Onze personnages excentriques capturés par deux sœurs psychopathes sur une île déserte et forcés de jouer à des jeux mortels pour une somme conséquente ? Oui, Inescapable, le dernier visual novel du studio finlandais Dreamloop Games promettait d'être un ambitieux clone de Danganronpa. Sauf que… Sauf que non.
De manière assez commune, je crois, je déteste la publicité mensongère. Et je vous mets au défi de regarder le trailer de Inescapable (ça tombe bien, il est juste en dessous), et de ne pas en déduire que vous venez de payer cinquante euros pour une murder party. Entendons-nous bien : je ne réclame pas un simple clone de Danganronpa V3 sans surprise ni imagination. J'aurais vraiment souhaité que cette aventure s'autorise à être un gros contrepied sur la formule classique de la série de Spike Chunsoft et me surprenne en m'emmenant dans une tout autre direction, à la manière d'un 13 Sentinels. Qu'il multiplie les faux semblants et les tours de passe-passe narratifs, ou qu'il me mène par le bout du nez. Mais ici, on en est loin : on vous vend un thriller survivaliste sur une île sur fond de jeux mortels, et on se retrouve avec douze glandus passant des mois et des mois à s'ennuyer dans un hôtel relativement luxueux au bord de la mer. Le tout dans ce qui ressemble, hélas, bien davantage à un script de téléréalité d'enfermement comme il y en a tant, qu'à un bon vieux polar. Prenez Danganronpa, virez les mystères, virez les meurtres, et vous obtenez quelque chose d'assez fade, dont les quelques idées intéressantes sont plombées par des bugs inexcusables et une interface hostile.
Quand Harry rencontre son lit
Inescapable fait illusion quelques heures. On y incarne Harrison, un étudiant clairement dépressif, narcoleptique et cachant un sale passé, capturé et lâché sur une île déserte avec 10 autres personnages hauts en couleur. On nous l'affirme dès le début : notre héros n'est pas le plus fiable des narrateurs, il y a des trous dans son planning, et il ne se comporte pas nécessairement de la manière la plus élégante avec son entourage. De plus, le voici forcé de participer à un jeu cruel, consistant à devoir survivre six mois sur cette île, soumis aux bonnes volontés de deux organisatrices ayant droit de vie et de mort sur tout ce beau monde. Une expérience, nous disent-elles, retransmise dans le monde entier par un réseau de caméra et de drones.
Un jeu potentiellement mortel ? Des personnages étranges venus des quatre coins de l'Europe en compétition pour gagner 500 000 € ? Un protagoniste potentiellement louche ? Mais bien sûr, dites-moi juste où signer ! D'autant plus que dès les premières rencontres avec les autres personnes présentes sur l'île, il est évident que les antagonismes vont être forts : une richissime héritière française se comportant comme une pimbêche face à une garagiste portugaise alcoolique ? Un mafieux italien macho se confrontant à une jeune Allemande psychorigide ? Une cuisinière naïve et un brin traditionaliste face à une personne non binaire qui enchaîne cuites et orgies ? BIEN ENTENDU que c'est cliché, et ÉVIDEMMENT qu'on a envie de voir tout ce beau monde s'étriper. Et puis un jour passe, puis un autre, puis un autre.
180 jours à survivre, donc. Divisés chacun en trois phases, parfois davantage, parfois moins quand Harry décide de faire la sieste ou d'aller se recoucher sans vous demander votre avis. Un mois passe. Puis deux. Vous enchaînez les engueulades, les pyjama party, les promenades. Vous allez aider Eva l'influenceuse à faire du nail art. Vous allez en randonnée avec Daan le sportif. Vous essayez de collecter des ragots sur Lumi, la mystérieuse Scandinave neuroatypique. Trois mois passent. Le plus grave qui vous est arrivé ? Une dispute à propos de qui fait la vaisselle. Vous construisez une cabane. Vous allez à la pêche. Vous avez potentiellement un début de flirt avec deux personnages à la fois. Quatre mois passent. On vous promet des récompenses et des punitions, qui s'avèrent toujours beaucoup moins impressionnantes que prévu. Qu'allez-vous faire ? Constater que cela fait douze ou treize heures que vous jouez, et qu'il ne s'est toujours formellement rien passé.
Fausse route
Inescapable est une expérience frustrante, et pas uniquement parce qu'on s'y ennuie un peu. D'une certaine manière, ce dernier point pourrait ne pas être si grave. En effet, certains personnages finissent par s'avérer assez attachants et on pourrait allègrement voir l'absence de drame être compensée par des romances, des amitiés ou par la révélation de certains secrets du casting. Mais cela aussi finit par être gâché par le fait que l'expérience est globalement assez buguée, et parasitée par une grosse inconstance dans le peu de gameplay qui nous est offert.
Du côté des bugs, difficile par exemple de pardonner le fait qu'à plusieurs reprises, certains choix de dialogue m'aient brutalement renvoyé dans le passé sans aucune raison diégétique : il s'agit bel et bien de scènes placées dans le mauvais ordre par les développeurs. Ce qui m'a forcé à recharger ma partie pour sélectionner d'autres choix, m'empêchant d'explorer certains pans entiers du scénario. Difficile aussi de pardonner à un jeu qui vous permet de collecter des "points de ragots" pour pouvoir découvrir des informations compromettantes sur vos petits camarades… Avant de vous en retirer la possibilité au bout de quelques heures parce que visiblement, cela n'arrange plus vraiment le scénariste que vous ayez accès à cette fonctionnalité. Au gré des chapitres du jeu, on se retrouve ainsi régulièrement privé d'outils qui servent à faire avancer l'intrigue, ou au contraire temporairement obligé d'effectuer des mini-jeux répétitifs complètement hors sujet.
Mais le pire, dans toute cette soupe indigeste, reste que dans les quatre scénarios qu'il est finalement possible de débloquer, Inescapable ne livre jamais le moindre indice sur les causes ou les conséquences de nos choix. Ni, d'ailleurs, aucune forme d'arborescence narrative visible. Impossible de savoir pourquoi vous êtes dans le scénario A plutôt que dans le B... Et impossible de revenir de manière simple et organique à un embranchement pour en explorer un autre. Impossible, enfin, de savoir quand sauvegarder pour retrouver ces embranchements. C'est à vous de vous débrouiller, ce qui n'est par ailleurs pas toujours simple quand certaines scènes ne sont pas claires sur les conséquences de vos actes, voire pétries d'incohérences.
L'archipel des possibles
Je suis un peu en colère, pour tout vous dire, parce que je vois très bien ce qu'aurait pu être Inescapable avec une meilleure finition, une interface plus claire et des choix nettement plus tranchés. On en a une petite idée en parcourant la seule route scénaristique (sur les quatre que le jeu comporte) qui mène à un événement un minimum intéressant, et qui livre quelques jolies idées de retournement de situation.
On imagine aussi ce qu'aurait pu être Inescapable s'il avait choisi de pousser ses thèmes plus adultes que dans un Danganronpa : avec un casting allant ici de 18 à 52 ans, les personnages abordent régulièrement des problématiques rares dans ce genre de jeux. Ça picole, ça baise, ça parle de relations professionnelles, de nostalgie ou même de différences culturelles de manière plus naturelle et fluide que dans bien des visual novel du genre.
Et même si cela passe par des maladresses, à l'image des personnages parlant avec des accents parfois ridicules pour souligner leur nationalité ou par des scènes de fan service souvent trop longues et pénibles, on voit bien l'idée. Une idée systématiquement gâchée quand chaque moment un peu chouette se retrouve renvoyé dans les cordes par le protagoniste qui va dormir ou une quelconque ellipse partant du principe que rien de ce que vous avez vu ou vécu n'a eu de conséquence durable sur le groupe.
Inescapable: No Rules, No Rescue a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PC, PlayStation 4 et 5 et sur les consoles Xbox.
Inescapable aurait pu être un grand thriller : c'est finalement une toute petite téléréalité vidéoludique. Pas assez de tension, trop de bugs, un propos pas assumé jusqu'au bout, et une interface qui vous en veut personnellement. Le thème de l'enfermement et de la cohabitation, qui finalement se retrouve au cœur de ce qui reste du projet une fois qu'on l'a extirpé de son cocon de fausses promesses, est intéressant. Encore aurait-il fallu ajouter un peu de rythme, un peu de challenge et un peu de confort dans tout cela. Voire, osons le dire, un peu de cohérence. En l'état, il ne nous reste que des dizaines et des dizaines d'heures de texte à lire, en nous raccrochant au peu qui fonctionne pour supporter le reste, désespérément ennuyeux.
Les + | Les - |
- Des personnages adultes : voilà qui permet d'explorer des thèmes intéressants | - Absence complète de tension dramatique |
- C'est plutôt joli | - ÉNORMES bugs allant jusqu'à bloquer certains choix de dialogues |
- La bande-son est chouette | - L'absence d'arborescence claire rend la rejouabilité très désagréable |
- Ne va pas DU TOUT au bout de ses idées | |
- Mini jeux et challenges annexes indigents |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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