Life Eater, la dernière production de l'étrange studio Strange Scaffold (Space Warlord Organ Trading Simulator, El Paso, Elsewhere, An Airport For Aliens Currently Run By Dogs…), ne fait pas dans la demi-mesure. On vous propose en effet d'incarner un pauvre diable se croyant possédé par un démon, et bien résolu à sacrifier (littéralement) ses voisins innocents.
Dans les jeux vidéo, on est très souvent amené à tuer des gens. Parfois, on le fait même en ayant clairement la position d'un antagoniste. Mais il y a toujours une certaine mise à distance, ou du moins des éléments qui font que l'on peut se détacher un peu de ce qu'on est en train de faire. Ici, rien de tout ça, on nous place directement dans les bottes d'un tueur en série en proie à des visions eschatologiques qui multiplie les crimes atroces depuis des années. Des crimes que l'on va nous demander de planifier et d'organiser après avoir multiplié les actions épouvantables pour récolter des informations et semer la terreur et la mort dans le voisinage. Bien entendu, il y a une finalité à tout ça : empêcher la Fin du Monde, imminente selon notre terrifiant protagoniste. Il y a toujours une finalité à tout ça. Mais dans Life Eater, elle est bien plus crue et plus frontale que dans la plupart des jeux vidéo violents. Malgré le minimalisme de l'aventure qui nous est ici proposée, il faut avoir le cœur bien accroché.
Passe le massacre à ton voisin
Revenons en arrière : il y a vingt ans, un démon a pris possession de vos pensées, vous annonçant l'Apocalypse si vous ne consentez pas à des sacrifices rituels réguliers pour l'apaiser. Vous avez depuis lors lentement, mais sûrement sombré dans une folie fébrile mâtinée d'une paranoïa complète. Tout bascule encore un peu plus quand votre sombre passager vous intime une accélération de la cadence : il va falloir davantage de corps chaque année, en moins de temps, et en remplissant des conditions de plus en plus strictes.
Un peu à la manière du scénario Dark Urge de Baldur's Gate 3, le protagoniste de Life Eater est, qu'il le veuille ou non, contraint de commettre des choses profondément violentes, immorales et irréversibles. Ce qui contraste assez avec ce que l'on va concrètement vous demander d'accomplir pendant les quelques heures nécessaires à boucler l'aventure : remplir une base de données qui ne dit pas son nom en gérant un emploi du temps des plus serrés. Après tout, les sacrifices humains, ça n'attend pas.
La boucle de gameplay est en fait assez simple : à chaque chapitre, on vous assigne un certain nombre de victimes à traquer et à capturer après avoir enquêté autant que possible sur leurs habitudes dans le temps imparti. Chaque action d'enquête vous apporte des éléments sur la vie de vos victimes, mais bouffe du temps tout en grillant un peu plus votre couverture. Vous pouvez passer quelques heures à ne pas traquer vos proies pour paraître moins suspect, mais c'est autant d'informations que vous n'aurez pas au moment du sacrifice final. Ce dernier vous demandant de dépecer les victimes selon un certain rituel en fonction de leurs habitudes de vie. Formellement, Life Eater n'est qu'une sorte de "Qui est-ce ?" tourné d'une manière particulièrement macabre.
Mariés, deux enfants
Chaque nouvelle fournée de futures victimes va donc devoir être harcelée et scrutée pour rassembler toutes les informations nécessaires à la tuerie finale. Ont-elles des enfants ? Un emploi ? Combien d'heures par nuit dorment-elles et font-elles des cauchemars ? Autant d'informations à collecter et à recouper en utilisant de manière quasiment obligatoire une aide extérieure de type carnet ou bloc-note. Life Eater ne vous fournit en effet que très peu de moyens de vous souvenir de tout ceci à la fin.
Et c'est probablement ce qui laissera une bonne partie d'entre vous sur le côté. Comme c'est souvent le cas avec les productions Strange Scaffold et avec son scénariste phare Xalavier Nelson Jr., nous sommes ici dans un jeu qui ne propose ni plus ni moins que son concept. Sans beaucoup de fioritures ni de confort autour pour adoucir l'expérience utilisateur. L'interface est d'une âpreté extrême, constituée d'une longue timeline à remplir d'actions variées. À cela se mêle parfois un certain sentiment d'injustice : il y a une petite part d'aléatoire dans les éléments récoltés et dans les questions posées en fin de chapitre, et il arrive que l'on doive tout recommencer juste sur un coup de malchance.
Ce n'est pas toujours le cas pour tous les jeux de ce studio, mais ici, le côté minimaliste, répétitif et brutal de ce que l'on vous fait faire sert pleinement le propos. Dénué de tout dispositif destiné à fluidifier votre routine atroce, Life Eater ne cesse de vous renvoyer à la figure votre nature de monstre froid et calculateur, planifiant son enquête tel un détective de l'apocalypse. Très vite, on ne fait plus du tout attention à ce que l'on est concrètement en train d'accomplir (des kidnappings en vue de massacres ultra gores) pour se concentrer sur des tâches de petit fonctionnaire de la mort. On se surprend à découvrir que deux personnages se fréquentent, qu'untel a un enfant en bas âge ou qu'unetelle fait des cauchemars le week-end. Mais cela ne change rien : on prend note, de manière patiente et méthodique, pour in fine obéir à une instruction de nature vidéoludique qui se trahit à l'écran par une véritable boucherie envers des civils innocents.
L'intelligence de Life Eater se situe certainement dans ses cinématiques situées entre les chapitres, déroulant l'histoire cruelle et tragique du protagoniste. On se souvient alors que dans le conte macabre qui se déroule devant nos yeux, l'on n'est pas "juste" en train de mener une enquête de routine sur les familles du quartier : on planifie leur exécution. C'est glaçant, surtout quand on imagine que ce qu'on accomplit n'est au fond pas si différent que de marquer tous les ennemis d'un lieu facultatif dans un open world et de les massacrer pour faire monter une jauge de complétion. Et ce sans même avoir un mauvais dieu à contenter.
Life Eater a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Une fois de plus, Strange Scaffold livre un jeu vidéo à la fois minimaliste dans sa proposition et particulièrement original dans son pitch. En fouillant dans les tréfonds de l'horreur et de la folie meurtrière, Life Eater ne nous fait pas forcément faire des choses plus immorales ou cruelles que dans nombre de jeux vidéo. Il les met cependant en scène de manière plus frontale et plus crue : oui, dans ce jeu, on tue parce que le jeu nous dit de tuer. Ici, les mécaniques simplistes mettent ce comportement pourtant banal dans le gaming à nu. Je ne retiendrai pas vraiment le jeu en lui-même, tout sauf mémorable, mais son propos me restera longtemps en mémoire.
Les + | Les - |
- La mise en escène est plutôt bien vue | - Le propos carrément dérangeant pourra diviser |
- Le meta discours du jeu sur le meurtre est perturbant, mais intéressant | - Parfois injuste dans sa manière de donner des informations |
- S'arrête avant d'avoir le temps de lasser | - L'interface est âpre à un point qui peut devenir irritant |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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