Après leur étrange jeu d'horreur à esthétique gothique Pocket Mirror, le développeur portugais AstralShift revient, cette fois-ci sous la houlette du Square Enix Collective. Leur second jeu, situé dans le même univers raffiné et esthétique, se nomme Little Goody Two Shoes. Une curiosité aux confluences de l'épouvante, de l'enquête et du dating sim lesbien dans les montagnes autrichiennes.
Comme Pocket Mirror, Little Goody Two Shoes n'hésite pas à aller taper allègrement dans les classiques des mangas et animés gothiques, mais en se concentrant spécifiquement cette fois sur une esthétique résolument ancrée dans le shōjo manga des années 80 et 90. Yeux immenses, robes à frou-frou, chevelures colorées et autres atours oscillants entre la mode victorienne et la garde-robe d'Heidi, tout est là pour vous plonger dans un bain délicieusement anachronique. Y compris une espèce de décor pseudo-germanique de pacotille dans lequel il semble tout à fait normal que les personnages portent des prénoms comme "Rozenmarine". Cette époque de la pop culture japonaise, Little Goody Two Shoes en conserve particulièrement le côté queer, désormais pleinement assumé : Bravo les Lesbiennes™, qui sont ici définitivement à l'honneur de ce conte macabre et ironique. Mais sans, cependant, arriver à opérer un choix tout à fait satisfaisant entre jeu d'enquête, d'infiltration, de romance ou d'épouvante. Une expérience tantôt palpitante, tantôt un peu expéditive qui aurait pu être un poil plus aboutie.
Little Goody Tout Mou
Je pense qu'il faut commencer par souligner ce qui fonctionne le mieux dans Little Goody Two Shoes : son très étrange scénario qui assume parfaitement son côté ultra-kitsch, toujours aux frontières de la parodie de genre. On y suit une certaine Elise, orpheline vivant à la lisière d'un village de ploucs persuadés qu'une sorcière leur cause des misères. Elise rêve de partir, de voyager, de grandeur, d'être enfin reconnue comme la grande dame qu'elle est, mais elle est surtout très égocentrique. Évidemment, Elise a des prétendantes : la jolie boulangère du village, une nonne plus ou moins douée de télépathie et l'étrange voyageuse mystérieusement mystérieuse qui squatte son grenier pour la semaine. Pas du tout une créature surnaturelle en tout cas.
Little Goody Two Shoes va très vite nous livrer ses trois enjeux principaux. Tout d'abord, il y a effectivement des événements pour le moins bizarres qui surviennent en ville, et Elise doit faire en sorte de ne pas être considérée comme la sorcière du cru qu'on va sacrifier à la prochaine fête au village. Ensuite, notre héroïne se retrouve tous les soirs plongée dans des labyrinthes mystiques horribles, bourrés de pièges, mais qui pourraient l'amener à réaliser un de ses souhaits les plus chers. Enfin, et ce n'est pas une mince affaire, Elise va devoir choisir qui elle souhaite pécho entre ses trois amoureuses.
Comment tout ceci peut-il s'articuler dans un même jeu vidéo ? Eh bien, j'aurais tendance à dire "pas de manière 100% satisfaisante, mais ça essaye très fort". En gros, l'aventure se découpe en cycles jour/nuit : chaque journée est consacrée à mener un certain nombre d'actions pouvant soit faire gagner de l'argent à Elise (pour se payer à manger ou des items utiles), soit faire avancer l'intrigue, soit faire avancer des romances. Une fois les actions du jour épuisées, retour dans la partie labyrinthe, mélange de survival horror et d'infiltration sauce puzzle game.
Et, hélas, les premières heures de ce dispositif ne sont pas franchement très engageantes : malgré le brio de la mise en scène et les grandes qualités des personnages et des dialogues (qui tiennent beaucoup à son héroïne aussi farfelue qu'insupportable), tout ceci est au départ un poil laborieux. On peine à savoir exactement comment optimiser ses journées, les indices sont parfois un peu confus, et les séquences de jour et de nuit ne s'articulent pas très harmonieusement. Pour être clair : les deux premières heures sont de temps en temps un peu absconses et ennuyeuses. Et puis, magie, ça finit par prendre.
Little Goody Tout Schuss
Little Goody Two Shoes se déroule sur une semaine, et il faut attendre la fin du deuxième, voire du troisième jour pour que l'on comprenne tout à fait ce que le jeu attend de nous. À partir de ce moment, tout devient subitement beaucoup plus fluide et amusant. Les relations entre les personnages prennent un tour particulièrement malin, et on commence à mieux discerner l'enjeu caché derrière toute cette histoire étrange.
Car au fond, derrière cette histoire de sorcière des bois et de jeune fille persuadée qu'elle a un destin de princesse affleure un très, très astucieux conte cruel sans concession, servi par un casting vraiment attachant. Le tout est sublimé par une mise en scène de plus en plus folle, beaucoup plus aboutie que ne l'était Pocket Mirror. Ça explose, ça chante, ça danse, ça meurt (beaucoup), le tout en balançant de grandes trainées de sang, de fleurs et de paillettes à l'écran. Des séquences de plus en plus hallucinées s'enchaînent, et amènent doucement vers une conclusion qui va mettre vos nerfs (et votre moral) à rude épreuve.
J'aurais d'ailleurs de ce point de vue un léger bémol à apporter : certes, on s'amuse d'autant plus que Little Goody Two Shoes nous laisse pas mal de liberté dans ses phases de journée, mais la promesse que tout ceci débouche sur "dix fins différentes" survend largement son potentiel de rejouabilité. Compléter une run de l'aventure prend une dizaine d'heures. Mais dès votre second essai, vous vous rendrez rapidement compte que les différentes conclusions de l'intrigue tiennent surtout à des variations dans la petite amie choisie, multipliée par un vague choix final.
À l'exception de la fin cachée, assez satisfaisante et nécessitant de vous creuser un peu les méninges, on se retrouve avec l'impression que cette liberté apparente débouche essentiellement sur des color swap amoureux. Ce n'est pas bien grave : on peut très bien apprécier le voyage en ne le faisant qu'une seule fois. À condition d'avoir, tout de même, le cœur bien accroché. Rappelons ici que nous sommes dans un conte macabre avant tout, et que le jeu ne lésine jamais sur ses effets pour malmener son héroïne. Et même si cette chère Elise est sacrément casse-pied, laissez-moi l'affirmer, elle n'en mérite sans doute pas tant.
Little Goody Two Shoes a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Aussi joyeux que terriblement macabre, Little Goody Two Shoes est un jeu assez inclassable. Toujours à cheval entre la comédie, le cauchemar pur, des propositions modernes et un ton singeant à la perfection les romances des mangas des années 90, il pourrait en devenir indigeste. Mais par je ne sais trop quel miracle, la proposition finit par tenir debout. Elle n'est cependant pas sans défauts : j'ai parlé du rythme un peu morne des premiers chapitres, mais il y a également des problèmes réguliers d'interface, d'inventaires ou de bugs de collision. Rien de grave, la direction artistique, les dialogues ciselés et la tension qui monte de jour en jour font oublier le tout. Ce que j'en retiendrai finalement, c'est qu'AstralShift a sacrément musclé son jeu entre Pocket Mirror et son second titre, et que j'ai déjà très, très envie de découvrir le prochain.
Les + | Les - |
- C'est vraiment superbe et plein de surprises | - Le démarrage est très mou |
- Le scénario est très malin | - Quelques approximations de gameplay |
- Le casting est diablement attachant | - Pas tant de rejouabilité que cela |
- Belles idées de level design | - Les mini-jeux pour gagner des sous sont assez nazes |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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