Douze ans après le second épisode, cinq ans après son premier trailer à l’E3 2013 et sept mois après une bande-annonce dévoilée sans l’ombre d’un bruitage, Kingdom Hearts 3 est sorti du bois magique dont il avait semé les graines et dans lequel il s’était perdu. Héraut d’une mythologie brumeuse qui a fait les beaux jours de son éditeur, il porte en lui les plus insistantes inquiétudes et attentes, des admirateurs et des intrigués. Le brouillard dissipé, ce troisième épisode lumineux se révèle aux yeux et aux manettes, un beau soleil intérieur piqué de tâches sombres.
Il aura fallu 17 ans pour qu’on entre, à notre rythme et petits pas, dans la cour de Kingdom Hearts. Déjà, petit, alors que les héros de Disney attiraient notre regard et qu’on n’avait aucune idée de ce que pouvait être Final Fantasy, la jaquette du premier épisode nous intriguait, triste et belle, mélancolique. Personne ne pouvait se douter alors du chemin que la future saga prendrait. Un titre, Chain of Memories, qui annonçait l’entrelacement à venir, un deuxième opus majeur, et puis la descente dans les méandres d’une intrigue qui s’est plu à multiplier les sentiers et layons. Début 2019 donc, on a goulûment joué au premier épisode à la faveur d’un portage remasterisé avant de s’arrêter net. La faute à un système de combat bourrin et à un level design pas folichon. Mais le grand final est arrivé inopinément, on a lâché toute affaire en cours pour potasser un résumé de résumé et, le soir venu, démarrer ce jeu attendu depuis plus d’une décennie. Après coup, on a bien fait de se lancer. Plus tôt aurait sans doute été mieux.
We need l’ourson
Vous nous attendiez certainement, sournois que vous êtes, sur ce terrain, on vous répondra d’un non saillant : hors de question de s’amuser à résumer l’intrigue de Kingdom Hearts. Déjà parce qu’on a nous-même pas tout suivi et que d’autres s’y sont essayés avec brio. On vous laisse donc faire votre marché des vidéos récapitulatives ou autres précis dédiés à la chose pour seulement rappeler la base (et encore) : le barbichu Xehanort veut rééquilibrer la balance du monde entre lumière et ténèbres et fomente l’affrontement à venir entre ces forces respectives. Pendant ce temps, Sora part en quête du pouvoir de l’Eveil, indispensable à la veille de la guerre qui s’annonce. On aura l’occasion de revenir plus en détails sur le sujet, mais si acquérir le jeu n’est plus une question pour vous et que vous êtes vierge comme neige de tout rapport à la série, potassez sans tarder.
Kingdom Hearts n’a jamais caché sa volonté de nous balader entre les univers des films Disney, à la manière d’un parc d’attractions dans lequel on passe d’une zone thématique à l’autre, cherchant ce je-ne-sais-quoi de piquant qui attise nos penchants pour le duo cowboy/ranger de l’espace ou une princesse à la chevelure enchantée (et auto-nettoyante, espérons pour elle). Cette balade émoustillante trouve un certain aboutissement ici. Chacun des mondes a été conçu avec un rythme de parcours différent, entre l’exploration de zones plutôt grandes et le rush induit par une suite de couloirs. Un équilibre assez habile est trouvé, facilitant l’impression de renouveau à chaque changement de décors. L’exploration lors des phases les plus ouvertes est ainsi fluidifiée au possible, par un pas de course qui se déclenche après quelques secondes ou l’automatisation de certains mouvements, afin de pallier au mieux à une certaine rigidité de contrôle et un level design parfois fainéant. Les grands environnements, vides de leurs coffres, se parcourent rapidement et sans temps mort, au rythme des intrigues. A l’instar du personnage principal, une sorte d’empressement de vivre naît, ce besoin physique de rallier la prochaine étape à toute allure, pour vivre le plus de choses en un minimum de temps.
Ce que permet Kingdom Hearts 3, en proposant à chaque étape ou presque un nouvel élément de gameplay, qu’il soit pensé dans l’architecture du niveau (la navigation de Pirates des Caraïbes), par l’apprentissage de nouvelles aptitudes (la Grèce herculéenne, niveau introductif) ou simplement comme un instant précis et isolé (la danse sur la place de Corona, où vit Raiponce). Parfois anodins, à l’image du dernier exemple, et si certains sont moins soignés que d’autres (le monde ouvert tout en verticalité mais très vide de San Fransokyo ; la vraie déception Winnie l’Ourson et ses trois mini-jeux bancals), ces changements de gameplay témoignent d’une expérience qui se veut protéiforme. Les voyages à bord du vaisseau gummi, auparavant fastidieux (pour pas dire carrément relous), sont même devenus plaisants avec leur tantinet d’exploration libre et de shoot’em up. La peur de la redondance se mue en une volonté de pétillement assez ambitieuse, qui, à notre étonnement premier, fonctionne tout à fait. On s’est surpris à retourner danser avec les habitants de la capitale de Corona, c’est dire si on a été séduit – il faut l’avouer, on aime bien danser.
D’autant que KH3 a pour lui une direction artistique assez remarquable. Rien de fou techniquement (le jeu souffre de quelques chutes de framerate sur PS4 Pro, certaines textures sont cracra) mais adaptée aux univers de chacun des films que le jeu revisite, elle leur rend honneur avec panache et discrétion. Excepté sur certains effets, lumineux notamment, qui impressionnent pour de vrai. Si les décors embaument un peu la photocopie d’assets pour habiller les niveaux les plus grands, les personnages sont modélisés et animés avec finesse, quelle que soit l’apparence qu’ils arborent, adaptés au mieux au monde qui les entoure. L’accent a d’ailleurs été mis sur les transitions entre cinématiques et phases de jeu, à peine perceptibles, histoire de rendre palpable l’impression « d’y être ». Les passionnés, de la série ou des films, s’amuseront à repérer les détails « wink-wink » glissés à leur attention, quand les autres se passionneront pour l’habillage luxueux de l’interface ou les mini-jeux façon Game&Watch. Les combats ne sont pas en reste, nombre d’effets liés aux magies ou attaques spéciales arrivant, au moment de leur découverte et même après, à nous déconcentrer des coups de tatanes qui s’échangent. Dernier point pour rassurer celles et ceux s’étant émus du trailer montré au dernier E3 : le sound design est au poil et les bruitages bien présents. Prêtez notamment attention aux tirs de laser de Buzz l’Eclair (ça consolera peut-être certains de l’absence d’une licence bien précise), ou au grincement du cuir des manteaux de l’Organisation XIII. Le diable, les détails… Mais chez Square Enix, on a aussi compris que l’éblouissement et le spectacle comptent avant tout, parfois. Ce que les affrontements confirment.
Soratorobo
Dans la lignée de l’exploration, le maître-mot qui s’est accolé aux combats pourrait être celui d’ardeur. Celle de faire tout à fond, le temps de bagarres au dynamisme accompli. Ca virevolte à ne plus savoir où donner de la tête, notamment à cause d’une caméra pas vraiment au point. Et si les débuts peuvent donner l’impression de ne pas maîtriser grand-chose, cette vivacité mise à disposition s’apprivoise peu à peu. Mieux, elle permet de trouver son rythme et ses repères dans la confusion ambiante, digne des plus belles mêlées générales. Au contraire de jeux dont les mouvements doivent être calculés et anticipés avec soin au risque d’examiner de très près les détails du sol, Kingdom Hearts 3 prône l’expressivité de mouvements excessifs. Au fur et à mesure des combos, les gestes se font plus amples et rapides. Le mode fluidité permet de se ruer vers l’ennemi de son choix, et lorsque les barres d’action, visibles (pour l’arme maniée par Sora) ou non (les attaques proposées par les compagnons ou les attaques spéciales), sont pleines, on enchaîne instantanément, par réflexe, sur la suite. Soit la deuxième, voire troisième forme d’une arme aux combos différents et au maniement varié, une magie plus puissante, une attaque combinée avec Donald ou les compères de Monstres & Cie. Ou encore l’apparition d’une attraction, attaque sophistiquée aux couleurs chatoyantes, aussi musclée qu’impressionnante.
L’ergonomie de l’interface est à ce compte exemplaire, tant il est aisé de déclencher une action grâce à une simple gâchette. Rajoutez à cela le tir visé, qui envoie des projectiles aux effets variés selon la keyblade équipée, les liens invoquant des personnages de Disney aux capacités adaptées à chaque situation, la forme rage qui régénère la vie et booste les combos contre le non-accès aux objets et magies… Le résultat est riche, assez aisé de prise en main et assure la part de spectacle qu’on n’attendait pas vraiment, en particulier lors des combats de boss, réussis dans l’ensemble.
Si l’on est rarement mis en difficulté dans les batailles, il est de bon ton de ne pas sous-estimer la préparation en amont des affrontement les plus épiques. Pour ce faire, la boutique des Mogs propose de s’essayer à la forge où, grâce aux matériaux récupérés sur le terrain ou les ennemis, on peut fabriquer ses propres objets et équipements. On n’aurait cependant pas craché sur une optimisation un peu plus poussée des informations données, en magasin (les objets équipés ne sont pas montrés dans le stock et impossible d’accéder rapidement à l’inventaire) comme dans les menus (il faut fouiller pour voir quel personnage a débloqué une compétence ou dans quelle catégorie se trouve le nouvel objet obtenu). Il ne faut pas non plus oublier la cuisine concoctée par Rémy le rat, dont les effets augmentent les caractéristiques en combat pour un temps donné – si tant est qu’on ait auparavant créé les recettes avec des ingrédients trouvés dans les restes de plats à emporter traînant dans la rue. Le respect des oeuvres avant tout.
Les compétences, débloquées avec la montée de niveaux des personnages, permettront de personnaliser à minima les effets passifs dont on peut jouir. Le jeu n’étant pas avare en Points de Compétence, les choix à faire sont minimes et on y passera seulement pour activer celles tout juste acquises. Les compétences associées aux armes ne sont, par contre, pas toujours très claires sur leur fonctionnement. Nombreuses à retenir, s’accumulant avec la possibilité d’alterner entre trois keyblades en combat, c’est sur le tas qu’on apprend quand l’une ou l’autre se déclenche. Et l’approche stratégique dont on aurait pu profiter en prend un coup. Il faut bien dire que ce qui a trait aux caractéristiques (force, défense…) n’est pas des plus limpides, et ce ne sont pas les choix à faire en tout début de partie qui nous éclaireront. L’idée d’ajuster le profil d’un joueur, ses attributs de base, selon des traits de caractère qu’on lui propose sous forme d’images-souvenirs est pourtant bien trouvée, elle qui ramène Sora (et le joueur/la joueuse par extension) à ses expériences passées. Justement. Faut-il s’inquiéter d’emblée, à la vue de ces instants qu’on nous assure avoir vécus, si notre expérience de Kingdom Hearts se résume à un unique épisode ou à la découverte de cet opus qui vient clore un arc particulièrement dense ?
Le coeur a ses raisons que le scénario ignore
Square Enix n’a pas fait au mieux pour nous faciliter la tâche. Les portages et leurs titres à rallonge (1.5, 2.5, 2.8 remix remastered perlimpinpouet, rajoutez ce qui vous fait plaisir) sont d’ailleurs l’objet d’une autodérision rigolote au moment de commencer le jeu, qui nous fait la surprise d’inclure un dernier prologue, numéroté 2.9. Si le jeu contient des archives proposant un résumé de l’intrigue, ce n’est très clairement pas suffisant pour apprécier les événements à suivre. Kingdom Hearts 3 mise tout de même beaucoup sur la conclusion d’une saga qui se veut épique. Les nouveaux venus (à peu de choses près notre cas) devront s’accrocher sous peine de manquer le fil d’une histoire franchement bordélique. Et ce n’est pas l’écriture de ce dernier acte qui arrange les choses.
Car la complexité du récit, avec ses embranchements, ses mondes parallèles et ses voyages dans le temps, ne justifie pas une narration aussi déséquilibrée et trouée. La découverte et l’exploration des mondes Disney constituent les 3/4 du jeu et l’intrigue n’avance réellement qu’une fois ceux-ci bouclés. Il faut d’ailleurs noter un certain paradoxe : les niveaux Disney sont ceux où le gameplay propose le plus de situations variées mais le récit est bouclé sur lui-même (entre l’invention, l’arrangement et la reprise de situations des films), l’intrigue générale n’avance guère ; quand l’essence de Kingdom Hearts, ses nombreux personnages, repose essentiellement sur les cinématiques (par ailleurs léchées) et des enchaînements de combats. Facilité d’écriture, le petit groupe formé par Sora, Donald et Dingo erre sans but précis, à la recherche d’un pouvoir dont ils ignorent la nature. Il s’agit évidemment pour Sora de mûrir au fil des rencontres et événements auquel il est confronté, mais cela ne suffit pas à faire résonner les enjeux de cette conclusion grandiloquente. Et quand un noeud se forme dans l’intrigue, les deus ex machina apparaissent par légion, laissant à Mickey, le plus souvent, le soin de débloquer les choses. La fin du monde, ça tient à rien.
La mise en scène générale, exception faite des cinématiques, est au final assez molle. Mais si les dialogues, animés notamment par les voix de Rutger Hauer et Mark Hamill, sont souvent mielleux et les réactions des personnages disproportionnées (la candeur de Sora fait régulièrement rouler des yeux), une certaine finesse se décèle parfois, lors d’un échange ou d’un cadrage qui font mouche, lorsque le jeu prend le temps de s’attarder sur un visage ou un paysage baigné par le soleil. Une phrase, un regard écarquillé, peuvent suffire à animer l’étincelle intérieure de personnages ronronnant dans leur poncif. Les compositions de Yoko Shimomura se révèlent en tout cas primordiales à ces moments de grâce. Primordiales tout court même, entre la réappropriation astucieuse de thèmes connus et le souffle mythique des partitions symphoniques qui imprègnent les affrontements et scènes centrales, à l’exemple du grand final. Il manque toutefois quelque chose à cette conclusion. Est-ce parce qu’on n’a pas de passif particulier avec le groupe de héros, assez attachants dans l’ensemble, et ses personnages centraux qui apparaissent dans le dernier quart du jeu ? Ou bien que l’écriture n’est tout simplement pas à la hauteur des ambitions entraperçues ? Quoi qu’il en soit, au moment où le générique défile, cette gorge serrée, ce sentiment à la fois de perte et de complétude associé aux fins de voyage, sont absents. Cela s’est sûrement joué à peu de choses, mais c’est ce peu qui restera.
Le jeu a été testé sur PS4 Pro, pendant 34h, moments de flânerie compris, via un code fourni par l’éditeur.
Cette attente, née d’une mythologie qui nous semblait acquise, aboutit à un rendez-vous non pas manqué, mais gâché. Par l’indicible émotion à laquelle on rêvait et qui finalement nous échappe, par cette apothéose qui, à trop viser les yeux et les mains, oublie de ravir le coeur une bonne fois pour toutes. Le moment est pourtant là, à plusieurs reprises, où l’on se joint à l’envie de Sora de tout renverser par la joie, un feu d’artifices d’espérance. On prévoit déjà de rattraper les épisodes loupés, et dans leur sillage peut-être, on y verra le grand chamboulement désiré.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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