Il y a presque dix ans sortait Lords of the Fallen, un Souls-like développé par les Allemands de Deck13 et édité par les Polonais de CI Games. « Un Souls-like » étant un peu réducteur, et surtout injuste, puisqu’il s’agit d’une des toutes premières tentatives, si ce n’est la première tentative, de retranscription de l’expérience Dark Souls. En sortant seulement quelques mois après Dark Souls 2, à une époque où personne d’autre que FromSoftware n’expérimentait la formule, on peut dire que Lords of the Fallen a payé les pots cassés, et ouvert la voie à une quantité d’autres tentatives plus ou moins réussies.
Deck13 est d’ailleurs loin de figurer parmi les mauvais élèves de l’école FromSoft : si Lords of the Fallen était passablement médiocre, il avançait déjà des idées intéressantes – notamment son système de multiplicateur d’expérience – et le studio ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisqu'il a enchaîné avec le diptyque The Surge, certes lui aussi très imparfait, mais bourré de concepts créatifs et de briques de gameplay originales et ingénieuses. Exit cependant le studio allemand pour ce reboot 2023 de Lords of the Fallen (ce dernier ayant été racheté par Focus Entertainment) : CI Games a ouvert un studio en interne pour l’occasion, Hexworks. Le constat reste cependant le même : le résultat est bancal, mais bourré d’idées brillantes.
Donne moi ton bon vieux Dark CI, ton Souls CI
Je dois d’abord confesser quelque chose. J’ai détesté jouer à Lords of the Fallen. Il n’est pourtant pas mauvais au point d’être détestable, bien loin de là, mais toutes les conditions étaient réunies pour que je passe un très mauvais moment. D’abord, et à bien des égards, car Lords of the Fallen est un anti-Lies of P. Ou l’inverse, comme vous préférez. Contrairement au Souls-like de Neowiz et Round 8, qui préférait jouer la sécurité dans le game et level design, pour se concentrer sur une maniabilité et une accessibilité résolument modernes, le titre de Hexworks propose l’exact opposé, avec un game feel terriblement lent et daté, reprenant quasi à l’identique les sensations, mais aussi (surtout) les travers du premier Dark Souls, pour tout donner en innovation côté architecture de niveaux et idées de gameplay.
Mais, d’un point de vue beaucoup plus personnel – même si je suis assez sûr qu’il résonnera chez quiconque essaye de rester rien qu’un peu à jour côté sorties vidéoludiques – hé bien je suis fatigué frère. Je suis fatigué d’enchainer les sorties majeures d’indés, de AA et de blockbusters, mais surtout je me suis énormément investi dans Lies of P il y a moins d’un mois, et Lords of the Fallen me demande maintenant de fournir de nouveau cette énergie pour réapprendre entièrement les règles et la logique d’un nouveau Souls. Plus d’énergie encore, d’ailleurs, puisque là où Lies of P s’avérait très accueillant sur ses premières heures et dans la distribution de ses tutoriels, Lords of the Fallen réserve un début de partie particulièrement abrupte et hostile.
Car oui, d’accord, je ne suis pas au top de ma forme pour appréhender un titre aussi touffu que Lords of the Fallen – une complexité et une richesse que je ne lui reprocherai jamais – mais PARDON, est-ce qu’on ne pouvait pas aborder tous ces nouveaux concepts de manière un tout petit peu plus ergonomique et progressive ? L’intro du titre a été, sur tous les plans, un rollercoaster de douleur et d’émerveillement. Une fois la première cinématique passée, on nous noie sous les tutos, déversant dans tous les sens (et pas toujours dans un ordre très approprié) des instructions et concepts, du lore, un mapping pas très instinctif, le tout sous des couches de menus qui se superposent littéralement si on a le malheur de se placer au mauvais endroit tout en ouvrant l’inventaire. Et pourtant, derrière cette dark fantasy marronnasse, ces didacticiels étouffants, cette absence d’ergonomie et son interface moche et datée, Lords of the Fallen laisse entrevoir dès sa première heure à quel point il tient une bonne, une excellente idée, qu’il compte bien ne pas réduire à un simple gimmick et exploiter à fond.
Gimme Gimme Gimmick (Umbra after midnight)
Cette idée, c’est de doter notre personnage d’une lanterne magique, permettant d’entrevoir et même d’entrer dans le monde des morts. Très loin d’être une petite feature un peu cool, cette dualité monde des vivants/monde des morts est au cœur du gameplay et du level design de Lords of the Fallen et le démarque de toute la production. Esthétiquement parlant, déjà, c’est une réussite. Si je ne suis pas spécialement conquis par la dark fantasy du royaume d’Axiom (le monde des vivants), qui propose certes quelques monstres assez réussis et éléments de mise en scène impressionnants, mais dans des environnements et ambiances plutôt convenus, le royaume d’Umbra (le monde des morts, donc) mise lui sur une DA plus radicale, entre l’horreur cosmique et le body horror, et un rendu organique assez répugnant et dérangeant qui n’est pas sans rappeler Giger ou Beksiński. Le petit effet de lever de lanterne, superposant le royaume d’Umbra par-dessus celui d’Axiom et affichant architectures alternatives, monstres ou secrets, est toujours terriblement efficace.
On peut ainsi utiliser sa lanterne pour faire disparaître sous sa lumière un mur ou une porte, faire apparaître et traverser un pont, mais on peut surtout s’en servir pour passer entièrement dans le monde des morts, et l’explorer. Chaque zone existe donc en double, avec ses similitudes et différences, qu’il s’agira d’exploiter autant pour l’exploration que pour le combat. Si on peut être tentés d’ignorer cet angoissant royaume d’Umbra et garder les pieds dans le monde des vivants, Hexworks finit toujours par nous forcer la main et nous habituer à passer de l’autre côté, que ce soit en plaçant des pans entiers du chemin principal dans l’autre monde, en verrouillant des passages dans le monde des vivants par des créatures situées de l’autre côté de la réalité ou en… nous tuant.
C’est que traverser le monde des morts est une expérience assez stressante. Passer de l’autre côté érode de moitié notre barre de vie, mais surtout nous confronte à de nouvelles créatures, qui apparaîtront de plus en plus souvent et sous des formes de plus en plus puissantes en fonction du temps passé dans Umbra. Le Lords of the Fallen de 2014 reposait sur un douloureux système de risque/récompense via un multiplicateur d’expérience qui augmentait tant que les joueur·euses n’utilisaient pas les checkpoints, mais faisait tout perdre en cas de mort ou de dépense d’XP. Ce reboot de 2023 est heureusement bien moins hardcore sur la question, mais propose un autre système de risque/récompense bien à lui, également basé sur un multiplicateur qui augmente en même temps que le niveau de danger du monde des morts, sachant que l’on ne peut en ressortir qu’à des endroits bien précis. C’est bien pratique pour farmer, et bien stressant lorsqu'il s’agit de faire un grand tour pour débloquer un raccourci qui servira dans le monde des vivants.
Et j’ai beau avoir détesté jouer à Lords of the Fallen, il faut bien que je l’admette : cette mécanique du monde des morts marche très très bien. Les ficelles utilisées pour nous faire alterner entre les deux univers sont variées et malignes, l’exploration est systématiquement récompensée, par du loot, des zones entières, des raccourcis, du lore, des boss optionnels : se passer du monde des morts dans Lords of the Fallen, c’est se passer de la moitié du jeu et probablement de sa moitié la plus intéressante. Mon problème, c’est que j’aurais aimé découvrir ce monde fascinant et ses niveaux tortueux dans de bien meilleures conditions.
Seigneur des chutes de framerate
Le titre de Hexworks aurait dû être ce merveilleux appel à l’aventure que ce système de double royaume nous promet, et, si l’on en croit la moitié des reviews, certaines personnes sont parvenues à le trouver, probablement en passant outre une montagne de problèmes techniques, d’équilibrage, de philosophie de gameplay et d’incertitudes au sein même du studio.
L’aspect technique est peut-être le moins important à retenir. Si, pour mon expérience personnelle, les patchs quasi quotidiens qui réparent ou cassent aléatoirement le jeu, attaquant ou restaurant le framerate, provoquant des crashs multiples ou des corruptions de sauvegardes, ont été particulièrement pénibles, c’est un souci qui va tendre à disparaître. Le jeu est sorti dans un état technique pas bien glorieux – peut-être le studio souffre-t-il des premiers pas de l’Unreal Engine 5 – et c’est assez dommage pour les joueur·euses day one, mais le suivi est sérieux, et je n’ai que peu de doutes sur la stabilité de Lords of the Fallen d’ici peu de temps. De même pour les soucis d’équilibrage : le studio semble assez à l’écoute de son public, et a déjà corrigé quelques aberrations du côté du prix de certains consommables (comme ces indispensables graines, qui permettent de planter un feu de camp temporaire dans une zone, et qui coûtaient immensément trop cher) ou des points de vie et comportements de certains ennemis.
Mon vrai problème vient plus de la philosophie de game design de Lords of the Fallen. Ce dernier est terriblement et peut-être volontairement daté, et ressort le pire des premiers Dark Souls. Le titre tend constamment des pièges au point que cela en devienne épuisant, les points de sauvegarde sont souvent bien trop éloignés des arènes de boss, parfois séparés par plusieurs ennemis et des ascenseurs terriblement lents : toute la progression est fastidieuse et transpire le git gud le plus bas du front. Lords of the Fallen est un appel à prendre son temps et effectuer chaque action et chaque trajet avec attention et prudence sous peine d’être puni de manière brutale et immédiate, mais sans mettre en place les conditions propices à une telle persévérance et un tel investissement. Je n’ai jamais rechigné à try hard un boss un peu costaud, mais quand chaque tentative est espacée d’un écran de mort beaucoup trop long, d’un temps de chargement, de trois/quatre trashmobs à combattre, autant d’ascenseurs, le tout en trottinant mollement au milieu de pains techniques, ma patience atteint rapidement ses limites, et je lâche l’affaire.
Lords of the Fallen a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 5 et Xbox Series.
Tout comme les Souls-like de Deck13, Lords of the Fallen version 2023 est une somme d'idées et de mécaniques brillantes et originales assemblées dans un jeu parfois bancal, souvent cassé, toujours austère et hostile. Le ressenti face à une telle œuvre ne peut être que radical : on passe outre cette rugosité et on adore, ou on subit chaque élément de game design cumulé aux problèmes techniques et imprécisions et on déteste. Si je ne peux que saluer l'exploit d'avoir fait tenir cette fantastique idée de monde des morts et avoir su l'utiliser à fond, je fais malheureusement partie de la deuxième catégorie. Peut-être que d'ici quelques mois, une fois que le titre aura reçu les dizaines et dizaines de patchs qu'il nécessite encore et que j'aurais pris ma pause de Souls-like bien méritée, je pourrai y retourner et apprécier l'expérience.
Les + | Les - |
- La mécanique du monde des morts, très ambitieuse et très bien exploitée | - Une quantité astronomique de problèmes techniques et d'équilibrage à la sortie |
- Quelques grosses fulgurances esthétiques | - La progression est lente et laborieuse |
- Le système de feux de camp temporaires articule astucieusement l'exploration | - Ressort toutes les pires méchancetés et défauts du premier Dark Souls |
- L'interface est assez épouvantable |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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