Développé par le petit studio Metamorphosis Games depuis plus de sept ans, le très attendu metroidvania Gestalt: Steam & Cinder a fini par débarquer. Avec une proposition qui ne manque certes pas d'éclat, mais qui pèche un peu par ses combats, sa narration et sa structure, assez datés.
Il y a sans doute une bonne raison pour laquelle assez peu de jeux de ce type s'aventurent dans une dimension très narrative et littéraire avec pléthore de cutscenes : c'est rarement pour cette raison précise que l'on se lance dans un metroidvania. Il y a cependant quelques exceptions. Je pense au très réussi Iconoclasts, au fort joli Owlboy ou même à l'ambitieux Control de Remedy Entertainment, qui, chacun à leur manière, arrivaient à concilier un scénario ambitieux avec de l'exploration de couloirs. Gestalt: Steam & Cinder franchit, il me semble, un palier supplémentaire, en proposant un metroidvania essentiellement narratif. Les auteurs du jeu, visiblement très satisfaits de leur monde d'urban fantasy steampunk, n'ont pas lésiné sur les séquences de dialogues, les retournements de situation, l'étalement de lore et de mythologie et les personnages hauts en couleur. Le tout est servi par une mise en scène au cordeau et un sens du détail époustouflant. Il n'empêche : nous sommes en 2024, il sort un metroidvania tous les deux jours, et il faut bien admettre que Gestalt n'a pas grand-chose pour lui face à la concurrence. Surtout quand même sa partie narrative s'avère finalement assez fragile.
La cité de la vapeur
Vous l'aurez sans doute déjà compris, je ne suis pas très fan de la manière dont Gestalt: Steam & Cinder essaye de nous bluffer avec son exposition constante. Il s'agit d'une œuvre qui souffre du fameux syndrome "AYKB" ("as you know, Bob"), un travers commun retrouvé dans pas mal d'œuvres de jeunesse. À rebours du principe du "show, don't tell", Gestalt: Steam & Cinder est tout le temps explicite et démonstratif pour vous déballer le moindre détail de son aventure et de son background. Et quand je dis tout le temps, c'est : tout le temps.
Concrètement, le jeu est interrompu de manière extrêmement fréquente par des dialogues (généralement assez longs), des scènes cinématiques se déroulant ailleurs, des flashbacks ou encore des visions. Impossible de passer trois écrans sans se manger deux ou trois minutes de blabla, parfois sans grand rapport direct avec l'action en cours. Je trouve que c'est une rupture de rythme assez irritante, mais passons, car c'est aussi un parti pris assumé. Et moi, les partis pris assumés, j'aime bien ça dans mes jeux vidéo.
Le problème que j'y vois, c'est que sous les strass et les paillettes de personnages en pixel art ultra-détaillés et d'effets pyrotechniques à gogo, ces kilomètres de dialogues ne sont pas franchement bien écrits. En particulier à cause de cette tendance assez récurrente de tous les personnages à décrire des pans entiers de leur univers à des interlocuteurs qui le connaissent en théorie déjà très bien. "Bonjour Aletheïa, comme tu le sais, notre ville a été construite sur une série de portails magiques laissés par les Anciens dans une guerre qui a durée 387 ans contre les Akhaïens et dont les principaux protagonistes équipés de célèbres armures magiques étaient blablabla" : je n'exagère pas tant que cela. C'est un peu lénifiant.
L'autre souci avec cette manière d'aborder le récit, c'est que malgré des prémices intéressantes, Gestalt: Steam & Cinder s'enfonce assez vite dans une série de clichés déjà vus et revus à base d'horreurs cosmiques, d'élus de prophétie, de visions eschatologiques et de savants fous façon film de la Hammer. Une banalité que l'on retrouve jusque dans les toponymes utilisés par la mythologie du jeu : R'lyeh, Irkalla, Faust, Canaan, comme si tout ceci avait été pioché un peu au petit bonheur la chance dans un atelier d'écriture se reposant sur des conventions narratives de fantasy. Ce n'est pas non plus déplaisant à suivre : Aletheïa est une héroïne plutôt convaincante et l'aventure est rythmée par quelques affrontements et séquences d'action mémorables. Mais il se dégage tout de même de Gestalt un certain parfum de morgue, comme si les auteurs du jeu manquaient un peu de recul sur leur propre matière.
Chasseur déprime
L'autre limite de Metamorphosis Games sur cette production, c'est justement que, ces quelques boss fights dantesques et autres séquences de courses-poursuites mises à part, les péripéties de la chasseuse de primes sont très à l'étroit dans une structure franchement archaïque. Tout ce qui fait la recette d'un metroidvania est bien là : les portes fermées qui s'ouvrent progressivement, les quêtes annexes, les portes cachées et l'arbre de compétences. Tout est présent, d'une manière terriblement scolaire, l'équilibrage en moins.
Le côté linéaire et un peu rigide de la structure de la quête principale n'est pas en cause : là encore, c'est un choix assumé au service de la narration. En revanche, Gestalt: Steam & Cinder se perd dans des niveaux pas très amusants à parcourir, une physique des sauts et des masques de collision pas toujours lisibles et, pire encore… des combats pas très amusants, car fort mal équilibrés. L'équilibrage des affrontements, j'en ai bien conscience, est sans doute un des process les plus difficiles et les plus millimétrés d'un metroidvania. Mais ici, c'est vraiment raté.
Toutes les capacités d'Aletheïa reposent sur un assez vaste arbre de compétences à débloquer, dont chaque nœud est relié par des points améliorant des statistiques (vie, force de frappe, etc.). Au début de l'aventure, chaque point à attribuer est crucial : on court après le niveau des ennemis, et le moindre boost de 5 PV peut changer la donne. Sauf qu'au bout de deux ou trois heures seulement sur la dizaine que compte la quête principale, on débloque les quêtes annexes, les téléporteurs et le double saut pour l'exploration. Pour peu qu'on passe alors quelques minutes à se promener et à découvrir l'univers, Aletheïa se retrouve noyée sous l'XP. Et elle est rapidement transformée en tank invincible dont le moindre coup d'épée terrasse n'importe quoi en deux secondes. Alors qu'à l'inverse, elle ne craint en retour plus grand-chose.
Assez vite, le problème s'étend aux ennemis les plus coriaces et même jusqu'à certains antagonistes majeurs : plus besoin de décoder les patterns d'un boss quand votre héroïne peut encaisser des dizaines de coups sans broncher, et avaler potion de soin sur potion de soin. Les problèmes de structure narrative et de level design n'en sont alors que plus criants. C'est beau, mais il faut bien dire que la plupart du temps, on s'ennuie sec.
Gestalt: Steam & Cinder a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
J'imagine que beaucoup des difficultés que je perçois dans Gestalt: Steam & Cinder proviennent du temps de développement très important du projet. À bien des égards, Metamorphosis Games livre une expérience qui évoque les metroidvania tels qu'on les concevait il y a dix ans. La contrepartie positive de cette décennie de conception, c'est un jeu parfaitement peaufiné sur ses aspects graphiques, artistiques et sonores, qui m'ont régulièrement fait me décrocher la mâchoire devant tel décor ou tel boss fight. J'aurais sincèrement aimé que tout le reste soit à l'avenant.
Les + | Les - |
- Un des plus beaux jeux de sa catégorie | - Structure du jeu très archaïque |
- Quelques séquences vraiment spectaculaires | - L'équilibrage est aux fraises |
- Quelques idées intéressantes dans le bestiaire et l'univers | - Level design laborieux |
- La narration trop bavarde et trop scolaire |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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