On part en stage contre le capitalisme avec Going Under, roguelike satirique autoproclamé. Aussi piquant que ses graphismes sont chatoyants ?
Découvert à l’occasion des funérailles de l’E3 en juin dernier, Going Under allie ambiance pop et tir à vue sur le néo-libéralisme, musique électro sautillante et humour railleur. Tout pour plaire à TPP, donc ? Meh.
Jackie part Guerroyer
Jacqueline fait son entrée dans le monde du travail. Enfin presque, elle a décroché un stage en marketing chez Fizzle Beverages, une start-up ayant décidé de disrupter le domaine de l’alimentaire avec une boisson qui fait tout aussi bien office de déjeuner que de dîner. À peine arrivée, Jackie se voit confier sa première et unique tâche jusqu’à nouvel ordre : débarrasser le sous-sol de la boîte des monstres qui y vivent et perturbent le relatif calme de l’open space. C’est en fait trois petites entreprises pirates qui occupent les fondations de l’immeuble Cubicle, la mégacorporation dont fait partie Fizzle, spécialisée dans la livraison par drone. La jeune femme, comme elle le fait remarquer, n’a pas été formée pour ça. Mais il serait dommage de ne pas au moins essayer, d’autant que si le stage n’est pas rémunéré, il y a peut-être un boulot à la clé.
Going Under esquisse sans tarder ses ambitions, à savoir se moquer à gros traits des GAFA et du système capitaliste qui les entretient en montrant les absurdités qu’ils engendrent. Premier jeu du studio américain Aggro Crab, il adopte les codes du rogue like. Possiblement par opportunisme, comme les deux tiers de la production actuelle, mais peut-être surtout parce que le genre se prête a priori bien à la description d’un boulot abrutissant : on revit en boucle la même situation, à peu de choses près, dans l’espoir de faire avancer les choses ; pour soi ou, si on est motivé, pour la boîte – ça peut encore arriver. À partir de là, le stage de Jackie va servir à aligner les travers d’un dysfonctionnement général organisé et lui tailler un short comme il se doit. S’il ne fait pas toujours preuve d’une grande finesse, à lancer une pique sur un sujet différent à chaque conversation, et ce avec plus ou moins de réussite, il faut avouer que son appropriation des codes du parfait petit entrepreneur fonctionne plutôt bien. Au contraire des quelques pièces méta lancées ci et là, qui n’apportent pour le coup pas grand-chose.
Toujours sur le fil du trop-plein, entre l’intégration des drones livreurs ou d’une interface façon appli de messagerie, la taquinerie du titre doit beaucoup à son héroïne, vaillante et perplexe face aux discours qui, de toute manière, ne laissent guère de dupes au sein de l’équipe. La tendance à utiliser des mots et concepts compliqués dans le vent, comme « l’obstinence » ou le courant « nous sommes une famille », touche notamment juste. L’ambiance bon enfant, que viennent flatter de rigolos jeux de mots et les contrastes sucrés d’une direction artistique toute en rondeurs, n’oublie pourtant pas d’aborder, presque toujours avec légèreté, les effets pervers et destructeurs de cette fausse logique positive, jusqu’à dévoiler les envers toxiques de certaines personnalités. S’il se fait un plaisir d’étriller toute une panoplie d’attributs et de rouages détestables de la politique néo-libérale, Going Under se montre plus timide sur sa fin et préfère trouver un méchant passe-partout plutôt que se laisser aller à des réponses plus poussées – quand bien même ces artifices sont tout à fait conscients. Assumer sa dimension pop était peut-être le meilleur choix, mais on espérait à ce stade un tempérament plus incisif.
Café froid, chaudes larmes
Les descentes en sous-sol pour déloger du joblin, du squelette mineur de styxcoin ou du démon sexy, vont constituer l’essentiel du gameplay et mettre en lumière, malheureusement, le souffle court de Going Under. Au son d’une joyeuse électro composée par le DJ King Felix, qui parfois penche vers l’easy listening un peu neutre ou le lounge minimaliste très détente (le froid mais langoureux « talk is cheap »), on va parcourir des bureaux qui savent cultiver leur propre ambiance, les nettoyer de leurs employés bagarreurs sur trois étages jusqu’à rencontrer le patron des lieux. Organisé aléatoirement à chaque run, l’agencement va enchaîner mollement les salles, de plus en plus remplies d’ennemis et parfois dédiées à une mission (qui se résume à vaincre le plus rapidement possible une vague d’ennemis ou à ramasser vite des trucs) qu’on est libre d’activer ou non. À chaque étage, on trouvera une cafétéria dans laquelle acheter des latte ou des toasts à l’avocat, pour se ressourcer sainement, et des armes ou des améliorations, et parfois le garage de l’hantrepreneur, qui nous offre une compétence en échange d’un malus temporaire. Au long de notre descente (compter entre 10 et 20 minutes pour boucler un donjon), on va évidemment accumuler les compétences dans l’espoir de venir à bout de tout ce beau monde.
Ce ne sera pas une mince affaire, mais pas forcément non plus un moment exaltant. La particularité des combats de Going Under repose sur la possibilité de ramasser librement certains éléments du décor pour les fracasser sur le nez le plus proche. Libre à nous, ainsi, d’attraper cette agrafeuse ou ce marteau, cette balle de ping-pong ou ce clavier d’ordinateur, d’une touche ou d’une roulade, d’en mettre deux coups bien pesés sur ce comptable puis de le balancer sur son collègue coincé derrière une armoire. On a vite fait de matraquer sa touche, en attendant que l’objet se casse et de passer à celui qu’on avait gardé en réserve, essayant vainement d’éviter les coups ennemis. Les bureaux sont en effet dans l’ensemble de fort petite taille, et dès que le nombre d’adversaires augmente, on a du mal à garder le rythme. En cause, le bordel qui met peu de temps à s’installer, entre le décor qui casse, les armes qui rebondissent et celles qui explosent, des effets dans tous les sens, et une caméra orientable à volonté qui n’a pas assez de recul pour embrasser toute l’action.
Mais on se demande également si la difficulté du jeu ne vient pas compenser un manque de contenu de valeur, notamment au niveau des systèmes mis en place. Certes, les compétences à acheter et à « valider » (les utiliser assez afin de s’en équiper en début de partie, mais seulement une) sont nombreuses mais les changements apportés ne sont pas assez importants pour influer sur de possibles stratégies à adopter. On a également la possibilité de remplir des tâches spécifiques confiées par nos collègues (mettre le feu à des trucs, acheter une machine à café) afin d’augmenter leur « niveau de tutorat » et l’effet des bonus qui vont avec lorsqu’on les choisit (toujours un seul au maximum), mais rien qui permette de varier assez les situations ou d’espérer s’en sortir dans des rixes toujours plus imprévisibles et intraitables. C’est dur, et le succès semble n’être dû qu’à l’alignement des astres plutôt qu’à notre apprentissage du jeu. La possibilité de personnaliser son aide arrive dès lors au bon moment, avec tant de points de vie ajoutés ou l’augmentation de la fenêtre d’invincibilité de la roulade, mais ce choix d’accessibilité sonne plus comme un moyen de cacher sous le tapis un déséquilibre indéniable.
Going Under a été testé sur PS4 Pro via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch et One.
Danser sur les cendres du capitalisme, c’est ce que nous promettait Going Under, et si on s’en tient à cette propension qu’a le jeu de se moquer avec espièglerie d’un capitalisme tellement partout qu’il en est invisible, on peut dire qu’on y est presque arrivés. Mais malgré tout l’enthousiasme dont fait preuve l’entreprise (ha), difficile d’occulter un manque d’emboîtement des éléments qui le composent. Alors dansons, oui, mais avec parcimonie, en attendant la prochaine session concoctée par Aggro Crab.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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