À l’occasion de la sortie des remakes des Resident Evil, Ace Attorney ou encore Ghost Trick, nous nous félicitions que Capcom prenne autant soin de son catalogue, et mette autant d’application dans la restauration de licences iconiques que de titres un peu plus de niche. Cette fois-ci, c’est l’exact inverse, puisque l’éditeur et développeur japonais utilise la Resident Evil et Monster Hunter money pour produire une toute nouvelle IP. Oui, en 2024, dans cette économie, voilà qui surprend agréablement.
Présenté lors du Non-E3 2023, Kunitsu-Gami: Path of the Goddess a immédiatement attiré notre œil avec sa direction artistique basée sur le shintoïsme et lorgnant fort sur l’ère PS2 de Capcom, Okami et Onimusha en tête. Et si le résultat, à mi-chemin entre le tower defense et le jeu d’action à la troisième personne, montre quelques imperfections, on ne peut que saluer l’originalité et la qualité de la proposition.
Le meilleur jeu PS2 de 2024
Je n’ai pas mentionné l’ère PS2 de Capcom à la légère : Path of the Goddess porte à bien des égards la marque des années 2000, que ce soit en termes d’esthétique, de structure et de gameplay, au point que des costumes et musiques d’Okami apparaissent en jeu sans détonner un seul instant. Et cet aspect est loin d’être un reproche. Car, si vous voulez mon avis, la mode, c'est de la merde, et ça a trop souvent tendance à porter un jugement de valeur absolu sur des éléments très relatifs. Quand tout le monde fait de l’open world et porte des tailles basses, si ça foire ce n’est pas car l’open world c'est nul ou que les tailles basses sont le vêtement du diable, mais plutôt car tous les jeux ne sont pas faits pour porter leur jean sur les hanches et que toutes les morphologies ne sont pas adaptées au monde ouvert. Enfin, vous voyez l’idée quoi.
C’est sur ce point que les équipes de Capcom ont été malignes, en choisissant des éléments très ancrés dans les années 2000, mais très pertinents pour ce qu'elles voulaient faire de Path of the Goddess, sans jamais piocher dans les gimmicks et effets de mode du moment, mais sans pour autant avoir l’air ringards, ni ignorer toutes les innovations technologiques et vidéoludiques en termes de conception et d’accessibilité. En cela, Path of the Goddess est un tour de force : les sensations qu’il procure semblent provenir de nos souvenirs de joueur·euse·s d’il y a vingt ans, mais fonctionnent aujourd’hui grâce à une technique et une philosophie résolument modernes.
Ainsi, alors que le moveset de notre personnage nous arrive tout droit de 2006, que la structure linéaire en niveaux et objectifs bonus sent bon la PS2, que l’esthétique et le level design ravivent des souvenirs d’Onimusha, on en vient presque à oublier que si le tout fonctionne si agréablement, c’est grâce à un RE Engine toujours aussi solide, à un système de checkpoints et sauvegardes automatiques confortable et permissif, une interface claire et lisible et des options d’accessibilité certes encore incomplètes, mais relativement (et malheureusement) nouvelles pour le Japon. L’illusion est ainsi parfaite : ça a l’air vieux, mais ce n’est finalement qu’une façade qui cache une machinerie flambant neuve.
Ce qui compte, ce sont les Kamis qu'on se fait en chemin
Mais ce n’est pas uniquement pour la fausse nostalgie que Path of the Goddess nous enthousiasme à ce point. Je pense même qu’il s’adresse aussi bien au public de trentenaires/quadras bercé·e·s à la PS2 et Xbox qu’à des joueur·euse·s plus jeunes ou étant passé·e·s à côté de ce pan de la production vidéoludique. Car Kunitsu-Gami est surtout très inventif dans l’exploitation de son concept et dans le renouvellement de ses mécaniques.
Sans trop entrer dans les détails, le titre nous place dans une succession de niveaux, dont le but (quasi) invariable est de protéger la prêtresse Yoshiro face à des nuées d’esprits maléfiques, les Ikoku, et de la mener saine et sauve jusqu’aux toriis corrompus afin qu’elle les purifie. C’est peu ou prou tout ce que je peux détester dans un jeu vidéo : un personnage immobile à protéger, de la micro-gestion de villageois (et donc d’IA) pour organiser sa défense, la pression constante du facteur temps, tout ça, ça me stresse énormément, et ça a tendance à me faire passer un très mauvais moment sur un jeu. Mais pas dans Path of the Goddess.
Pourtant, tout ce que je viens de décrire est bien là : le jour, il faut collecter un maximum de cristaux (la monnaie du jeu) et de rations, sauver un maximum de villageois·e·s à qui il faudra attribuer des rôles et des positions, construire un maximum de pièges, tout en faisant avancer Yoshiro, avant que ne tombe la nuit et qu’il faille résister face à de nombreuses vagues d’esprits et démons. Tout ceci aurait pu m’être très pénible, mais le titre réussit à rendre ces mécaniques amusantes et intéressantes en s’appuyant sur deux piliers essentiels : l’équilibrage et la variété.
Quand je parle d’équilibrage, ce n’est pas tellement du côté du combat (d’autant qu’en refaisant les niveaux précédents, il est possible de booster Soh, notre personnage, et les villageois·es au-delà du raisonnable) mais de la variable temps. Path of the Goddess a un usage particulièrement maîtrisé de son rythme, les curseurs de durée des jours et nuits sont toujours parfaitement calibrés. Les jours sont assez courts pour ne pas avoir le temps de tout faire d’un coup (et donc de devoir faire des choix), mais suffisamment longs pour que l’exercice ne soit pas trop stressant ou punitif et laisse la place pour installer une défense et une stratégie. Les nuits, elles, sont assez longues pour éprouver votre stratégie, mais pas au point d’être un marathon : on serre toujours un peu les fesses en dernière partie de nuit, mais on perd finalement assez rarement. Les courbes de progression et de difficulté étant de plus très fluides, on a tout le temps nécessaire pour comprendre les différents dangers et ennemis et l’expérience stratégique s’acquiert de manière très organique.
Les toriis sont partagés
D’autant que cette maîtrise du temps, du rythme et de l’équilibrage se fait au service d’un concept qui sait incroyablement bien se réinventer. Je spoilerai au minimum les différentes idées qui parsèment l’aventure, mais si, en parcourant les deux/trois premiers niveaux, on peut craindre qu’une certaine monotonie s’installe, ce sentiment est tout de suite balayé par une suite qui s’amuse constamment à jouer avec les attentes et les éléments pris pour acquis. Si la base de gameplay et les objectifs évoluent finalement assez peu, Path of the Goddess repousse à quasiment chaque niveau les limites de son postulat et en modifie de manière astucieuse les contours. Croyez-moi, on peut finalement faire beaucoup de choses très fun et très surprenantes sur l’unique base de "il faut protéger la prêtresse au milieu du niveau face à des attaques de monstres".
Cette créativité inattendue fait ainsi de Path of the Goddess un jeu absolument brillant durant les trois quarts de l’aventure. Ce qui rend son dernier acte d’autant plus décevant. Ces mécaniques amusantes le sont tout de suite un peu moins quand elles se voient recyclées dix heures plus tard, sans autre ajout qu’un niveau plus grand, plus ouvert et donc plus difficile à couvrir et à protéger (d’autant que les arènes trop grandes mettent en lumière les limites du système de placement des villageois·es), et on sent au bout de dix-huit/vingt heures que la formule commence doucement à s’essouffler. Un sentiment qui se confirme durant un niveau final fainéant et indigeste, gâchant un poil un climax qui aurait pu (aurait dû) être beaucoup plus impactant que ce que l'on nous sert.
Un tunnel final qui ne doit cependant pas vous détourner de l’essentiel : Path of the Goddess est un jeu brillant, original, amusant et juste assez exigeant pour placer des enjeux et de l’intérêt, mais jamais au point d’être injuste ou décourageant. Les récompenses des objectifs secondaires et des réparations de bases permettent de varier les builds et expérimenter les différents rôles de villageois·es (certains ne sont malheureusement pas aussi utiles que les autres, vous vous en rendrez vite compte). Ainsi, quand Kunitsu-Gami déçoit sur sa fin, ce n’est pas car il est raté, mais simplement car il arrête d’être surprenant et malin pour se reposer sur ses acquis. On lui accordera bien ce repos après autant d’heures de plaisir vidéoludique.
Kunitsu-Gami: Path of the Goddess a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 4 et 5, et sur Xbox One et Series.
Avec cette nouvelle IP, Capcom pioche dans une esthétique et une structure définitivement typées années 2000 et ère PS2. Le résultat est pourtant loin d’être ringard ou dépassé : Path of the Goddess est un modèle d’équilibrage, de créativité et de conception. Au point qu’on lui pardonne sans hésiter ce poil dans la main de dernière minute. Même recyclée, une bonne mécanique reste une bonne mécanique. Et Kunitsu-Gami: Path of the Goddess en comporte bien plus que bon nombre de ses contemporains.
Les + | Les - |
- Artistiquement superbe et original | - Une fin de jeu moins inspirée |
- La formule action et tower defense marche très bien | - Certains rôles de villageois un peu inutiles |
- Des mécaniques qui se réinventent de manière très créative | - Le système de placement de villageois montre ses limites sur les niveaux trop grands |
- Convoque l'ère Capcom PS2 sans jamais être ringard ou daté |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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