Ce n’est pas peu dire que Little Nightmares aura suscité des attentes. Le titre de Tarsier Studio aura tout fait pour : un an de teasing assez impressionnant, un gros coup de boost de son éditeur Bandai Namco, une campagne publicitaire à la télé et, tel un triple A Ubisoft, dans les salles de cinéma. Une pompe inhabituelle pour un jeu de ce type, sans durée de vie, sans dimension multi, sans microtransaction, un jeu, si j’ose dire, difficile à traire. Attention : cet article spoil une partie des éléments présents dans Little Nightmares.
Le Bon élève
Le jeu avait tout pour capter l’œil : une direction sonore et graphique brillante et spectaculaire, évoquant un livre de contes macabres, et, à l’instar de son titre, le monde sinistre des terreurs enfantines.
Le parcours de Little Nightmares est celui d’un bon élève : sans retard particulier, il sort au bon moment avec pile ce qu’il faut de teasing et de sens du timing. Sa couverture presse est large, les retours plutôt plaisant. Et malgré la grosse machine qui le pousse au train, le petit studio à l’origine du projet réussit à conserver une image de petit indé plein d’idées.
Et, sans doute est-ce mérité : le jeu se traverse sans déplaisir, il fonctionne. On y incarne une enfant, piégée sur ce qui semble être un bateau peuplé de créatures monstrueuses désirant la manger (ou pire). L’ensemble est une partie de cache-cache contre des créatures de plus en plus malaisantes et répugnantes, avec un petit (et attendu) twist scénaristique des familles renversant un peu la perspective dans le dernier tiers du jeu. On y passe deux à quatre heures selon qu’on soit ou non habile, et on n'en regrette aucune.
Dix bons points et une image : il serait pourtant étonnant de retrouver ce jeu dans la liste des GOTY de quiconque, à moins d’être vraiment, mais alors vraiment un afficionado du genre (le genre étant ces jeux à ambiance ou un personnage avance de gauche à droite en mourant de temps en temps). Peu probable qu’on s’en souvienne dans deux ans, et qu’on en reparle avec nostalgie comme un Limbo ou un Inside.
Le problème de Little Nightmares ne tient pas, à ce qu’il semble, dans les innombrables petits défauts qui parsèment le voyage. Oh, de temps à autre, on s’agacera de ce choix d’avoir donné une profondeur aux décors qui semblent fausser les perspectives et précipiter sans raison le joueur dans le vide. De même, le placement complètement absurde des checkpoints ou un certain manque de clarté dans l’exposé des énigmes pourront frustrer. Mais ce n’est pas ce qui fera rapidement oublier Little Nigtmares, beaucoup plus vite que la hype l’ayant précédé.
Le problème de Little Nightmares est qu’il ne propose pour seule et unique expérience que sa direction artistique.
Rien à raconter
Le Gameplay de Little Nightmare s’articule donc sur cette règle ancestrale du jeu vidéo : on avance, et on va au tableau suivant. La seule variante : on doit cette fois-ci se cacher d’ennemis peu ragoutants mesurant dix ou quinze fois la taille de Six, le petit avatar du joueur. À peu de choses près, on aura résumé là quatre heures de jeu : avancer, se cacher, avec des variantes assez faibles.
Le scénario, quant à lui, oscille entre hermétisme et vacuité. Rien à raconter de particulier, puisque c’est juste un cauchemar. Un changement de décor ? Un personnage qui change d’attitude ? Un boss final sans rapport direct avec tout ce qui a été montré ? Quel est le besoin de cohérence puisqu’il n’y a rien à interpréter, sinon des peurs enfantines.
Ne nions pas : c’est bien fichu. On frissonne, on se coule dans l’ombre avec délice. On assiste à la découverte de ce bateau-prison avec horreur et dégoût à mesure que s’en révèlent les cuisines, les restaurants et les ponts, et on se dit qu’on était pas si mal à fond de cale, à manger des rats gros comme nous.
Tout a été teasé sur cet unique point : Little Nightmares, c’est avant tout les pages d’un recueil d’illustrations macabres. Il n’y a rien à comprendre, si ce n’est qu’un grotesque cannibale, a fait peur (on s’en doutait). Et Little Nightmares, non que cela soit grave, n’est que cela et rien de plus.
Rarement un jeu ayant autant attiré la curiosité n’avait à ce point arqué l’expérience sur sa seule direction artistique. Au-delà de la découverte graphique et sonore de ses tableaux, ce titre n’a strictement aucune proposition, qu’elle soit rassembleuse ou clivante. On n'inversera pas subitement la gravité comme dans la seconde moitié de Limbo. On n'y vivra pas le final étrange et rapide d’Inside, ou la cruelle révélation finale de Braid. Le gameplay n’évoluera pas, la proposition initiale reste fixe, et nous regarde pendant quatre heures dans les yeux sans moufter.
Cela peut sembler dur : après tout Little Nightmares est un bon jeu, et un bon jeu n’a pas la nécessité d’être une expérience totale, un life changer. On ne peut cependant que se demander ce qui se serait produit si, en plus de ces quatre tableaux macabres, Little Nightmares avait choisi de proposer un peu plus. Un peu plus de challenge, un peu plus de variété, un peu plus de signifiant, un peu plus de surprises.
Beau et con à la fois
On se demande parfois, au détour d’une scène scriptée, si ce n’est pas volontairement que les développeurs de Little Nightmares ont choisi d’évacuer toute forme de prise de risque. A vrai dire, c’en est presque parfois agaçant.
Le jeu fait intervenir des petits gnomes à libérer ? Au bout de quelques heures de jeu, alors que leur présence n’a pas encore eu la moindre influence sur ce que le joueur est amené à produire, Six se mettra à dévorer avidement ces créatures. Hop, exit les gnomes. Plus tard, c’est un miroir posé au sol, faisant office de bouclier contre un monstre, qui évacuera jusqu’aux cachettes de ce jeu de cache-cache. Enfin, c’est un mystérieux pouvoir qui s’emparera de Six sans raison qui fera tomber comme des mouches les ogres peuplant le bateau.
Pourquoi, comment, avec quelles conséquences, qu’est-ce qu’on veut nous dire ou nous faire ressentir ? On a le sentiment qu’à chaque fois que cette question s’est posée, elle a été évacuée dans une pirouette et un soupir, et qu’on en est revenu à la simple proposition de base. Avance, et avance, puisque tu dois avancer.
La fin du jeu est l’évacuation littérale de tout ce qui a été posé jusque-là. Le cannibalisme, la faim, le roulis du bateau, les monstres, les gnomes, la nuit, tout cela disparaît, et n’aura pour conséquence que d’avoir amené Six à un (éphémère ?) havre de paix. Comme si tout n’avait eu ni importance, ni conséquence, ni sens.
Tout ça pour arriver nulle part, donc, on relève le harnais de sécurité, on descend de voiture, et on passe à l’attraction suivante.
En ne prenant jamais le risque, se contentant de la visite d’un train fantôme un peu chiadé, mais semblable à tant d’autres, Little Nightmares manque de peu son entrée dans la cour des grands. Les quelques défauts de gameplay ou de structure du jeu n’en sont que plus dommage, mais ce n’est pas cela qu’on en retiendra contre le jeu dans quelques années. Little Nightmares ? Ah oui, c’était ce truc avec la petite fille et les monstres. Mais de quoi ça parlait, déjà ? Sais plus.
Dommage.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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