Premier jeu du petit studio suisse Stardust, Grimoire Groves est un rogue-like hack and slash de jardinage, quoi que cette phrase puisse bien vouloir dire.
Je pense que depuis quelques années, il y a dans le monde du jeu indépendant une forme de confusion sémantique autour du terme "wholesome", que l'on pourrait traduire par quelque chose entre "satisfaisant", "bénéfique" et "bienveillant". Vous savez, ces jeux que l'on retrouve par paquets de cinquante dans des conférences spécialisées et qui s'axent tous autour d'une espèce d'esthétique commune à base de grenouilles, de sorcières, de vacances, d'absence de combats, de teintes pastel et d'ambiances confortables. Bien sûr, on comprend l'idée : il est question de proposer une alternative vidéoludique aux gros titres d'action bourrés de meurtres et d'objets contondants. Et chez The Pixel Post, on est évidemment d'énormes ienclis de ce genre d'œuvres. Mais cette catégorie attrape-tout regroupe des expériences extrêmement larges. Et elle a de plus en plus tendance à inclure des jeux où le côté wholesome n'est rien d'autre qu'un fin vernis sur une expérience finalement assez classique et assez brutale. Cela m'a particulièrement frappé dans le cas de Grimoire Groves qui, sous les dehors amicaux de jeu de botanique queer, est une ode à la bagarre, au productivisme, à la rationalisation du travail et au remplissage de jauges pour le plaisir de les remplir. Bref, au travail vidéoludique dans ce qu'il a de plus épuisant.
La botanique peut-elle caster des briques ?
Primrose, une jeune sorcière, découvre que sa prof, la respectable Lavender, a laissé son jardin magique à l'abandon. Son apprentissage de magicienne va donc passer par la remise en état du jardin et l'exploration des biomes alentour, pour aller chercher de quoi nettoyer cette pagaille. Grimoire Groves n'est pas là pour vous offrir une fresque épique, et c'est tant mieux : cette histoire de réparer un domaine mal entretenu fonctionne très bien comme ça. L'idée est plutôt d'aller visiter différents coins du pays et de se familiariser avec ses habitants, puis de s'en faire des potes, tout en apprenant de nouveaux sorts et de nouvelles compétences. C'est simple, mais c'est un récit d'apprentissage et d'amitié tout à fait fonctionnel.
De ce point de vue, l'aventure respecte parfaitement le cahier des charges théorique d'un produit wholesome, presque jusqu'au cliché : les gens sont gentils, tout le monde a une bouille trop mignonne, même les légumes que l'on cultive ont des frimousses trop choupies. Un monde idéal où personne ne bouffe personne, où les problèmes se résolvent dans la paix et où il est toujours temps de dire "merci" et "pardon". Et même si tout ceci est loin d'avoir la finesse et la subtilité d'un Tavern Talk, eh bien, je serais tout à fait ok de vivre dans ce monde. Mais il s'avère que ce projet de société se heurte à une dissonance cognitive qui ne m'a pas franchement fait passer un bon moment.

Parce que l'idée centrale de Grimoire Groves, c'est quand même un bon vieux rogue-like d'action des familles. Avec tout ce que cela suppose de jauges qui montent, de bastons contre des hordes de trucs et de compétences martiales à développer. Et surtout, c'est une forme de cyber-travail répétitif sans relâche ni autre récompense que d'autres outils pour accomplir davantage de travail. Loin de l'esprit de promenade et de flânerie d'un A Short Hike, par exemple.
Fool's Garden
Alors oui, on m'objectera qu'on ne se "bat" pas dans Grimoire Groves. On jette des charmes sur des gentils légumes câlins qui se ruent sur nous et épuisent notre barre de v... notre endurance. N'empêche que toute l'opération consiste à foncer en boucle sur des hordes de trucs et à martyriser les boutons d'attaque et de sortilège, comme si on était dans une run à haute température de Hades.
De même, ici, on ne doit pas séduire ou corrompre les PNJ, mais juste gagner leur amitié pour obtenir des faveurs comme de nouveaux objets ou de nouveaux sorts. Ce qui consiste en pratique à faire de multiples runs pour leur offrir des cadeaux afin de faire monter très lentement des jauges d'appréciation. Et dans le même ordre d'idée, ici, on ne part pas se promener. Non, dans Grimoire Groves, on débloque des zones en devant se perdre de plus en plus loin à l'intérieur, pour faire monter des barres de complétion qui vont ouvrir de nouveaux portails dans le hub central.

En fait, tout est une histoire de ramasser un maximum de trucs pour en débloquer d'autres afin de petit à petit optimiser la place et la production de la base et progresser dans des méta-indicateurs qui récompensent notre progression générale. Et assez vite, tout ceci devient de moins en moins mignon et de plus en plus fastidieux. Du COGIP-punk en habit de guimauve.
Stardew Sweatshop
Passée la découverte de son univers (il est vrai assez charmant), on se retrouve face à un hack and slash productiviste brutal, qui ne vous demande rien d'autre que d'appliquer la recette classique du "tuer/looter/croître", en contradiction directe avec le message du jeu.

Comme le pointait récemment un article de Theo Dezalay pour Mediapart, les jeux vidéo vendant une forme de retour à la terre dans une ambiance cosy peinent souvent à s'extraire de la logique du travail capitaliste. Ici, c'est l'exemple extrême, puisque Grimoire Groves nous propose des dialogues pleins de joie et de bienveillance, mais un gameplay à peu près calqué sur celui d'un Dead Cells agricole.
Et hélas, ce problème est d'autant plus criant que tout ceci n'est pas particulièrement agréable à jouer : les combats sont brouillons, la partie gestion est minimaliste, les quêtes annexes ne sont qu'un puits sans fond d'ingrédients à collecter. Alors, on ne s'amuse pas tant que cela, et on finit par se demander pourquoi on fait trimer cette pauvre sorcière sans repos pour entretenir un jardin qui ne lui appartient même pas. Ah oui. Parce qu'elle est en formation et qu'elle se fait des amis tout au long du chemin. Et on se souvient enfin avec tristesse que capitalisme et développement personnel font bien souvent bon ménage.

Grimoire Groves a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Je ne doute pas de la sincérité et de l'amour que le studio Stardust a mis dans son premier jeu. À bien des égards (esthétiques, notamment), il s'agit d'une proposition intéressante. En revanche, je n'ai jamais pu me départir de l'impression que ce que l'on me demandait d'être (une gentille sorcière dans un monde pipou) était en contradiction avec ce que l'on me demandait de faire (m'acharner sur des légumes et optimiser des espaces de production). Cela ne veut pas dire que le tout ne fonctionnera pas sur vous, mais moi, j'en suis ressorti totalement lessivé.
Les + | Les - |
- La patte graphique très mignonne | - La boucle de gameplay assez contradictoire avec l'ambiance du jeu |
- Quelques personnages très attachants | - Un hack and slash somme toute assez banal |
- Les quêtes FedEx à gogo |

zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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