Après Golf Club Nostalgia et The Cub, le studio Demagog continue d'étendre son univers déprimant et apocalyptique avec Highwater, une épopée maritime racontant la fuite mélancolique d'un groupe essayant d'échapper à l'anéantissement imminent de l'Humanité.
Golf Club Nostalgia racontait la manière dont les hyper riches, après avoir fichu le camp sur Mars, revenaient sur une terre dévastée et abandonnée pour y expérimenter un sentiment de nostalgie bourgeoise. On y pratiquait le minigolf sur la Terre que leurs parents avaient sciemment foutu en l'air pour leur propre profit en écoutant une radio qui parlait du bon vieux temps. The Cub, lui, s'intéressait davantage à la question de ceux qui avaient été laissés derrière, sur une planète désormais inhabitable, toujours aux doux sons de Radio Nostalgia From Mars. Avec Highwater, on fait un saut dans le passé. Nous voici à l'aube de la fin des temps, quand des groupes de survivants agglutinés sur les archipels épargnés par la montée des eaux réalisent que les nantis sont en train de définitivement les abandonner. Plutôt que d'attendre une mort horrible, le jeune Nikos et ses amis entreprennent un voyage en zodiac pour tenter de rejoindre Alphaville, dernier bastion de prospérité de la civilisation. La musique est toujours aussi douce, le voyage est toujours aussi beau, mais le quotidien est toujours aussi amer : pour survivre, il faudra voler, piller, menacer et même tuer. Le contraste, saisissant, prend ici la forme d'une promenade plutôt linéaire entrecoupée de batailles mêlant stratégie et réflexion.
En eaux troubles
Le ton employé par Highwater pour nous décrire le quotidien du jeune et débrouillard Nikos est assez calme, voire insouciant : à bord de son rafiot de fortune, le voici en train de naviguer entre les différents îlots, réglant une course par-ci, rendant un service par là. Bien vite, on nous fait cependant comprendre à quel point tout ceci correspond à la torpeur angoissante d'un quotidien qui n'est paisible qu'en trompe-l'œil : à quelques mètres d'un mariage festif, des pillards pendent les cadavres d'un gang rival sur un ancien panneau routier.
Nikos le dit lui-même : pour se construire un sentiment de normalité, il doit régulièrement commettre des atrocités qui le hantent. Un de ses compagnons d'infortune, le robuste George, s'avère rapidement être une brute capable de noyer un inconnu sur un coup de tête… avant de s'assommer lui-même avec de l'alcool de contrefaçon, juste pour supporter le poids d'une vie sans espoir.
La vie foisonne encore dans ce monde que l'on sait promis à une fin imminente, mais c'est une vie qui n'a désormais plus beaucoup de valeur. Des sociétés se sont reconstituées, sur la base d'affinités culturelles, ethniques ou simplement du fait du hasard. Mais aussi soudées soient-elles, aussi talentueuses à cuisiner des algues, à réparer des technologies ou à assurer leur propre défense, tout ne tient à présent plus qu'à un fil. Un des rares coins encore stables se situe derrière les murailles d'Alphaville, la mégalopole des plus riches, qui vient de couper les ponts avec le reste du monde. Les étendues aqueuses et marécageuses au-delà sont livrées à des gangs organisés qui cherchent à étendre leur emprise sur les ruines en se faisant passer pour des libérateurs. Une rumeur enfle : les plus riches seraient sur le point de quitter la Terre, direction une colonie sur Mars, laissant les autres survivants agoniser dans cet enfer humide.
Le tueur du zodiaque
Dans Highwater, l'objectif est d'amener le navire de Nikos et de ses compagnons jusqu'à Alphaville, dans l'espoir vague d'une possible sortie de cet enfer. Compagnons qui, par ailleurs, ne feront pas l'ensemble du voyage avec lui, certains n'étant que des passagers temporaires cherchant à rejoindre telle ou telle ville flottante, d'autres connaissant un sort peu enviable en route. Le voyage prend la forme d'une errance d'île en île, sur ce qui est globalement une ligne très droite.
Les quelques détours que le titre de Demagog nous autorise à faire passent par quelques îles optionnelles, nous permettant de récolter de petits bonus, quelques événements scénaristiques supplémentaires, et surtout pas mal de documents enrichissant l'univers du jeu. Ce côté très fermé et très linéaire n'est pas un problème : ce que l'on nous vend ici est de toute manière un voyage sans retour. J'ai même particulièrement apprécié le fait que certains PNJ rencontrés en chemin ne soient que des aides temporaires, renforçant l'impression d'un road trip rempli de multiples rencontres éphémères.
Tout ceci est baigné par la musique électro-swing et les longues plages pop mélancoliques devenue une des marques de fabrique du studio. De quoi installer une torpeur étrange, d'autant plus marquante que nous sommes très souvent rappelés à la réalité : le voyage vers Alphaville ne pourra être que sanglant. Highwater baigne ainsi dans une violence étouffante, à peu près une rencontre sur deux se terminant par un nouveau paquet de cadavres laissés dans notre sillage. Une violence que, précisément, Nikos cherche à fuir, ne pouvant plus accepter que cela fasse office de quotidien normal.
Casse-tête
L'autre phase active, outre l'exploration, sera donc la gestion de ces confrontations brutales quand les rencontres tournent au vinaigre. On n'y joue pas toujours le beau rôle : un des premiers combats nous pousse ainsi à trouver un moyen d'assommer un éleveur pour lui voler son ultime mouton. On croise aussi d'étranges membres d'une secte, de redoutables ours affamés ou encore d'insupportables grands bourgeois d'Alphaville, en tenue d'astronaute, venus piller ce qu'il reste à piller avant le grand départ.
La limite de Highwater en tant qu'objet vidéoludique, c'est justement que ces confrontations, si elles sont pour la plupart scénaristiquement intéressantes, n'ont strictement aucune profondeur stratégique. Les combats singent vaguement les jeux à la X-Com, avec un système de terrain partiellement destructible et de système de couverture derrière des obstacles. Mais en pratique, il ne s'agit pas vraiment de stratégie, mais plutôt d'une forme de puzzle extrêmement simple.
Chaque bataille possède généralement une ou deux solutions plutôt évidentes. Elles consistent majoritairement à juste placer un personnage au bon endroit pour lui faire activer le bon interrupteur au bon moment, ou encore à utiliser une compétence unique pour résoudre une situation a priori inextricable. Par exemple, le prêtre peut créer un bouclier autour d'un personnage pour lui assurer de survivre à un coup normalement mortel, et renverser ainsi le cours d'un combat.
On peut reconnaitre la variété des propositions : devoir faire tomber des ennemis à l'eau, les retenir assez longtemps pour assurer le passage d'un allié, fuir un combat entre deux factions, etc. Mais en pratique, tout est trop simple et trop évident pour constituer un vrai bon gameplay. Le pire étant sans doute les batailles les plus ouvertes et donc les moins "puzzle", où l'on se rend assez vite compte qu'il suffit de bourriner pour s'en tirer. Ce n'est pas si grave, Highwater demeure un excellent jeu, narratif avant tout. Mais il me semble qu'il n'aurait pas perdu à avoir un gameplay plus poussé.
Highwater a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
Une fois de plus, Demagog Studio nous prouve son extraordinaire sens de la mise en scène, tout à la fois tranquille, déchirante, mélancolique et minimaliste. Assister aux derniers soubresauts d'un monde en train de s'éteindre, avec tout ce que cela implique de violence et de tristesse, ce n'est jamais une partie de plaisir. Et pourtant, Highwater parvient à livrer un voyage touchant et mémorable, loin d'être dénué d'espoir. S'il ne s'agit pas d'un jeu parfait, avec son gameplay un peu faiblard et ses quelques vilains bugs, c'est une excellente surprise et une proposition dont la radicalité thématique m'a réjouie de bout en bout.
Les + | Les - |
- La direction artistique et sonore, impériale | - La navigation parfois un peu maladroite |
- L'équilibre entre la nostalgie pure et la violence du quotidien est saisissante | - L'aspect puzzle-stratégie est très faiblard |
- Un jeu qui assume sa radicalité | - Expédie parfois un peu vite certaines intrigues |
- L'écriture des personnages, vraisemblable et captivante | - Quelques bugs parfois irritants sur notre version |
- C'est par où pour acheter l'OST ? |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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