Nouveau titre du studio DON'T NOD, auquel on doit bien sûr Life Is Strange mais aussi Gerda: A Flame in Winter (en tant qu'éditeur), Harmony: The Fall of Reverie est une nouvelle expérience narrative qui explore les possibilités du format, mais n'offre pas l'expérience aboutie qu'elle aurait pu être.
J'ai une relation compliquée aux jeux narratifs autant en tant que joueuse qu'en tant que rédactrice pour The Pixel Post. Comme joueuse parce qu'il m'arrive parfois d'avoir plus l'impression de regarder un film interactif auquel il manquerait l'élément jeu de jeu vidéo, ce qui rend les défauts de structure et d'écriture bien plus visibles. Comme rédactrice, parce qu'il est difficile de parler d'un jeu narratif, surtout si le gameplay de celui-ci est minimaliste. Est-ce que ça veut dire que j'ai détesté Harmony: The Fall of Reverie ? Pas du tout, mais certains choix structurels m'ont laissée dubitative, d'autant plus que sur le papier tout était si prometteur.
Pouvoir, Gloire et Félicité
Tout commence de manière assez banale pour un jeu narratif. Polly est partie de son île natale il y a longtemps pour s’éloigner de sa mère avec qui elle entretient une relation compliquée. Mais sa mère disparaît et elle doit revenir pour la retrouver, et au passage découvrir une île qui a bien changé. Si l’île a changé, ce n’est pas vraiment dû aux années qui ont passé, mais à l’omniprésence de l’entreprise MK qui semble contrôler tous les services du lieu, allant jusqu’à se substituer aux services publics. Polly va bien sûr retrouver des membres de sa famille et rencontrer une poignée de personnages hétéroclites, mais elle va aussi découvrir qu’il existe, en parallèle de son monde (Fatal), le monde de Rêverie, peuplé par des Aspirations (Gloire, Félicité, Lien, Vérité, Chaos et Pouvoir). En cherchant sa mère et en alternant entre deux réalités, Polly va pouvoir façonner le destin des deux mondes qui sont en réalité interconnectés.
Une fois l’introduction passée, l’histoire va progresser en chapitres le long d’une arborescence dont les branches vont s’ouvrir, se multiplier ou se fermer en fonction des choix effectués. Polly, grâce au pouvoir des Aspirations, peut voir le futur à plus ou moins long terme et orienter ses actions en fonction de l’issue qu’elle désire. Bien sûr, elle ne peut pas tout voir et chaque choix aura forcément des conséquences imprévisibles. Certains choix permettent de gagner des cristaux correspondant à certaines des Aspirations qui permettront à leur tour de débloquer certaines branches, mais également de donner de la force à l’Aspiration correspondante. Aspirations qui, à leur tour, auront plus ou moins de force pour venir en aide à Polly. Concrètement, l’agentivité du joueur se résume à faire un choix dans l’arborescence, en fonction de ce qu'iel peut voir, puis à regarder se dérouler la scène correspondante, revenir à l’arborescence et refaire un choix et ainsi de suite jusqu’à la fin du jeu.
Vérité, pas Subtilité
Du point de vue de la direction artistique, Harmony: The Fall of Reverie est une réussite. Le mélange entre île méditerranéenne, lente décadence urbaine et omniprésence de la technologie crée un environnement chatoyant, légèrement languissant et mon principal regret tout le long a été de ne pas pouvoir explorer les lieux par moi-même. Les personnages sont également très beaux (un peu trop pour mon propre bien), bien caractérisés et sont incarnés de manière convaincante par les doubleurs et doubleuses (le doublage est en anglais et les textes sont traduits en français). Si le début de l’histoire peut augurer (ou faire craindre, ça dépend du point de vue) une nouvelle histoire sur les relations familiales difficiles, plus l’intrigue se déroule, plus les thèmes se multiplient et se complexifient.
On y explore ainsi aussi bien la maternité que les ravages du capitalisme et la difficulté de s’en extirper, ce que résister à un système en place implique, l’importance de la communauté, mais aussi la place de l’individu et de ses désirs propres dans un contexte de lutte (nos aspirations personnelles ont-elles seulement une place dans ce cadre ?). Sans donner de réponse toute faite, Harmony: The Fall of Reverie explore les différentes pistes pour résister et leurs possibles conséquences, soulignant que tout, y compris ne rien faire, a un prix. Ça manque parfois un peu de subtilité mais ça marche. On notera pour finir l'emploi constant de l'écriture inclusive, qui fera peut-être pleurnicher les plus fragiles d'entre nous mais qui, je trouve, enrichit autant l'écriture qu'indirectement l'identité des personnages.
Mais il y a un mais, et il y en a même plusieurs. D’abord, ce type de structure avec autant d’embranchements et de possibilités nécessite une très grande quantité de scènes et de textes, et des scènes qui peuvent s’emboîter dans différents ordres et dans différentes circonstances. Il en résulte une écriture parfois un peu trop générique et des scènes qui ne correspondent pas toujours complètement à ce que vous savez des relations des personnages à ce stade et un certain nombre de passages qui n’apportent pas grand-chose. On peut donc avoir un nœud qui indique que l’on a besoin de demander l’avis des Aspirations, par exemple, et se retrouver face à une petite scène de quelques secondes du monologue interne de Polly qui dit qu’elle va devoir demander l’avis des Aspirations puis on revient à l’arborescence et on doit faire le choix de à qui et/ou comment et ainsi de suite.
Pour finir, le jeu veut s’assurer que l’on comprenne bien tout ce qui se passe, quitte à nous le répéter plusieurs fois. Souvent après ou pendant un dialogue, le monologue intérieur de Polly nous fait un résumé ou nous réexplique ce qui vient d’être dit (surtout au début), et on aimerait parfois qu’on nous laisse tirer nos propres conclusions. Tout ceci rend l’ensemble un peu pesant, d'autant plus que si l’emphase est placée sur le fait de faire des choix, ceux-ci ne se font pas dans les dialogues mais dans l’arborescence. Concrètement, cela signifie qu’on effectue un choix dans l’arborescence, que la scène charge puis se joue, qu’on retourne dans l’arborescence, que la scène charge, se joue et ainsi de suite. L’action donne l’impression au final d’être constamment interrompue par des écrans de chargement.
Une rejouabilité chaotique
Ce qui m’amène au sujet de la rejouabilité. Chaque choix effectué dans l’arborescence ouvre et ferme des portes à long terme, il n’est donc pas possible de tout explorer en même temps et c’est bien normal, d’autant que Harmony: The Fall of Reverie est conçu pour être rejouable. Mais la structure du jeu n'encourage pas vraiment à l'exploration. D’abord, comme je le disais au-dessus, le fait de devoir faire les choix dans l’arborescence et jamais dans les dialogues implique qu’on est condamné à revoir plusieurs fois certaines scènes sans rien pouvoir y faire d’autre que passer éventuellement les dialogues en accéléré. Ensuite, à part le chapitre en cours, il n’est pas possible de revenir à un point antérieur d’un autre chapitre et d’explorer de nouvelles voies à partir de là. Il faut nécessairement reprendre l’histoire à zéro. C’est compréhensible dans le sens où certains choix dans le premier chapitre en influencent d'autres trois chapitres plus tard, mais cette structure invite surtout à explorer une ou deux fois en faisant des choix radicalement différents sans explorer les nuances possibles, et c’est dommage.
De plus, on découvre tous les lieux et personnages lors de la première partie, une seconde partie n’offre donc « que » la possibilité de modifier leurs relations et les choix. Pour finir sur un point très subjectif, l’écriture manque souvent de fantaisie. À part Chaos et Félicité, qui apportent des respirations bienvenues, les personnages sont tous globalement très intenses tout le temps. Bien sûr, la situation est difficile et évidemment qu’il ne s’agit pas d’une comédie, mais les moments plus légers ou les blagues sont rarement bien mis en valeur et, c’est dommage, on y fait souvent davantage référence qu’on ne les montre. Que les Aspirations soient des archétypes, c’est normal, c’est leur rôle, mais les personnages humains, eux, sont parfois un tout petit peu trop unidimensionnels.
Harmony: The Fall of Reverie a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et le sera plus tard dans le mois sur Xbox Series et PlayStation 5.
Harmony: The Fall of Reverie est un beau jeu narratif qui pourrait être bien plus abouti. Sa structure ambitieuse, qui souhaite à la fois multiplier les possibilités et représenter la capacité de voir et d’influencer le futur, empêche l’expérience d’être fluide et sacrifie parfois la qualité à la quantité. Malgré ses défauts structurels, il brille par ses magnifiques visuels, ses personnages attachants et son ambiance mélancolique qui exsude une énergie et un réalisme optimiste indéniable.
Les + | Les - |
- Très belle direction artistique | - Un système de choix qui morcelle l'action |
- Des thèmes intéressants et une bonne rejouabilité… | - …mais une structure pesante qui empêche d'en profiter vraiment |
- Des personnages attachants… | - … mais intenses tout le temps |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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