Sur notre radar depuis son annonce, le Lies of P de Neowiz aura autant suscité notre enthousiasme que notre crainte, entre démo généreuse, trailers prometteurs et souvenirs contrariés de son plus proche cousin, Steelrising. Les deux titres ont en commun d’être de directs descendants de FromSoftware, plaquant sur la formule Soulsborne un reskin de révolution française steampunk pour l’un, et une revisite glauque de Pinocchio pour l’autre. Et si tout n’est évidemment pas parfait, nous tenons quand même avec Lies of P le Souls-like le plus solide de l’année, si ce n’est de ce début de décennie.
Il faut dire que Neowiz et Round8 ont particulièrement bien révisé. Si Lies of P apporte quelques idées neuves, c’est la somme de ses influences, Bloodborne et Sekiro en tête, qui crèvent l’écran à chaque instant. DA, combats de boss, level design, philosophie de combat, structure : quasiment tout a déjà été vu ailleurs, avant d’être digéré, assimilé et retranscrit avec brio par ce Pinocchio robotique aux airs de Timothée Chalamet. Mais si, regardez bien, le fluff dans les cheveux, la petite chemise à jabot de bourgeois, le côté pub pour parfum, c’est bien lui…
Timothée Sait Copier
On reviendra plus tard sur les innovations portées par Lies of P : dès les premières minutes, et pour le reste de l’aventure, on a surtout la tenace impression d’être sur un clone de Bloodborne. J’essaye généralement de limiter les comparaisons entre les jeux pour me concentrer sur la proposition et non des attentes plaquées sur un titre qui n’a rien demandé, mais Neowiz cite et assume ses influences de manière si radicale qu’il me semble compliqué de faire autrement. D’autant que la citation est ici loin d’être un défaut. Lies of P a certes du mal à se détacher de son modèle et ne prend pour ainsi dire aucun risque sur aucun aspect, mais le modèle est tellement bien compris et tellement bien adapté à cet univers alternatif de Pinocchio que l’on pardonne aisément cette approche prudente. Pour un premier jeu du genre, autant pour Neowiz Games que pour Round8 Studios, on peut à la fois comprendre ce choix plus confortable et applaudir un résultat qui tient admirablement bien la route.
Car oui, c'est parfois un peu sage, mais c'est surtout diablement efficace. Le level design ne surprendra jamais quiconque a déjà posé les mains sur un Soulsborne : les ennemis sont cachés là où on les attend, les raccourcis sont toujours un peu disposés de la même manière et les niveaux, rarement immenses, se retrouvent toujours interconnectés selon la même logique. Cela n'empêche en aucun cas les environnements d'avoir une vraie personnalité et des architectures crédibles et organiques et on oublie rapidement ces agencements convenus pour se laisser porter par une DA superbe et bien plus variée et colorée que ce que l'introduction peut laisser penser. La mise en scène donne tout ce qu'elle a dans le wow effect et parvient régulièrement à iconiser ses boss comme ses bâtiments. Tout comme son modèle, Lies of P sait tirer profit de la verticalité et de l'immensité de sa ville et récompense le·a joueur·euse à coups de visions panoramiques rappelant le chemin parcouru – ou annonçant celui à venir.
Bien que plus bavard et plus explicite dans son scénario – un peu ridicule, il faut bien l'admettre – que ce que peut proposer la formule FromSoft, Lies of P réussit tout de même à développer un lore relativement solide à la manière de ses modèles, en passant avec succès par la narration environnementale, les descriptions d'objets et les quelques quêtes annexes. On ne s'est que peu passionné pour la revisite très libre et sombre de l'histoire de Pinocchio façon steampunk-Belle Époque, pas plus que pour les enjeux et motivations des différents personnages qui débitent des discours plus ou moins cryptiques, mais la mythologie globale et son esthétique associée font tenir le tout jusqu'au bout. Et si on a pu faire la moue devant des designs peu inspirés pour les marionnettes de début de jeu, Lies of P passe rapidement à la vitesse supérieure, que ce soit via les Stalkers, un groupe d'humains masqués devenus fous, ou son surprenant virage body horror survenant dans le premier tiers du jeu et proposant quelques idées particulièrement dégoûtantes et réussies.
Timothée Chalumeau
Mais c'est du côté des affrontements et de la philosophie de combat que Lies of P rend sa meilleure copie. Si on retrouve encore un peu de Bloodborne dans quelques mécaniques de combat – le jeu encourage l'agressivité en rendant des points de vie perdus en cas de contre-attaque, tout en nous faisant garder un œil à la traditionnelle barre d'endurance – c'est plutôt du côté de Sekiro que le gameplay vient piocher. On y retrouve la notion de stagger, via une jauge qui augmente à mesure que les coups sont portés à l'ennemi ou que des parades parfaites sont effectuées, et qui permettent d'asséner un coup critique une fois ladite jauge remplie.
On regrettera seulement que, contrairement à Sekiro ou même au médiocre Wo Long: Fallen Dynasty, cette fameuse jauge n'apparaisse pas à l'écran, rendant un peu incertaine l'arrivée du moment où l'opposant chancelle. Sans jamais atteindre la virtuosité des danses mortelles de son modèle, Lies of P propose tout de même un game feel extrêmement satisfaisant et nerveux : les coups portés font mal, les parades et esquives réussies sont autant récompensées par leurs effets en jeu que par leur sound design et les sensations provoquées, et le tout bouge avec une extrême fluidité. On a rarement joué à un descendant de FromSoftware doté d'une telle maîtrise technique et d'un tel plaisir et confort de jeu. La citation de Sekiro ne s'arrête d'ailleurs pas complètement là, puisque Pinocchio s'est vu appareiller d'un bras mécanique, auquel il est possible d'associer diverses prothèses, allant du grappin au lance-flammes. Là où la comparaison s'arrête, cependant, c'est dans la construction de build, étonnamment solide et originale.
Loin de s'arrêter au traditionnel levelling via des points d'expérience et amélioration des armes, le titre de Neowiz propose un système bien plus riche. Que ce soit grâce aux armes séparées en deux parties – manche et corps – toutes deux recombinables et améliorables indépendamment, aux leviers qui permettent de changer les caractéristiques sur lesquelles une arme scale, le P-Organ qui propose toute une batterie d'effets passifs selon notre philosophie de jeu – plutôt parade, dégâts physiques, consommables, attaques de zone, prothèse, vous êtes libre et tout peut fonctionner –, les pierres à aiguiser qui ne se contentent pas de réparer l'arme, mais lui confèrent des buffs, le cube de l'alchimiste et son effet sur les invocations ; les possibilités de builds et de refontes sont multiples et permettent une vraie créativité dans la façon d'appréhender les combats. Les résistances et faiblesses des ennemis face aux éléments étant en plus limpides, toutes les cartes sont en main pour se construire un personnage le plus efficace possible face à toute situation et compenser une courbe de difficulté parfois un peu en dents de scie.
Timothée s’est loupé
Ayant reçu une clef PC après avoir testé la démo sur PS5, j’avoue avoir eu quelques craintes sur le plan technique et optimisation : il n’en est rien. Au milieu d’une année remplie de AAA aux versions PC défaillantes, voire carrément honteuses, Lies of P se montre exemplaire : c’est beau, c’est stable, c’est fluide, même avec les presets fixés sur Ultra, même dans les grandes zones. J’ai beau être loin de chercher la perfection technique ou de compter le nombre de FPS, sur un titre du genre, dont les combats reposent en grande partie sur les réflexes des joueurs·euses et la réactivité du personnage, rien qu’un peu de latence aurait pu rendre le titre fort désagréable, si ce n’est injouable.
Pas que Lies of P se montre irréprochable pour autant. Si son optimisation et sa plastique sont à saluer, certaines tares bien connues des Soulsborne se retrouvent aussi dans le titre, à commencer par une caméra qui n’aime décidément pas les espaces étriqués. C’est une grande constante du genre et c’est probablement très compliqué à faire vu comment c’est systématiquement raté et pénible en jeu. On aimerait seulement que les concepteurs freinent sur cet agencement d’espace le temps qu’une solution soit trouvée, car certes, on ne peut pas axer tout son level design sur des grandes zones ouvertes, mais on se serait bien passés de certains ennemis et mini-boss dans des couloirs resserrés et autres toutes petites pièces.
Autre héritage malheureux de FromSoftware, c’est cette interface bancale. Si le HUD, à défaut d'être joli ou même moderne, est fonctionnel – le jonglage entre les différents sacs n'est pas des plus pratiques, mais on s'y fait – les choses se gâtent du côté des menus. Que l'inventaire soit un poil bordélique et redondant, c'est une chose agaçante à laquelle nombre de RPG nous ont habitués, y compris chez les Souls. Lies of P va un cran plus loin, en rendant assez pénible chaque passage chez le marchand, en n'ayant aucun système de comparaison des stats, forçant à multiplier les allers-retours entre notre build et la liste d'objets à vendre. C'est tout simple, presque un détail, mais ces voyages fréquents dans ces menus pas très bien fichus finissent par irriter au bout de quelques heures, encore plus quand on constate qu'au sein de l'inventaire, ce système de comparaison de statistiques existe et fonctionne. Ça n'empêche jamais d'apprécier le jeu, mais ces quelques grossières erreurs d'ergonomie font tache dans un tableau autrement impeccable.
Lies of P a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox One et Series.
Lies of P n'est pas là pour succéder aux titres de FromSoftware, encore moins les détrôner, et on le savait d'avance. C'est cependant le Souls-like le plus solide du moment, grâce à une parfaite compréhension et retranscription de la formule de ses modèles, à une technique impeccable couplée à un game feel nerveux et efficace, une formidable direction artistique portée par une mise en scène toute en fulgurances, et un vertigineux système de builds. On lui pardonnera ainsi sans forcer les quelques allers-retours dans ses menus mal fichus, sa prise de risque minimale et ses pics de difficulté pas toujours très bien dosés. Face à une telle maîtrise et une telle générosité, il serait de mauvais goût de cracher dans la soupe. Timothée m'a charmé.
Les + | Les - |
- Le Souls-like le plus efficace et solide du moment | - Assez peu d'innovations et de prise de risque |
- Game feel et moveset nerveux et fluides | - Quelques soucis d'ergonomie dans les menus |
- Très grande variété de builds disponibles | |
- De grosses fulgurances dans la DA et mise en scène |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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