Troisième jeu du studio LimboLane, dont la patte graphique est clairement identifiable, Great God Grove nous entraine dans un monde queer, élastique et absurde pour jouer sur les mots et empêcher l’apocalypse.
Vous êtes sur un bateau, vous ne savez pas bien ce que vous faites là, mais pas le temps de niaiser, car le capitaine gesticule dans tous les sens en parlant d’apocalypse et de naufrage tandis qu’un mégaphone chelou vous tombe dessus. Voilà, vous êtes élu·e pour être le nouveau porte-parole des dieux, ça arrive plus vite qu’on ne le pense une bénédiction divine. Enfin, bénédiction, va falloir le dire super vite, parce qu’à peine arrivé sur l’île paradisiaque de Great God Grove, vous vous rendez bien compte que c’est le bazar, que tout le monde est vraiment too much et que ça va être à vous de régler le problème. On ne vous demande pas votre avis d’ailleurs et il semble que de toute façon, vous n’ayez pas la capacité de parler, tout au plus de hocher la tête. Bref, après ça, c'est rencontre divine sur rencontre divine pour essayer de remettre un brin de bon sens dans ce monde qui semblait n’en avoir déjà pas beaucoup au départ. Point bonus, si vous n’avez pas été la génération traumatisée par Téléchat, pas de panique, les Bizzyboys sont là pour hanter vos cauchemars. Je ne me remettrai jamais de cette vidéo de préparation de burger. Est-ce que ça vaut le coup d’être béni des dieux comme ça ? Ouiii et en même temps, noooon ? En vrai, ça va dépendre de vous.
Je lui jetterai les mots bleus au visage
Comme vous n’avez pas de voix pour parler, il va falloir emprunter les mots des autres. Le mégaphone chelou que vous avez en main va permettre d’aspirer certaines phrases (et objets) et de littéralement les jeter au visage de vos interlocuteur·rice·s. Cette mécanique simple, mais astucieuse, permet de transformer des quêtes et dialogues qui auraient pu avoir un goût de déjà-vu (si ce n’est pour la DA) en puzzles originaux. Là où un point and click classique vous aurait demandé de combiner des objets, ici, il va falloir trouver et utiliser des phrases avec différents personnages pour obtenir la réponse nécessaire pour débloquer une situation et avancer. Après tout, on a une apocalypse à arrêter. Ce principe oblige à aller discuter avec tous les personnages, car on ne sait jamais qui détient la clé du problème, et à tester sur eux toutes sortes de phrases. Ça étoffe le monde, les dialogues sont souvent très drôles et il n'y a jamais trop de personnages.
Toujours sur le principe d’aspirer et de recracher des choses, non pas comme ça, reprenez-vous, il est également possible d’aspirer des objets et de s’en servir. Notamment dans les quelques combats qui émaillent l’aventure. Comme toujours, je pourrais m’en passer, mais il est possible de les régler en très facile, et même sans ça, ils ne sont pas très encombrants.
Je ne sais pas précisément quels termes utiliser pour désigner la direction artistique de Great God Grove et ce n'est pas du tout une critique, au contraire. Ça ressemble tantôt à du collage, tantôt à de l’animation, parfois à des caricatures, des fois, il y a des marionnettes. Les personnages sont tous beaucoup trop élastiques et absolument queers. C’est un peu kitsch, un peu étrange et c’est une réussite. Tout s'emboite pour former ce monde bizarre régi par des dieux décalés, pour donner à la fois une impression wholesome et légèrement inquiétante par moment. Bref, jusque-là, à part ma minuscule réserve sur les combats, tout va bien, mais il y a un mais qui risque d’être décisif.
Ça passe ou ça casse
Linguistiquement, Great God Grove, c'est compliqué. D’abord pour nous, pauvres francophones, parce que ce n’est pas traduit et nécessite donc un bon niveau d’anglais. Ce n’est pas tant que les phrases sont compliquées, c'est que tout le monde parle bizarrement. Principalement les Bizzyboys et leur dieu qui parlent comme des gangsta rappeurs corporates, faute de meilleure description. Le capitaine du bateau parle en vieil anglais et il y a toutes sortes de variations sur la langue. Et j’ai beau parler vraiment bien anglais, j’ai été gênée. D’une part parce que ça m’a demandé des efforts de compréhension, mais aussi parce que je n’étais pas capable de discerner s’il y avait des références à quelque chose, si c’était juste absurde, si je passais à côté d’une métahistoire. Parfois, je me suis même demandé si ce n’était pas un peu limite. Qu’on soit très clair, je ne pense pas que Great God Grove soit limite en quoi que ce soit, mais si loin de mon univers linguistique avec aucune référence de l’univers des créateurices, j’ai eu l’impression de passer à côté d’un pan de la création et de n’avoir que quelques références bancales sur lesquelles m’appuyer.
Tout ça mis ensemble fait que j’ai trouvé l’expérience d’y jouer fatigante. Au bout de deux heures, l’idée de parler à un Bizzyboys était à deux doigts de me coller de l’urticaire. Il y a pourtant énormément de dialogues rigolos ou bien trouvés, mais comme tout le monde parle tout le temps sans arrêt, on est un peu noyés dans la masse. Heureusement, le jeu n’est pas très long, mais pour un titre dont la principale mécanique repose sur les mots, c’est un peu embêtant. Je pense que sur ce point, ce sera à chacun de juger. Tout le monde ne trouvera pas ça rebutant, mais je pense néanmoins qu’il faut être prévenu avant, pour savoir dans quoi on s’embarque. C’est tout le problème des univers un peu absurdes, soit on entre dedans, soit pas du tout, et ça dépend souvent de critères très subjectifs. J’aurais personnellement passé un meilleur moment si les gens n’étaient pas aussi dramatiques et fatigants à lire et s’ils arrêtaient de gesticuler comme des bonshommes-frites dans le vent ou des diables à ressorts sous amphétamines, mais je peux aussi tout à fait concevoir que ça soit exactement ce qui plaise à quelqu’un d’autre.
Avant de conclure, je voudrais souligner deux petits points de gameplay qui rendent l’expérience très fluide et agréable. L’un, c'est le système d’indices dans le jeu, les dieux peuvent sur demande vous aiguiller dans la bonne direction, et l'autre, le fait qu’on puisse partir en plein milieu d’une conversation. Vous avez déjà entendu cette phrase, ça ne vous intéresse plus, vous avez mieux à faire ? Aucun problème, il suffit de partir. J’ai un peu envie de voir ça dans plein d’autres jeux maintenant.
Great God Grove a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et Xbox S|X.
Extrêmement original et parfois déstabilisant au niveau de sa direction artistique, absurde bien que plein de bons sentiments dans son ensemble, Great God Grove est un jeu qui propose un gameplay original et une revisite des point and click tout en développant un univers très personnel. Cependant, avec sa volonté de jouer avec et sur les mots et la langue, il en fait peut-être un peu trop et risque de fatiguer une partie des joueur·euse·s, surtout les moins à l’aise avec la langue anglaise.
Les + | Les - |
- Une DA très originale | - Demande beaucoup d'efforts de compréhension |
- Un gameplay astucieux | - Très très bavard |
- La possibilité de partir quand on ne veut pas entendre un dialogue |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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