L’année démarrait à peine que je pensais avoir trouvé en février mon pire jeu de l’année en chroniquant Clive ’N’ Wrench pour The Pixel Post. Puis Redfall est passé par là début mai et m’a fait reconsidérer ma position. «Hold my beer, my precioooooussssss…». Purée, même cette imitation est ratée.
Certes, j’aurais pu m’en douter. J’ai même été prévenu, mais, naïvement, j’ai trouvé l’idée de départ suffisamment intéressante pour espérer de ce Lord of the Rings: Gollum un petit AA certes pas bien joli, mais proposant un platformer et jeu d’infiltration correct, un peu à la Styx. Et je n’ai à vrai dire pas tellement besoin de faire durer le suspense : toute la presse s’est déchaînée sur le titre de Nacon et Daedalic Entertainment, rapidement rejointe par les joueurs et joueuses, qui n’ont pas traîné à se faire rembourser le jeu, à poster des critiques terriblement négatives sur Steam, et à commenter massivement sous le triste communiqué d’excuses du développeur.
Daedalic, d'accord, mais Entertainment…
Avant de me joindre au mouvement des détracteurs de Gollum – car, comme tout le monde, j’ai parfaitement détesté chaque instant passé sur le titre – je souhaite tout de même contextualiser deux-trois choses à propos de Daedalic Entertainment, en charge du développement. Ce studio allemand, racheté par Nacon en février 2022 pendant le développement de Gollum, est habituellement connu pour ses point & click à l’ancienne – Deponia, The Whispered World, The Night of the Rabbit – à base de décors faits main, d’emphase sur le scénario et les personnages et d’énigmes incompréhensibles sans un guide sur les genoux. Malgré quelques incursions – pas forcément réussies – dans le RPG avec Blackguards, le jeu d’aventure narratif en 2D reste le cœur de leur savoir-faire, que l’on aime ou non leurs productions.
Avec Gollum, le studio sort terriblement loin de sa zone de confort. Certes, une partie du gameplay propose quelques puzzles et le jeu promettait une narration très présente, notamment dans la dualité des personnalités de Gollum et Sméagol, mais le titre est avant tout un mélange de plateforme et d’infiltration en 3D, trois choses que le studio ne sait définitivement pas faire et pour lesquelles il ne dispose de toute façon pas des ressources nécessaires. Par-dessus cette inexpérience dans le domaine, je ne serais pas bien étonné que de gros problèmes de management viennent s’ajouter : le studio est visiblement connu pour ses mauvaises conditions de travail (salaires faibles, culture du crunch, manque de matériel, heures supplémentaires non rémunérées), et le rachat par Nacon, suivi de repoussements successifs de la sortie du jeu – annoncé en 2019, le titre devait initialement sortir en 2021, puis 2022, pour finalement arriver en mai 2023 dans l’état qu’on lui connaît – a dû perturber encore un peu plus un développement déjà assez chaotique.
À moins d’un long et indispensable post-mortem, nous n’en saurons probablement pas beaucoup plus pour le moment sur les conditions de production de Gollum, mais je ne pense pas prendre beaucoup de risques en supposant que ce n’était pas la joie : personne ne serait content de sortir un jeu dans un état technique, visuel, narratif et ludique pareil. Gollum donne l’impression d’avoir été délivré par une équipe à bout de forces, pressée de se débarrasser d’un projet voué à l’échec et monopolisant ressources, personnel et énergie. Je leur souhaite juste de ne pas passer trop de temps sur le support post-sortie, ça n’en vaut pas la peine. La barre ne peut être redressée, et le meilleur service à rendre au titre et à ses équipes est de le laisser tomber dans l’oubli.
Car absolument tout est un échec dans Gollum. Les bonnes idées ne manquent pourtant pas, mais aucune d’entre elles n’a pu être menée à bout. Tout juste parvient-il à être acceptable sur la conception de certaines énigmes, certes très classiques, et complètement hors-sujet, mais fonctionnelles. C’est ça, le plus triste : j’en suis venu à me réjouir quand le jeu fonctionne.
Passe le Styx
Nous ne nous attarderons que très peu sur la partie technique, les captures d’écran parlant d’elles-mêmes : c’est moche. Non attendez, c’est mmmmoooooooooochhhhhhhhhe, c’est terriblement laid artistiquement et techniquement, c’est indigne de cette génération, mais ça l’aurait également été de la précédente, et de celle encore avant. Sans une once d’exagération, j’ai joué à des jeux PS3/Xbox 360 plus jolis et plus fins que ça. Les cheveux de Gollum glitchent, les textures bavent, les FPS s'écroulent à la moindre occasion et ce quel que soit le niveau des réglages graphiques, les scripts ne se lancent pas toujours : le naufrage est complet. Nul doute qu'il s'agit de la partie sur laquelle compte travailler l'équipe pour améliorer le jeu, et c'est peut-être la seule sauvable. Le jeu ne deviendra jamais artistiquement correct, mais quelques patchs pourront avoir raison des bugs et ralentissements les plus sévères. Pour le reste…
Je l'avais dit plus haut : j'étais préparé à ce que le jeu soit laid - pas à ce point, je l'admets, le fossé visuel entre les présentations et le produit final est assez scandaleux - mais ce n'est pas sur ce créneau que je l'attendais. À vrai dire, j'espérais surtout passer une dizaine d'heures sur un honnête platformer d'infiltration. Et c'est la partie la plus ratée. Encore une fois : les idées sont bonnes. Le personnage de Gollum est tout à fait adapté à un tel jeu, et le move set attribué est tout ce qu'il y a de satisfaisant. Wallrun, escalade, demi-tours, balancier, la panoplie du platformer 3D à la Prince of Persia est là. Le problème est dans l'exécution, puisque entre une physique buguée, une animation saccadée, des environnements parfaitement illisibles - la vision spéciale, qui indique la marche à suivre et les éléments du décor exploitables, est en elle-même un aveu d'échec, mais, en plus, elle ne fonctionne même pas correctement - et level design paresseux, il n'y a vraiment pas de quoi s'amuser. Dans le meilleur des cas, on traverse les niveaux en pilote automatique, le reste du temps, on peste contre les bugs et le manque de lisibilité.
Et quand on en a assez de la plateforme, arrive l'infiltration. Qui fait encore pire. C'est probablement la partie la plus indigente du titre, entre une IA débilissime et aveugle, un level design encore une fois paresseux, un panel de mécaniques et donc de situations rachitique : c'est insultant de vide. L'infiltration aurait dû être un des grands piliers du titre, les ennemis étant surarmés et Gollum ne pouvant se battre, mais ce dernier ne dispose de presque aucune capacité palliant cette faiblesse, on ne fait donc que se cacher dans les herbes et jeter des cailloux pour divertir des gardes bêtes comme leurs pieds, avant de repartir sur de la plateforme, ou pire, sur de la narration.
Car en plus de se planter dans les grandes lignes sur le plan ludique, Gollum est également un échec narratif. Le titre se passe durant une période jamais vraiment traitée ni dans les écrits de Tolkien ni dans les films ou séries, à savoir le périple de Gollum entre le vol de l'anneau par Bilbo Baggins et son interrogatoire par Gandalf dans les prisons elfiques. Le jeu Gollum raconte ainsi sa captivité dans les geôles du Mordor, torturé et réduit en esclavage, puis sa fuite et son arrivée chez les elfes. En l'absence d'écrits sur le sujet, l'équipe a été libre de broder. Cela aurait pu être intéressant, c'est à peine digne d'une mauvaise fan fiction. Les interactions entre les personnages sont sous-développées, les deux personnalités de Gollum/Sméagol sont traitées par-dessus la jambe, les choix sans conséquences et le scénario patine durant de longs chapitres sans que l'on fasse grand-chose de plus qu'errer dans une prison vide pour accomplir ses tâches de travailleur forcé. Circulez, y a rien à voir.
Gollum a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch, PS4 et PS5, Xbox One et Xbox Series.
Aucune surprise, aucun suspense : Gollum est indigne. Indigne de son genre vidéoludique, de sa licence, de sa génération, de son studio. Les aspects sur lesquels il aurait pu fonctionner - à défaut de briller - sont terriblement ratés, et ceux sur lesquels il était certain de se planter sont encore plus cassés que prévu. J'aurais pu râler encore un peu sur ces textes en elfique uniquement disponibles dans la version collector, ou ces émotes payantes pour un jeu solo, mais soyons honnêtes : qui en a encore quelque chose à faire ? Nous réitérons notre soutien aux équipes derrière le jeu, en espérant que leurs futurs projets - s'il y en a - leur réussiront mieux.
Les + | Les - |
- Quelques bonnes idées... | - ... absolument jamais exploitées |
- C'est terriblement laid | |
- Bugs, textures baveuses ou absentes, framerate au sol | |
- Aucune brique de gameplay ne fonctionne correctement | |
- Mal écrit et mal rythmé |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024