans le pouvoir adéquat, etc.) on rentre à la boutique. On se lance alors dans un mini jeu de préparation de nourriture, onguents et autres potions. Ce qui correspond à une requête précise doit ensuite être livré en mains propres aux dealers de quêtes annexes, et le reste peut être vendu au comptoir de la boutique. Quand on a assez de flouze, on peut ainsi acheter des améliorations, de nouvelles formules magiques et recettes de cuisine, etc.
Sur le papier, c'est extrêmement fonctionnel. Pas révolutionnaire pour un sou, mais servi par un scénario très malin, une esthétique absolument charmante et des personnages très attachants. La petite île que l'on vous propose d'explorer est vraiment jolie, et les quelques rebondissements proposés par l'intrigue sont assez bien ficelés pour qu'on ait envie de voir la suite. J'ai particulièrement apprécié la manière dont Macigal Delicacy arrive à glisser des thématiques d'inclusivité, de bienveillance et même de diététique dans son scénario sans jamais le surligner ni s'en vanter. C'est juste doux, drôle et bien écrit. Alors pourquoi, me direz-vous, suis-je aussi chafouin ?
Du balai !
Pour être franc, je crois que les équipes de Skaule ont complètement négligé ce qui concernait le rythme et le confort de jeu dans les nombreux genres auxquels emprunte Magical Delicacy. Si beaucoup d'efforts ont été mis dans les options d'accessibilité (et c'est super), très peu semblent avoir été investis dans le travail sur ce qu'on fait concrètement pour faire progresser l'aventure. Laquelle devient rapidement un enfer de microgestion exténuant et punitif.
Il faut reconnaitre que Magical Delicacy a le bon goût de ne jamais vous presser. Vous progressez à votre rythme, les quêtes restent valides même si vous mettez des semaines à livrer les items demandés, et vous avez une grande liberté pour choisir comment organiser vos journées. Cependant, tout ceci est gâché par l'absence complète d'options classiques de facilitation progressive présentes habituellement dans les jeux de gestion et d'exploration.
Pour la partie promenade, tout d'abord, je déplore le fait que toute forme de voyage rapide ou de téléportation soit bloquée derrière des étapes relativement importantes et lointaines de la quête principale. Oui, vous allez finir par obtenir des facilités pour rejoindre les différentes boutiques de l'île et les différents spots de plantes à récolter. Mais ça va vous prendre des heures et des heures à grinder de l'argent. Il en résulte la désagréable sensation de passer les premiers chapitres de l'aventure à refaire encore et encore les mêmes phases de plateforme juste pour aller à la boulangerie acheter de la farine et du sel (je n'exagère pas). Sachant que le début de campagne fait vraiment rentrer l'argent au compte-goutte et que chaque achat va grever largement votre compte en banque, on a vite l'impression de juste se retaper le même donjon en boucle sans avancer. D'autant plus que la carte du monde manque d'énormément d'informations basiques qu'il faut, là encore acheter… voire annoter à la main avec un système de jetons assez archaïque. Mais admettons : ce sentiment de vaine répétitivité finit par s'estomper une fois que l'on a débloqué le voyage rapide et qu'on se souvient peu à peu de quel PNJ est où, et à quelle heure. Même si on regrette que ces informations de base ne se trouvent pas dans le carnet pourtant scrupuleusement tenu par Flora.
Hell's Kitchen
Plus grave en revanche : le côté tatillon et ultra-exigeant de la partie cuisine, qui transforme tout en très long processus qui rate une fois sur deux, alors que les informations à votre disposition sont assez faibles et vous forcent parfois à avancer à l'aveuglette. Laissez-moi vous donner un exemple. Un personnage vous demande un "sandwich garni", ce qui est supposé être un des trucs faciles à crafter dans le jeu. Mais pour ça, il vous faut du pain. La boulangerie n'en vend pas, il faut donc acheter farine et sel (c'est cher). Ensuite, il vous faut moudre de la farine (c'est long). Pour ça, il vous fait un établi (c'est cher). Puis un four (c'est cher). Pour vous payer tout ça, vous allez devoir vendre plein d'autres plats (c'est long, puisque les objets ne se vendent pas quand vous êtes dehors pour récupérer des trucs). Une fois ceci fait, vous pouvez enfin cuire votre pain (c'est long). Puis le "garnir" en utilisant un plan de travail (c'est cher et long). Et si par malheur le moindre ingrédient utilisé était accidentellement "sucré" au lieu de "salé", le résultat sera un "pain farci" et non un "pain garni", ou quelque chose comme ça. Et le client n'en voudra pas. Bravo, vous venez de perdre vingt bonnes minutes de votre vie.
Le problème, c'est que cet exemple est applicable à tout le jeu, et que RIEN n'est jamais proposé pour faciliter le processus. Par exemple, dans la série Atelier, on peut restocker facilement des matières premières. Mais aussi utiliser des commis pour faire les courses, recréer à la volée des recettes déjà connues et maîtrisées, vendre très simplement des ressources en surplus, créer plusieurs exemplaires d'un plat d'un seul coup, etc. De sorte que la "cuisine" y soit effectivement un moment à la fois agréable, évitant la répétitivité et donnant un sentiment de progression régulier.
Dans Magical Delicacy, c'est l'inverse : tout est très long, impossible à automatiser, car tout dépend toujours de la présence de Flora à un endroit donné, et franchement assez stressant, avec l'impression de piétiner. Il y a derrière tous ces embêtements le fait que la quête principale manque complètement de colonne vertébrale et de structure. Elle vous laisse vous enfoncer dans des impasses et des quêtes annexes impossibles à compléter au lieu d'ouvrir peu à peu ses possibilités. J'ai été profondément découragé par une série de requêtes hyper exigeantes et peu rémunératrices arrivant très tôt après le début de la partie. Et j'ai été vite démotivé par la nécessité de farmer et de grinder des heures pour avoir la moindre chance de commencer à voir le bout du tunnel. On m'a promis de la cuisine de sorcière cosy, j'ai eu la servitude abrutissante du travail à la place. Ouin.
Magical Delicacy a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
C'est regrettable : Magical Delicacy a vraiment un bon fond, une écriture assez fine et un concept qui pourrait fonctionner du tonnerre. Je garderai en mémoire son univers assez unique d'urban fantasy confortable, mais jamais mièvre. Mais c'est un peu comme si ce jeu avait été développé sans prendre en compte la qualité de ses mécaniques de fonctionnement, peut-être à cause d'une phase de playtest trop courte ou trop sommaire. Ou d'un manque de connaissances de ce qui se pratique dans des titres similaires parus ces dernières années dans le même registre. Car je pense que les critiques relativement mitigées qu'il reçoit depuis sa sortie se transformeraient vite en louanges si seulement les process d'exploration et de cuisine y étaient plus fluides et moins pénibles. Tout le reste tient admirablement bien la route pour une première production.
Les + | Les - |
- Esthétiquement charmant | - L'exploration est une galère |
- Des personnages attachants | - La cuisine manque cruellement de fluidité |
- Un concept très agréable sur le papier | - Peu d'options de confort de jeu |
- La quête principale assez bien ficelée | - La difficulté des quêtes est mal gérée |
- L'interface est très très peu pratique |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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