Nouveau jeu du studio français Ishtar Games, Lakeburg Legacies se propose de mélanger city building et simulateur de relations sociales et de faire de l'amour le moteur de votre nouvelle société.
Des fois, le descriptif d'un jeu me crie « LOL, non pas toi » et je réponds « non, mais tu as raison, restons-en là » et je referme la page vaguement déçue. Parfois, c’est l’inverse, il me fait des yeux doux et me susurre à l’oreille que nous pourrions être si bons amis ou peut-être plus et je ne résiste pas. C’est ce qui s’est passé avec Lakeburg Legacies. À la fin de ma première partie cependant, je n’arrive pas à décider si nous allons rester bons amis ou simples connaissances qui se saluent, gênées, lorsqu’elles se croisent dans la rue. Ce n’est en tout cas pas le coup de foudre espéré.
Et tu swipes, swipes, swipes, c'est ta façon d'aimer
Lakeburg Legacies a une idée de base que je trouve formidable, d’abord parce qu’elle apporte de la nouveauté, mais aussi parce que souvent dans les city builders/jeux de gestion, la population n'est qu'une masse indistincte composée au mieux de factions. Ici, la gestion des personnages se rapproche plus d’un jeu de survie que d’un city builder classique. D’ailleurs, vu la vitesse à laquelle tout le monde meurt (pour diverses raisons), ça pourrait tout aussi bien être un jeu de survie. Au départ, vous n'avez qu'un·e villageois·e, qui va couper du bois, puis il faut lui trouver un·e partenaire de vie. Vous pouvez alors swiper sur un Tinder médiéval et, grâce aux traits et caractéristiques du/de la prétendant·e ainsi qu’à ses aptitudes professionnelles et ses goûts, vous pouvez décider du/de la meilleur·e partenaire pour votre bûcheron·ne. Bien sûr, leur compatibilité compte, mais avez-vous vraiment besoin d’un·e autre bûcheron·ne dans votre village, ou vous faut-il plutôt quelqu’un qui sache cultiver la terre ? C'est à vous de voir.
Au fil des unions, des séparations, des naissances et des recrutements, votre village va s'agrandir et les habitant·e·s vont pouvoir se marier entre eux et développer des relations (de type amitié, animosité, désir, etc.). Bien sûr, impossible de rester investi uniquement dans les relations qui se nouent, il faut aussi faire fonctionner le village, mettre les gens les plus compétents aux bons postes, privilégier telle ou telle production pour obtenir plus de ressources et construire des bâtiments supplémentaires. En faisant attention aux couples formés et où vous placez les enfants en apprentissage, vous pouvez obtenir de nouveaux habitant·e·s avec des capacités dans certains domaines (ce n’est pas de l’eugénisme à proprement parler, mais il y a un petit côté dérangeant à ce concept quand on y pense). Si tant est que vous mainteniez assez d’habitant·e·s en vie pour développer votre village, vous gagnez la partie lorsqu’un certain palier de prestige est atteint (environ 5 à 8 h pour une partie).
Les écueils du premier rendez-vous
Jusque-là, me direz-vous, tout va bien, mais vous le savez, car vous avez lu l’intro, il y a forcément un moment où la période de lune de miel prend fin et on voit enfin les défauts de son/sa partenaire, sa manie de ranger les livres par ordre alphabétique alors que votre âme d’artiste exige un rangement par dégradé de couleurs ou cette habitude exaspérante qu’iel a de respirer (mais si vous en êtes là, la séparation est peut-être une option à envisager). Ici, le premier couac arrive dès le premier rendez-vous, car Lakeburg Legacies possède un tutoriel que je qualifierai de confus, pour être polie. Des petites fenêtres pleines de texte s’ouvrent dans tous les sens pour vous expliquer à quoi sert telle ou telle chose, il faut alors lire plein de texte, assez petit, puis oublier ce qu’on vient de lire parce qu’une autre bulle pleine de texte vient de s’ouvrir ailleurs. Puis… plus rien. Le tutoriel ne vous indique par exemple pas l’existence du grenier, où vous pouvez augmenter les limites de stockage des produits ou suivre la production, mais, si vous cliquez dessus par hasard (j'ai mis un moment à le trouver), alors revoilà les petites bulles de tutoriel, et idem pour l’option de commerce.
Un tutoriel raté, ce n’est pas un défaut rédhibitoire, mais lors du second rendez-vous, une chose que vous auriez voulu ignorer vous saute au visage : le manque d’intuitivité de l’interface, couplé à un manque de lisibilité criant. Si j’ai mis du temps à trouver certaines options comme le grenier, c’est que Lakeburg Legacies pullule d’écrans divers et variés entre lesquels il faut jongler… sans proposer d’écran récapitulatif nulle part. Vos habitants ont besoin d’un toit au-dessus de la tête s’ils font ou veulent des enfants, il faudra agrandir la maison, normal. Le problème, c’est que la seule option pour gérer ça, c'est de faire défiler une à une les maisons pour voir ce qui manque, l’état du mariage et des relations : c’est fastidieux, surtout que si tout se passe bien, votre village ne cesse de grandir. Il en va de même pour les postes de travail. Pour ce qui est de l’aspect social et relationnel, c’est amusant lorsqu’il y a moins de dix personnes dans le village et que vous comprenez bien qu’Orpheus n’est pas pour la monogamie stricte, mais quand le village dépasse 10 personnes, il devient difficile de prêter attention à qui s’apprécie ou pas, d’autant que si les relations sociales ont un impact, on peut gagner la partie sans y prêter tellement attention.
S’ajoute à cela que les événements scriptés et les entrées des journaux des mariages finissent assez vite par se répéter, donnant une impression un peu artificielle. Mécaniquement, cela aboutit à priver les personnages de leur individualité (sauf Childebert, tu es un excellent bûcheron Childebert, mais tout le monde te déteste). D’autres points sont assez peu clairs : comment gagner de l’argent, comment récupérer des points de foi, de santé ou de divertissement alors que les bâtiments associés sont si chers ? Bref, j’ai eu l’impression de passer ma vie à jongler entre des écrans sans jamais réellement maîtriser la mécanique. Reste l’aspect matchmaking et, comme les relations sociales, lorsqu’il n’y a qu’une poignée d’habitant·e·s, c’est très amusant. Après, et une fois la nouveauté passée, la tentation de faire ça à la va-vite est grande, d’autant que les goûts et les réponses à ce qui se passe lors des rendez-vous tournent très vite en rond et qu'il n'y a pas d'ajout de mécaniques ultérieures. Je me suis retrouvée très souvent à faire défiler mécaniquement des profils jusqu’à trouver un match honorable et à unir deux personnes pour avancer.
Alors, on se parle d'amour ou d'amitié ?
À ce stade, la question se pose, est-ce que c’est toi ou est-ce que c’est moi ? Autrement dit, est-ce que tout simplement, je ne suis pas le bon public pour Lakeburg Legacies ? D’un côté, j’aurais tendance à vouloir lui faire porter le chapeau, avec son absence d’écrans récapitulatifs qui permettraient de fluidifier la gestion, la répétitivité des événements qui finit par lasser et un manque de lisibilité, des points que je trouve difficilement excusables. De l’autre, je dois lui reconnaitre pas mal de qualités et de détails astucieux. D’abord, proposer une simulation de village plus vivante et plus personnalisée que d’autres jeux de gestion. Ensuite, en assumant pleinement son côté un peu cheesy, il peut multiplier les détails amusants tels ces pick-up lines en haut des profils des prétendant·e·s, la possibilité de marier et de faire famille indépendamment du genre, les événements scriptés qui ne manquent pas de piquant, etc. En permettant de jouer sur différents niveaux pour optimiser les productions (bonheur en mariage, aptitudes au travail, caractéristiques, etc.) et malgré un manque de lisibilité, il permet aussi aux fans de micromanagement d’y trouver leur compte.
Peut-être donc que j’ai une part de responsabilité dans ce bilan mitigé. Car, je l’admets volontiers, je n’aime pas trop le micromanagement et j’ai du mal à laisser mon imagination travailler suffisamment pour donner réellement vie aux personnages que le jeu propose et, si j’ai la capacité de m’attacher aux personnages dans un jeu de survie, c’est en général qu’ils ne sont pas très nombreux. Au-delà d’un certain nombre, je n’ai plus la capacité d’attention nécessaire pour les considérer individuellement. Et c’est probablement la question que pose Lakeburg Legacies au fond : est-ce que les mécaniques d’un jeu de survie (affinités des personnages, individualité, traits de caractère, etc.) peuvent fonctionner sur une autre échelle ? Si la réponse n’est pas un grand oui pour le moment, il reste une proposition intéressante et ambitieuse qui multiplie et mélange les mécaniques tout en assumant son thème.
Lakeburg Legacies a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Je crois que Lakeburg Legacies et moi allons rester de lointains copains, nous céderons de temps en temps à la tentation d’un booty call amical et irons boire un coup, mais sans aller plus loin. Il ne manque pas grand-chose pourtant : une interface plus lisible, une gestion plus fluide et un peu plus de variété dans les événements. Pour autant, pour peu que l’on accepte la proposition et que l’on a bien conscience de ses défauts, Lakeburg Legacies reste une expérience intéressante et divertissante.
Les + | Les - |
- Très joli | - Manque de lisibilité |
- Fourmille de détails amusants | - Assez répétitif à la longue |
- Une proposition originale | - Le tutoriel confus |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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