Spin-off de Kingdom, la série de jeux de stratégie en scrolling horizontal, Kingdom Eighties transpose la formule dans un fantasme nostalgique d'années 80 idylliques. Quitte à ne pas forcément proposer beaucoup plus, d'ailleurs.
Il me semble que parmi les nombreuses propositions essayant de mélanger simplicité et profondeur de jeu dans le domaine de la stratégie, les trois précédents jeux Kingdom ont raffiné la formule jusqu'à atteindre une forme de perfection difficilement dépassable. Depuis le DLC Norse Lands paru il y a deux ans, Kingdom : Two Crowns a atteint en quelque sorte sa forme finale. Beaucoup de contenu, beaucoup de challenge, pas mal de rejouabilité, et toujours un souci d'accessibilité constant qui a fait de la franchise une excellente porte d'entrée à la stratégie et au tower defense depuis près de dix ans. Alors que pouvait bien apporter la formule une fois repeinte à la sauce quadragénaire mélancolique cherchant à affronter les déceptions de la vie d'adulte en s'enquillant les trips nostalgiques à la Stranger Things ? Je pense que la réponse est "absolument rien", ce qui, paradoxalement, fait de Eighties une des bonnes surprises de l'année. On ne change pas une équipe qui gagne.
Les jolies colonies de vacances
Si je me permets tout de même d'insister sur le côté un peu forceur de ce jeu (présenté comme une extension stand alone et donc surtout prévue pour celleux qui connaissent déjà bien la licence), c'est parce que les développeurs eux-mêmes n'y vont pas de main morte. « Une ambiance inspirée des années 80 et de leurs néons multicolores », « la belle époque des longues balades à vélo et des colonies de vacances, quand tout vous semblait encore possible ». Oui, dans ce jeu, vous allez croiser la DeLorean, Polybius et le requin des Dents de la mer. J'ai déjà vu cet épisode de South Park, les gars. J'ai rarement vu un studio y aller de manière aussi outrageusement bourrine sur la soupe pour grande personne désabusée.
Ceci étant dit, la démarche ne me parait pas particulièrement cynique non plus : on nous fait incarner quatre gamins à vélo, moniteurs de camp de vacances, voyant leur région submergée par des créatures étranges. En vélo, en skate, en hoverboard (évidemment), ils vont devoir aider les enfants du coin à bâtir des défenses solides la journée pour mieux résister aux assauts des monstres la nuit. Au moins, c'est efficace et servi par une direction artistique soignée.
Le jeu est plutôt ramassé (comptez moins de dix heures pour en voir le bout), mais chacune des maps que vous allez traverser a été ciselée avec un souci du détail absolument stupéfiant. C'est un peu la marque de fabrique de la licence : quand elle déploie de nouveaux environnements, c'est toujours assez spectaculaire. Mais à la différence des précédents épisodes, celui-ci transpose une bonne partie des assets dans le monde moderne, pour créer des espaces baignés par une illusion de vie très crédible, servie par un fourmillement de détails de tous les instants. On regrettera cependant que ce souci de transformer Kingdom en récit contemporain ne se soit pas accompagné d'une refonte du bestiaire : on se fait toujours agresser par les mêmes petits blobs moches depuis 2015, et ce n'est pas dans cet épisode bonus qu'on trouvera de la nouveauté.
Acceptable in the 80s
Il faut d'ailleurs souligner que, paradoxalement, Kingdom Eighties sera aussi accueillant pour les vétérans de la série qu'hostile pour les nouveaux venus. Avec la quasi-absence de tutoriel qui caractérise toujours la série, ce nouveau volet part du principe que vous savez déjà exactement ce qu'il faut faire. Et que vous allez chercher le reste des infos dans un wiki tenu par des fans. Comment étendre votre camp ? Quand recruter des gamins et quels rôles leur filer ? À quoi servent les drapeaux ? Comment détruire les portails ennemis ? Quel intérêt de changer de véhicule ? Si vous savez déjà tout ça parce que vous avez rincé Kingdom : Two Crowns, eh bien le jeu sera un plaisir à parcourir, tant tout est parfaitement (et sans surprise) à sa place.
En revanche, si vous n'avez jamais pris le temps de découvrir un autre Kingdom avant celui-ci, alors bon courage, car vous allez pas mal vous planter sur vos premières tentatives de faire prospérer votre camp. Si le jeu n'est pas particulièrement difficile (et vraiment bien équilibré), attendez-vous quand même à quelques déconvenues si vous avez eu le malheur de mal organiser vos chaînes de production ou de trop étendre votre campement sans avoir les grouillots nécessaires pour en assurer la défense.
Notons à ce propos que Kingdom Eighties est beaucoup plus orienté aventure que les jeux précédents : il n'est ici pas tant question de survivre le plus longtemps possible que d'accomplir une série de missions précises dans chaque environnement avant de passer au suivant. Ici, on devra sécuriser un endroit particulier pour recruter un compagnon perché dans un arbre. Là, on devra trouver un repas pour un chien perdu. Là encore, il sera question de dénicher des pièces détachées pour créer une voiture blindée : au moins, on est toujours guidé vers quelque chose de concret à faire, plutôt qu'à juste tâtonner en attendant de voir son camp ravagé par des vagues adverses de plus en plus bourrines.
Wargames
L'orientation très « scénarisée » de Kingdom Eighties en limite fatalement la rejouabilité, y compris au sein d'une même map. Chaque chapitre traversé (forêt, ville, centre commercial…) regorge de petits bonus et de secrets amusants. Mais une fois qu'on a bouclé un chapitre, difficile d'avoir envie d'y retourner juste pour débloquer un vélo bonus ou un coffre au trésor que l'on n'emportera pas dans la carte suivante.
Et, en conséquence, il m'aurait semblé souhaitable que le titre de Raw Fury fasse un petit effort sur les combats, qui vont constituer une partie non négligeable de votre temps de jeu et qui, s'ils proposent quelques bonnes idées, s'avèrent vite assez fastidieux et répétitifs. En gros, une fois que votre camp a vu ses premières défenses mises en place, vous pouvez, avec l'aide de vos compagnons et des gamins du camp, avancer vers les portails ennemis qui crachent des ennemis à intervalles réguliers. Vous êtes protégés derrière un bouclier (une magnifique poubelle à roulette) tandis que vos sbires (et un robot qui tire des lasers) repoussent les vagues adverses puis essayent de dégommer les portails d'où ils sortent.
Initialement assez haletants, ces moments de bataille et de destruction de portes s'avèrent vraiment laborieux dans la seconde moitié du jeu : ils sont peu variés, répétitifs et de plus en plus nombreux, poussant dans les derniers moments à se demander ce qu'on fiche là. On recrute une dizaine d'archers, on se poste à bonne distance de la cible ennemie, on laisse l'IA gagner en mode quasi automatique et on recommence quelques mètres plus loin. On s'en lasse, et peut-être sur ce seul point précis, il aurait sans doute été souhaitable de proposer quelque chose d'un peu neuf dans une formule qui commence à sérieusement ronronner.
Kingdom Eighties a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 5 et sur les consoles Xbox.
On ne change pas, on met juste les néons fluo d'autres sur soi : Kingdom Eighties a la chance de bénéficier des immenses et indéniables qualités de sa série pour pouvoir justifier de proposer un épisode aux innovations si maigres. Sorte de gros DLC qui vous sera complètement hermétique si vous n'avez pas déjà plié un ou deux épisodes ces dernières années, ce volet me restera quand même en mémoire pour la finesse extrême de sa DA, et pour la bande son synthwave du compositeur danois Andreas Hald (Bron/Broen, Spring Tide, The Outsider…), dont l'univers éthéré est parfait pour mettre en musique un tel projet.
Les + | Les - |
- Formule toujours aussi efficace | - En fait des caisses sur la nostalgie des années 80 |
- Campagne courte mais maîtrisée | - Manque encore et toujours d'un tutoriel complet |
- C'est vraiment très beau | |
- L'équilibrage de la difficulté est très fin |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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