Après le constat amer de mon éclatante nullité aux point and click à l’ancienne les plus exigeants, j’étais heureux de pouvoir mettre la main sur Loco Motive. Exit toutefois les graphismes EGA et les commandes textuelles, il s’agit cette fois d’un titre dans la droite lignée de ceux qui ont fait l’âge d’or de Lucasfilm Games. Un pari osé pour le petit studio qu’est Robust Games, mais un pari plutôt réussi.
Lady Unterwald, une vieille dame riche, est assassinée avant d’avoir pu lire son testament. Le Reuss Express, locomotive huppée de sa société, devient donc une scène de crime, avec ce qu'il y a de wagons et voitures truffés de personnages atypiques et donc de suspects potentiels. Voilà des éléments très "Agatha Christiesques". Cependant, oubliez vite l’ambiance pesante et la suspicion permanente. Loco Motive sait nous intriguer, mais sait surtout nous faire rire et sourire.
À l'ancienne
En effet, l’humour fonctionne à merveille. Ce côté absurde et décalé, qu’on a tendance à vite résumer par "humour anglais" est totalement dans l’esprit des Day of the Tentacle ou autres Monkey Island de cette époque glorieuse du point and click. Comme pour ces jeux, si la recherche d’indices et, la plupart du temps, d’objets, attire notre attention, les situations dans lesquelles on se retrouve sont bien souvent aussi drôles qu'inattendues. De ce point de vue, il faut saluer le travail d’écriture pour les différents gags et dialogues parce qu'à mon sens, s'il y a bien une chose difficile à faire ressentir à travers du jeu vidéo, c’est l’humour. Cette ambiance old school est appuyée par un pixel art de très grande qualité. Les détails, les lumières, les couleurs, tout cela est très vivant, mais je crois que ce qui marque vraiment, c’est son animation. Celle-ci est bluffante par sa fluidité, au point que je ne suis pas sûr d’avoir vu ça dans beaucoup de jeux cette année, en tout cas dans ceux partant sur une direction artistique proche.
En plus de ça, la majorité du boulot a été réalisée par les deux co-fondateurs du studio Robust Games, deux frères, Adam et Joseph Riches, qui se sont également occupés d’un paquet d’autres trucs (on est sur du petit studio tel que l’éditeur Chucklefish aime bien aller chercher). Du coup, au risque de me répéter, ça donne vraiment cette sensation de jouer à un vieux point and click Lucasfilm Games, mais parfaitement modernisé. On notera quand même quelques rares bugs d’affichage, surtout sur la dernière partie du jeu, mais cela reste minime et on peut espérer que cela sera corrigé par le studio. Côté musique, c’est très bon aussi, avec des sonorités jazzy entraînantes qui participent pleinement au côté loufoque drapé dans du burlesque. Une BO signée Paul Zimmermann, qui s'est notamment chargé de la BO du jeu Wildfrost. C’est donc plaisant de naviguer dans les voitures de la locomotive, mais pas seulement, car Loco Motive nous fera aussi à quelques moments sortir de ce train pour mieux nous surprendre.
Un train peut en cacher deux autres
On a donc ce crime qui se déroule sous nos yeux. Sans la moindre trace d’un suspect et il faut se pencher sur le fameux testament de Lady Unterwald. Sauf que, pas de chance, il s’est envolé. Et quand je dis envolé, c’est littéral. Le premier personnage que l’on incarne, l’avocat Arthur Ackerman, a maladroitement ouvert la mallette dans laquelle il se trouvait, mallette placée à côté d’une fenêtre et les papiers ont pris la voie des airs. Tout le segment passé à contrôler Ackerman visera à mettre la main sur l'ultime page restante collée à une vitre et indirectement faire la lumière sur le meurtre qui s’est déroulé à bord du Reuss Express. On rencontre une galerie de personnages et notamment l’excentrique Herman Merman ainsi que la mystérieuse Diane Ostman.
Si je m’attarde sur eux, ce n’est pas pour rien. En effet, après Arthur Ackerman, on prendra successivement le contrôle de ces deux-là. Herman d’abord, écrivain légèrement affabulateur et détective médiocre. Couard et râleur, son caractère va trancher avec la sympathie presque naïve d’Ackerman. Diane Ostman, elle, est une jeune espionne propulsée enfin sur sa première mission de terrain. Elle apporte un peu de sérieux et de maturité quand on la compare aux deux autres. Ces trois personnages sont jouables à tour de rôle au fil de l’aventure et même, dans les derniers chapitres, jouables en même temps avec pas mal d’intelligence dans les possibilités que cela ouvre pour l’utilisation et la combinaison d’objets. Pour que ça soit peut-être plus compréhensible : on a 3 inventaires distincts, un par personnage, et ils ne peuvent pas directement se passer les objets. Bref, je n'en dis pas plus, mais vous voyez bien ce que cela peut faire peser comme contraintes et qu’il faut un peu d’inventivité avec l’environnement pour s'en sortir. Ces personnages sont au passage excellemment doublés, et pas uniquement les deux principaux. Tous les personnages que l’on rencontre le sont et cela rend les répliques d’autant plus drôles et donne davantage de vie à l'histoire.
D’ailleurs, si celle-ci est finalement assez simple (un meurtre dans un lieu clos, des coupables potentiels à foison pour une révélation un peu évidente), elle est par contre intéressante par la manière dont elle est construite. Je vous disais que le jeu commençait sur un meurtre, mais en fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Cela débute dans une salle d’interrogatoire d’un poste de police, où Arthur Ackerman raconte sa version des faits puisqu’il fait partie des suspects. Toute la partie dans le train est donc en réalité un flashback. Et cela sera pareil pour les deux autres personnages, avec toutefois quelques différences en termes de temporalité, mais hélas, même si cela fait partie des points qui m’ont encore plus fait apprécier Loco Motive, difficile d’en dire plus sans venir vous divulgâcher la découverte. Je pense qu'on peut parler de concept de narration croisée, puisque pas mal d'éléments se recoupent selon la temporalité, mais voilà, ça sera tout pour les indications.
Mystère vaporeux
Dernier point sur lequel il me semble important de revenir, parce que c’est toute la base du gameplay : la résolution des énigmes et la progression. Alors, comme je le disais en introduction, j’étais content de pouvoir me tester sur un point and click d’apparence un peu plus accessible (en l'occurrence, surtout un peu moins balèze que The Crimson Diamond). J’avais un peu la crainte de me retrouver sans cesse bloqué par des utilisations d’objets trop alambiquées, mais au final, à part quelques situations où la solution était loin d’être claire, tout marche assez bien.
On a en plus la possibilité d’afficher les endroits avec lesquels on peut interagir, ce qui facilite les choses quand on commence à se perdre entre les indications plus ou moins subtilement dévoilées au détour d’une conversation et ceux qu’il faut déduire d’une interaction avec l’environnement. Et si jamais on bloque, on est libre de profiter du système d’aide en jeu, intégré dans le lore. Celui-ci donne des indices un peu plus précis à chaque requête, mais jamais jusqu’à offrir directement la réponse sur un plateau. Une excellente idée qui permet de se sortir de quelques moments d’incompréhension ou d’une incompréhension liée à des dialogues et sous-titres anglais. Oui, hélas, pas de français, en tout cas pour le moment.
La progression de l’histoire quant à elle subit un peu le contrecoup des enchaînements d’énigmes et de combinaisons d’objets. Là où le meurtre devait être le cœur de l’histoire, il se voit peu à peu relégué au second plan, passant presque à un vague fil rouge sur lequel on nous raccroche, et pas toujours efficacement. Le découpage en chapitres part d’une bonne intention, mais accentue cet aspect un peu trop vidéoludique de l’avancement : on résout le puzzle, on passe au suivant, et ainsi de suite, et la progression s’en trouve un peu trop hachée. Ça donne la sensation en plus que le dernier quart du jeu, à partir du moment avec Diane, passe en accéléré, là où il y a pourtant d’excellentes idées amenées. Cela dit, au niveau de la durée, on achève l'aventure en moins d'une dizaine d'heures (pour ma part c'était 8 heures), et pousser plus loin aurait peut-être été de trop. Difficile à dire.
Loco Motive a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Les développeurs de Loco Motive sont parvenus à faire un premier jeu de très belle facture. Ils arrivent à nous transporter dans une aventure où l’humour fait mouche, portée par des acteurs et actrices de doublage qui livrent une superbe performance et un pixel art animé avec talent. La construction de l’histoire est intelligente, mais le gameplay souffre un peu d’un mystère qui devient presque trivial, et nous sort un peu trop de l’aspect enquête qui serait venu sublimer le tout. À cela s’ajoute l’absence du français dans les langues (pour le moment juste l’allemand et l’anglais sont disponibles), mais Robust Games promet que le choix évoluera si la communauté répond présente.
Les + | Les - |
- La fluidité des animations | - Un mystère qui s'estompe vite |
- La "narration croisée" | - Un rythme trop accéléré sur la fin |
- L'humour accompagné par l'excellent doublage | - Quelques bugs d'affichage |
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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