La ressortie des deux premiers épisodes des Tactical RPG Langrisser sous la forme d’une compilation intitulée Langrisser I & II nous rappelle que la tentative d’insuffler de l’empathie et des choix moraux sur le champ de bataille n’est pas récente, particulièrement dans un second épisode qui plaçait les choix au cœur de la destinée d’une bande d’aventuriers que l’on pouvait choisir de mener à leur perte.
La série Langrisser a été assez mal éditée sous nos latitudes, question de timing. Arrivée trop tôt dans la vague de popularité des RPG japonais, et passée par des consoles peu populaires en Occident comme la Saturn, la saga a surtout fait les beaux jours des pages import des magazines des années 90, souvent à coup d’illustrations racoleuses (le premier illustrateur attitré de la saga, Satoshi Urushihara, était un dessinateur connu pour ses bandes-dessinées érotiques). Son histoire compliquée, éclatée entre plusieurs éditeurs, n’aura permis a quasiment aucun épisode de nous parvenir avant 2016, à l’exception du tout premier, sorti de manière confidentielle sous le nom de Warsong sur Megadrive. Et pourtant, la ressortie de Langrisser I & II rappelle l’influence déterminante que la série a pu avoir sur le Tactical RPG, jusqu’au récent Fire Emblem Three Houses de la Switch.
Le visage des victimes
Les différents épisodes de la série Langrisser partagent la mythologie commune d’une épée maudite éponyme, et d’un univers souvent plus sombre que dans la plupart des autres séries de RPG Tactique. On y meurt, on y rit peu, et on affronte un bestiaire assez répugnant influencé par les grands mythes de la mythologie germanique. Pas étonnant : la série nait en 1990, en plein boom du jeu de rôle sur table occidental au Japon et en pleine vague Dark Fantasy sur l’archipel (Berserk ou encore Bastard !! sont créés à peu près à la même époque, avec des esthétiques vaguement voisines).
Le premier épisode, déjà, donnait le ton, en massacrant une bonne partie du casting des personnages nommés dès la mission tutorielle, qui n’est qu’une fuite d’une bataille perdue d’avance. Mais il offrait dans la plupart des missions beaucoup plus de latitude au joueur que dans les autres jeux du genre à la même époque. Souvent, le choix était basique : rejoindre le plus vite possible un endroit donné, ou prendre le temps de nettoyer la carte de tous ses ennemis. Le joueur était récompensé, de manière simpliste, par davantage de dialogues entre les personnages et un approfondissement de l’histoire, notamment la rivalité entre votre héros, Garett, et son rival Lance, le Chevalier Noir.
Si ces choix ne servaient au final qu’à éclairer la fin douce-amère du jeu sous une lumière légèrement différente, ils constituaient en revanche un véritable défi tactique pour les amateurs de stratégie corsée, légèrement minoré par la compilation Langrisser I & II qui facilite un peu trop le gain d’expérience des unités et assèche un peu le challenge. Mais dès ce premier épisode, on mesurait que Masaya avait pour idée de donner un visage, un nom et une histoire aux unités qu’on envoyait se faire trucider sur le champ de bataille. Les émotions étaient encore rudimentaires, technique limitée oblige, mais Langrisser était un jeu qui prenait la notion de mort et de perte sur le champ de bataille au sérieux.
Route(s) Vers l’Enfer
Mais l’ADN de la série se trouve vraiment dans le second épisode, Langrisser II (parfois mieux connu sous le nom de Der Langrisser). En reprenant les grandes lignes du premier épisode, Langrisser II introduit la mécanique de choix et de décision stratégique au cœur de tous les autres épisodes de la série. Le point de départ est classique : vous, le valeureux Elwin êtes dans l’armée des gentils, votre rival est dans l’armée des méchants, et tout le monde cherche à mettre la main sur une épée maudite qui règlera le conflit une bonne fois pour toutes. Mais bien vite, le scénario introduit de nouvelles informations géopolitiques vous conduisant à reconsidérer la question. Un premier choix survient : rester fidèle à vos principes, ou rejoindre l’armée inverse ? Et de ce second choix en découlent d’autres, qui peuvent mener le joueur à des fins radicalement différentes. Des 70 missions possibles dans une run, le joueur n’en verra qu’une vingtaine.
Langrisser II adopte une approche assez radicale pour un RPG nippon du début des années 90 : quels que soient les choix (qui peuvent être extrêmement radicaux si vous choisissez in fine le camp le plus sombre) que vous ferez au cours du jeu, vous aurez à passer au fil de l’épée d’anciens amis, vos choix seront bousculés et remis en cause, et ce d’une manière plus amère et radicale qu’un Fire Emblem Three Houses qui vous incitait in fine à beaucoup leveler pour recruter tout le monde avant la catastrophe. Ici, ce n’est pas possible, et certains choix de missions vous demandent même explicitement de choisir entre sauver ou non des camarades, sacrifiables sur l’autel d’une cause plus noble.
On ne ressort pas de Langrisser II indemne. Parce que malgré son côté kitsch et un peu daté, Langrisser II ne place aucun romantisme dans la guerre, dont les protagonistes ne sont que les pions de deux divinités aussi cyniques l’une que l’autre. Les protagonistes sont placés dans un sentiment d’urgence et de non-retour constant, et on sent fréquemment qu’aucun choix au fond n’était le bon. La fin du premier jeu l’annonçait : la tragédie n’a d’autre issue que de se reproduire encore et encore tant que tout le monde n’aura pas fait le choix de la paix. Une seule série d’embranchement vous permet d’atteindre ce but dans Langrisser II, et elle n’est guère moins mélancolique que les autres. De la Bitterkeit dans le Kriegsspiel.
Patine contre Ripolin
Avec peu de moyens, les deux premiers Langrisser arrivaient à faire prendre vie de manière saisissante pour l’époque à une poignée de personnages baladés par les drames de la guerre. Qu’en est-il de cette version, qui permet pour la première fois de retrouver facilement les deux épisodes fondateurs de la série dans de bonnes versions en Occident ? J’aimerais avoir une réponse simple, mais ça dépend un peu de votre parcours de joueur.
Chara-Ani Corporation, en charge du portage pour NIS America, n’a pas lésiné sur les moyens pour rendre l’expérience agréable : sur tous les aspects du jeu vous pouvez choisir entre décors, musique ou encore avatars modernes ou d’origine. Des options de nivelage de la difficulté ou des débuts de campagne plus simples ont été ajoutés, et la possibilité de passer les combats aide à combattre le côté forcément répétitif d’un TRPG forcément un peu simpliste et dont le gameplay n’a quasiment pas été retouché. Vous vous approchez de l’expérience d’époque sans avoir à vous coltiner les défauts criants qui vont avec. Cependant, les deux premiers épisodes de Langrisser auraient sans doute mérité un peu plus pour vraiment pouvoir séduire une nouvelle génération de joueurs.
Très en avance sur son temps, la série semble aussi un peu en retard sur 2020. Les dilemmes, les choix et les tragédies exposées ici, elles arrivent après deux décennies de The Walking Dead, Life is Strange, Game of Thrones et autres The Good Place qui ont largement fait avancer la place du deuil, de l’éthique et de la moralité dans la réflexion collective. Difficile aujourd’hui d’être impressionné par des dialogues qui fleurent encore un peu trop la genèse du concept, et qui semblent parfaitement être ce qu’ils sont : de la Fantasy japonaise un peu edgy écrite il y a une trentaine d’années, avec des codes qui semblent terriblement datés. Avec la nostalgie et un peu de perspective historique, cependant, la sauce peut prendre.
Langrisser I & II a été testé sur PS4, via une clé fournie par l’éditeur
Vous auriez tort de vous priver de cette compilation si vous ne connaissez pas du tout ces épisodes fondateurs du tactical à la japonaise. Ce sont des jeux plaisants, en avance sur leur temps, resservis en 2020 d’une fort jolie manière. Attention cependant, l’influence déterminante de la série sur tout un tas d’autres JRPG ne suffira pas à vous passionner si vous n’avez pas un affect particulier pour le genre et son histoire. On y verra au choix une plongée dans un des tournants narratifs du jeu de rôle nippon ou un vieux bibelot repeint à la va vite pour le refourguer sur Le Bon Coin : Langrisser I & II tient des deux à la fois, et on aurait aimé que cette compilation arrive beaucoup, beaucoup plus tôt pour ne pas subir autant les ravages du temps.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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