Avec le remake Like a Dragon : Ishin en février dernier et Like a Dragon: Infinite Wealth prévu pour janvier 2024, le studio Ryo Ga Gotoku aura livré deux épisodes majeurs de sa série en moins d'un an. Comme si cela ne suffisait pas, ce qui s'apparente désormais à un vaisseau amiral de Sega livre en cette fin d'année un épisode "bonus" ramenant le personnage de Kazuma Kiryu sur le devant de la scène. Une scène qu'il a pourtant quittée à de nombreuses reprises.
Résumons. À la fin de Like a Dragon/Yakuza 6, le héros aussi iconique que taciturne dont nous suivons les aventures depuis les années 80 avait décidé de se retirer de la vie publique, se faisant passer pour mort afin de protéger les siens. Entre-temps, dans le septième épisode, nous découvrions le destin (tragique) des clans Tojo et Omi, emblématiques de la licence, et le déclin des gangs de yakuzas traditionnels. En parallèle, la série Judgment brossait un portrait modernisé et mis à jour des lieux emblématiques de la saga et mettait en place de nouveaux rapports de force, en abordant au passage de nombreuses nouvelles questions sociales et politiques. Si vous n'y comprenez pas grand-chose, c'est normal : l'univers de Like a Dragon est dense, parfois confus, et dilué dans des jeux qui sortent désormais plusieurs fois par an et se dégustent comme autant d'épisodes d'un même univers partagé. Et un peu comme tous les univers partagés, on finit parfois par se retrouver avec des trucs assez étranges, mineurs, voire inutiles sur les bras. Sans aller jusqu'à dire qu'on aurait pu se passer de ce Like a Dragon Gaiden: The Man Who Erased His Name (votre serviteur est trop fan de la série pour louper un épisode), ce volet soulève néanmoins une question, voire inquiète un peu. Qu'est-ce que Sega essaye de nous raconter en surexploitant sa licence et ses personnages aux limites de l'incohérence ? Mystère.
Trouble Dragon
Kazuma Kiryu, ancien gangster, chauffeur de taxi, champion de bowling, manager de cabaret, promoteur immobilier et directeur d'orphelinat, a déjà été tué littéralement et métaphoriquement un certain nombre de fois par Sega. À la fin de Yakuza 3, de Yakuza 5 et de Yakuza 6, on pouvait poser le même constat : mon vieux, ton histoire est terminée. À chaque fois, une pièce a été remise dans la machine : le personnage semble trop populaire pour tirer sa révérence. Au point de figurer sous forme d'antagoniste mineur dans le septième épisode, dans une série de séquences qui dépassent le simple clin d'œil pour se vautrer dans un certain mauvais goût. Comme s'il était pertinent de nous agiter la marionnette à laquelle un épisode entier d'une cinquantaine d'heures avait été consacré pour essayer (avec succès) de nous émouvoir via sa disparition. Mais certes, admettons, la licence Like a Dragon semble tellement indissociable de Kiryu qu'il semble qu'on ne laissera même jamais le nouveau héros en titre, Ichiban Kasuga, évoluer sans lui. Pour être honnête, je peux vivre avec cette idée, j'ai avalé de pires pilules dans ma vie.
Cependant, Like a Dragon Gaiden pousse la mascarade un peu plus loin, en essayant, à la manière d'un Obi Wan chez Disney, de combler chaque micro-bout de zone d'ombre de la licence. Comme si rien ne pouvait être laissé à notre imagination. Ce que cet épisode, qui se revendique comme assez mineur, comme l'indiquent son titre et son prix, essaye donc de nous raconter, c'est la manière dont un Kiryu désormais quinquagénaire trouve le moyen de se retrouver à nouveau embringué dans une histoire de crime organisé. Et ce après avoir simulé sa mort aux yeux du monde. Adieu Kiryu, bonjour Joryu, son nouvel alias, pour une nouvelle vie consistant à travailler comme agent secret pour une petite famille mafieuse et à espérer ne pas se faire reconnaitre parce que, tel Clark Kent, il a mis des lunettes. Cela ne fonctionne pas, le running gag (involontaire) de l'intrigue étant que "Joryu" va voir sa couverture grillée une bonne trentaine de fois en moins de douze heures d'intrigue principale.
Et parlons-en, de cette intrigue principale : épisode mineur ou pas, annexe revendiquée ou non, elle est tout de même assez indigente. Déployée sur cinq petits chapitres, elle essaye de donner de l'épaisseur à un point secondaire de l'intrigue du septième épisode à coup de retournements de situations absolument invraisemblables, parfois aux frontières du foutage de gueule. Alors, certes, c'est du Like a Gaiden, c'est toujours mis en scène d'une manière flamboyante et parfois assez impressionnante (surtout vers la fin du jeu). Mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser que si c'était pour en faire un truc frisant de si près l'autoparodie, ce n'était peut-être pas la peine de ramener ce bon vieux Kiryu à la vie. Pour être franc, c'est le premier épisode de toute la série dont certaines cinématiques m'ont donné envie d'éteindre ma console, j'ai été assez heureux que ces salmigondis ne durent qu'une dizaine d'heures. Et si, au fond, la magie a opéré quand même, c'est parce qu'ironiquement, cet épisode est très, très fort sur ses aspects secondaires : les combats, et les quêtes annexes.
Cinq barres de réseau
Histoire de ne pas vous coller devant un triste générique de fin en moins de deux grosses soirées de gaming, Like a Dragon Gaiden a mis le paquet sur les activités annexes, en utilisant une astuce assez bienvenue : le réseau Akame. Ah, Akame, il faut qu'on parle de celle qui est une des rares très bonnes trouvailles scénaristiques de ce volet. Redresseuse de torts et informatrice pour le monde souterrain de la ville d'Osaka, Akame (interprétée avec brio par First Summer Uika) est la preuve que quand elles s'y mettent, les plumes de Ryo Ga Gotoku sont capables d'écrire des personnages féminins qui tiennent la route. Une mue bienvenue déjà amorcée par le septième épisode.
Assez rapidement dans le jeu, Akame prend Joryu sous son aile, et lui demande d'accomplir un certain nombre de missions pour elle, ce qui va structurer tout le système de quêtes secondaires de l'aventure : plus vous aidez les habitants du quartier de Sotenbori, et plus des gens viendront vous réclamer de l'aide pour des problèmes plus intéressants et des quêtes annexes plus longues et gratifiantes. Des histoires secondaires allant de quelques secondes de bagarre à une vraie grande histoire de plusieurs chapitres se déploient alors petit à petit, et ont l'intelligence de vous faire toucher progressivement à tout : combat, mini-jeux, boutiques, recherche d'objets et de secrets dissimulés dans la ville… On se retrouve à parcourir de manière guidée, mais non contrainte, l'ensemble des petites activités proposées par les trois quartiers du jeu d'une manière assez fluide et harmonieuse. Un système qui était déjà bien présent dans les deux Judgement, mais qui se retrouve ici intégré de manière très agréable.
Comme d'habitude dans la série, ces quêtes sont l'occasion de déployer un ton beaucoup plus humoristique que lors du scénario principal et de présenter des personnages assez loufoques, voire complètement absurdes. Ils ont le simple défaut de se contenter un peu trop souvent d'être des références à des jeux passés de la série, mais disons que ça fait partie du contrat : cet épisode ne s'adresse qu'à celles et ceux qui ont déjà bien rincé la licence et en connaissent les personnages et les gimmicks iconiques. Et finalement, l'accomplissement de tout ou partie des quêtes du réseau Akame offre des récompenses (équipement, expérience) permettant de développer le personnage de Joryu de manière assez organique.
Go-go-gadgeto bakamitai
D'ailleurs, si ces quêtes annexes présentent un défaut majeur, c'est probablement que ces fameuses récompenses mettent en lumière que le niveau de difficulté du jeu a été radicalement abaissé, et visiblement pas tellement de manière intentionnelle. Concrètement, on se retrouve rapidement à la tête d'un véritable tank humain quasiment invincible, avec en poche des centaines d'objets de soin, et un niveau de challenge qui confine au néant. Non pas que l'on incarne un Kiryu parfaitement surhumain, du moins pas plus que d'habitude. Le problème, c'est que le jeu a visiblement été équilibré avec les pieds. Et c'est dommage : il propose un des meilleurs systèmes de combat de toute la série.
Là aussi, l'idée est reprise (et améliorée) de Judgement : le protagoniste peut désormais changer de style de combat pour passer en mode "agent", un combattant utilisant des gadgets pour vaincre ses cibles. Des câbles électriques pour les projeter et les immobiliser, des drones pour les harceler, des cigarettes explosives, etc. C'est complètement débile, mais c'est jouissif à utiliser, et ça rend les combats terriblement amusants. Le studio en a probablement conscience, puisque ces derniers sont particulièrement nombreux, et mettent en scène des groupes de vilains pouvant aller jusqu'à vingt ou vingt-cinq adversaires en même temps. C'est trop, mais on se fait alors un plaisir de faire exploser tout ce petit monde à coups de pétards et de chaussures magiques.
Un épisode au développement visiblement trop rushé
Mais hélas, ces combats amusants, mais répétitifs et sans challenge ni enjeux sont aussi le témoignage d'une œuvre assez sous-produite, visiblement complètement rushée "en seulement six mois". Oui, je veux bien le croire : ça se voit. Tout dans Like a Dragon Gaiden crie au bricolage, à la réutilisation forcenée d'assets, à l'assemblage maladroit de chutes d'autres jeux. Certes, c'est une des marques de fabrique de la série, qui lui permet de sortir des épisodes aussi rapidement via des réutilisations de décors et de personnages. Mais pas à ce point.
On termine le jeu avec l'impression très frustrante qu'il aurait nécessité beaucoup, beaucoup plus de temps pour livrer une expérience vraiment satisfaisante. Davantage d'écriture, de finition, d'idées développées et abouties, de réflexion sur ce qui fonctionne ou pas dans l'économie, de structuration dans l'enchaînement des activités annexes, etc. On aurait peut-être alors évité de se retrouver avec des séquences où ce développement hâtif se voit particulièrement, à l'image de ces visites de cabaret figurant des actrices érotiques en prises de vue réelles, un projecteur braqué sur les yeux dont le reflet se voit dans leurs pupilles et devant réciter leurs phrases sans visiblement avoir la moindre idée du contexte demandé. Le cringe est total.
Peut-être que ces quelques mois de plus et un développement plus calme et moins frénétique auraient fait de ce Like a Dragon Gaiden: The Man Who Erased His Name le grand jeu qu'il aurait mérité d'être. Ce n'est pas le cas, et on doit se contenter de ce qui restera comme une curiosité sympathique pour les fans les plus hardcores de la série.
Like a Dragon Gaiden: The Man Who Erased His Name a été testé sur PlayStation 5 via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PC, PlayStation 4 et sur les consoles Xbox
J'ai pu paraître effroyablement pisse-vinaigre dans ce texte, mais je tiens tout de même à le préciser : Like a Dragon Gaiden: The Man Who Erased His Name demeure un bon jeu. Un bon jeu pour faire plaisir (un peu) aux clients de la série, qui aiment son côté décalé et son univers dense et farfelu. Mais au regard de ce que la série a l'habitude de proposer, ce n'est franchement pas très glorieux non plus. Il y a ici trop de caméos inutiles, d'idées mi-cuites, de problèmes d'équilibrage et d'incohérence scénaristiques pour que l'on trouve ce volet à la hauteur de sa licence. Il serait sans doute bon que Sega arrête de considérer qu'il est possible de livrer trois Like a Dragon par an sans que les sacrifices nécessaires en matière de production bâclée (et probablement de conditions de production peu glorieuses) ne se ressentent à l'écran. Certes, tous les moyens ont sans doute été mis sur un Like a Dragon: Infinite Wealth dont je veux volontiers croire qu'il sera un des jeux les plus incroyables de 2024. Mais en attendant, cet épisode Gaiden reste une petite déception, même en fermant les yeux sur ses aspects les plus cabossés.
Les + | Les - |
- Le gameplay des combats, ultra fun | - Histoire principale très bancale |
- Les quêtes annexes sont très amusantes | - Trop de recyclage, voire de "chutes" |
- Tous les enjeux autour d'Akame | - Développement visiblement très hâtif, voire bâclé |
- Le mélange action et RPG façon Judgement commence à être très maîtrisé | - Le mini jeu du cabaret, assez gênant |
- Moins cher qu'un épisode classique (encore heureux) | |
- La mise en scène, toujours au top |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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