In Stars and Time est un RPG basé sur des boucles temporelles. Il est aussi le reflet intime des travaux d'Adrienne Bazir, une artiste canadienne qui travaille sur ce récit depuis 2017 et a développé un univers fascinant autour de son idée.
Il faut comprendre qu'avant In Stars and Time, il y a eu les différentes itérations du comics Start Again ainsi que le court jeu Start Again: a prologue, assez remarqué en 2021. Autant de travaux situés dans un narratif commun, qui évoquent l'imaginaire d'un certain Undertale, une influence visiblement majeure de Bazir. Mais réduire In Stars and Time et ses différentes versions à un simple "Undertale like" serait passer à côté du sujet principal : certes, il s'agit dans les deux cas d'un RPG monochrome assez queer dans lequel les sentiments ont une place forte et se reflètent dans le système de combat. Mais le jeu de Bazir cherche avant tout à aborder des questions assez différentes, ayant trait au temps, à la culture, à l'identité ou encore à la religion. Une expérience hélas imparfaite, bourrée de problèmes techniques assez frustrants, mais qui livre également un des scénarios les plus ambitieux et les plus étonnants de l'année pour un RPG indépendant.
Fin de cycle
Nul besoin d'avoir lu la BD ou parcouru le prologue pour se plonger dans l'intrigue, dont l'essentiel des enjeux est résumé au début de l'aventure. Ils prennent la forme d'un contrepied à la plupart des récits du genre, puisqu'ici votre longue quête initiatique est déjà achevée. Vous (Siffrin le vagabond) et vos compagnons avez déjà terminé votre aventure. Il ne vous reste plus que le dernier donjon à parcourir pour vaincre la malédiction du Roi, une entité maléfique qui a plongé une bonne partie du continuum espace-temps en état de stase.
Car c'est bien la question majeure ici : si Siffrin et son équipe ne parviennent pas à surmonter cette ultime épreuve, le temps risque de s'arrêter définitivement pour tout le monde, figeant la planète dans un état de stabilité et de mort éternelle. Une pression assez monumentale pèse donc sur les épaules de nos héros, qui savent que cette aventure extrêmement périlleuse est potentiellement la dernière. Une épreuve qui se traduit dès les premières minutes par le décès du malheureux protagoniste.
Passé cette introduction particulièrement macabre, In Stars and Time déploie son dispositif principal : Siffrin est coincé dans une boucle temporelle, et chaque mort lui permet de revenir soit à la veille de la confrontation finale, soit à un moment précis de l'exploration du donjon. On doit donc avant tout, comme c'est d'usage dans ce genre de jeux à la Deathloop, trouver le moyen de faire la run parfaite pour arriver face au Roi. Mais on le comprend assez rapidement : ce n'est pas (vraiment) ce dont parle le titre au long de son aventure longue de 20 à 40 heures (un écart de temps significatif sur lequel je reviendrai).
Et maintenant, tue la boucle !
In Stars and Time, il faut le savoir, est, malgré son unique donjon, un jeu plutôt long, puisqu'il va vous demander de faire beaucoup, beaucoup de boucles temporelles pour démêler ce qui s'avère être un immense puzzle. Où sont les pièges, dans quel ordre récupérer les clés, quels souvenirs est-il pertinent de vivre ou non pour votre équipe, comment atteindre des portions cachées du donjon et dans quel ordre : c'est en réalité un immense dédale de possibles qui s'étend devant nos braves aventuriers. Cette partie est par ailleurs assez intelligente, mais aurait mérité un journal de quête beaucoup mieux ficelé, à l'image de celui d'Outer Wilds. Autant prévenir : sans un carnet et un crayon à proximité de votre pad, vous allez vraiment finir par galérer pour savoir que faire et quand.
Mais ce n'est pas tant cela qui ralentit énormément l'aventure que son côté extraordinairement bavard, qui se révèle être à double tranchant. Et par bavard, je veux dire BAVARD. Chaque objet cliquable du jeu, chaque PNJ, chaque fin de combat majeur, chaque salle spéciale est l'occasion de dialogues de dix, vingt, trente, cinquante répliques. Cela semble assez naturel dans une conversation entre amis ayant voyagé ensemble depuis des années, certes. Mais cela a ici tendance à étirer et à ralentir chaque scène, y compris celles sans enjeux dramatiques ou scénaristiques, aux limites du possible. C'est aussi une des qualités du jeu : les personnages sont profonds et attachants, et leurs conversations sont dans l'ensemble largement au-dessus du niveau moyen des dialogues de jeu vidéo.
Cependant, ce côté terriblement verbeux fait parfois plonger In Stars and Time quasiment du côté d'un visual novel entrecoupé de quelques énigmes et de quelques combats, lui donnant ainsi un rythme très étrange. Un visual novel néanmoins fascinant : peu de jeux ont réussi aussi bien à parler de culture, de religion, de rites funéraires ou de rapport philosophique au temps. Le talent d'écriture d'Adrienne Bazir dans la construction d'un univers cohérent et terriblement bien structuré est épatant. Je ne me souviens pas avoir autant eu l'impression de découvrir les subtilités d'une société et l'intimité de personnages de manière aussi convaincante depuis Disco Elysium.
Mais il faut tout de même accepter de s'avaler des kilomètres de texte, qu'il n'est pas toujours possible d'accélérer et qui peut régulièrement s'attarder sur des dimensions particulièrement triviales de l'aventure. Une aventure que l'on aurait aimée, hélas, construite de manière un tout petit peu plus fluide.
Je suis pas venu ici pour Siffrin, ok ?
Car si In Stars and Time a un défaut majeur, ce n'est pas tant ses dialogues verbeux ou sa quête assez alambiquée que l'état pas très glorieux dans lequel il nous est parvenu. Nous parlons ici d'un RPG en pixel art monochrome, que je trouve par ailleurs absolument charmant, et par moments sublime. Mais ce n'est pas le type de jeu que l'on attend perclus de bugs, d'approximations et, surtout, de ralentissements à gogo.
Et hélas, il y a un peu de tout cela dans l'exploration de la House of Change, l'unique donjon du jeu. Les combats (plutôt bien fichus au demeurant) ralentissent, voire freezent régulièrement, et les bugs de collision sont fréquents pendant l'exploration. J'ai accidentellement une ou deux fois softlocké ma partie en bloquant mes personnages derrière une texture. Rien de très grave : le généreux système de sauvegarde de In Stars and Time permet de se débloquer assez facilement.
Mais on parle tout de même d'un jeu assez difficile (les combats peuvent être implacables), plutôt long si vous mettez un peu de temps à percuter comment marchent les boucles, et en tout cas plutôt exigeant. Il aurait été agréable que cette expérience très immersive, scénaristiquement palpitante et émotionnellement brutale ne soit pas parasitée par des problèmes techniques de ce type.
In Stars and Time a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Nintendo Switch et les consoles Xbox.
Il ne manque pas grand-chose à In Stars and Time pour être un très grand jeu vidéo. Un journal de quête plus abouti, une interface plus claire, moins de bugs et des dialogues légèrement plus économes, et nous aurions ici un nouveau successeur parfait à un classique comme Earthbound. En attendant, il demeure un voyage fascinant dans un monde au bord de l'apocalypse, rempli de surprises et de considérations profondes, pariant sur votre intelligence et votre capacité d'empathie. Et je ne peux que le constater une fois de plus : 2023 est une très grande année pour la narration vidéoludique.
Les + | Les - |
- Univers extrêmement abouti | - Trop de bugs et de ralentissements |
- Le casting est parfait | - Un peu trop long pour ce que ça raconte |
- Le système de boucle temporelles malin et exigeant | - Courbe de difficulté assez mal équilibrée |
- Quelques jolies trouvailles dans le système de combat | |
- La direction artistique est visionnaire et brillante |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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