Le malheureux Forspoken aura surtout fait parler de lui pendant des années pour son développement problématique, un concept flou, des trailers et des démos techniques assez mensongers et une incapacité de Sony et de Square Enix à expliquer ce dont il était concrètement question. Après bien du chaos, le voici enfin sorti, sous la forme d'un très, très classique TPS en monde ouvert qui, sous une énorme pile de gros n'importe quoi, se révèle de temps à autre assez attachant.
C'est assez difficile de ne pas avoir de la peine pour les équipes qui ont travaillé sur ce jeu lors des premières heures particulièrement fastidieuses de Forspoken. Difficile aussi de ne pas penser au triste Mass Effect : Andromeda qui souffrait de la même carcasse un peu cabossée sous laquelle on devinait un énorme potentiel. Les premiers chapitres de l'aventure de Frey, l'héroïne que nous allons découvrir ici, sonnent comme un aveu d'échec. Forspoken aurait sans doute été un jeu complètement différent s'il avait connu un développement plus fluide, moins heurté, avec une vision claire de ce qu'il voulait être. Mais Forspoken a été pensé comme un des ultimes gros projets originaux de Square Enix, qui s'est recentré depuis sur ses licences les plus lucratives et son patrimoine. Un projet développé par un studio Luminous entièrement englué dans le moteur de Final Fantasy XV, dont ils étaient également co-réalisateurs. Moteur vieux de six ans et qui commence naturellement à accuser le coup : le résultat en 2023 fait de la peine. En lieu et place d'une grosse exclu PS5 qui devait faire office de system seller de ce début d'année, on a hérité d'un titre boiteux et difficile à aimer, qui met une bonne demi-douzaine d'heures à révéler un début de potentiel amusant.
Voyage en terrain connu
Peu de jeux de l'envergure et du budget de Forspoken ont eu un démarrage aussi laborieux ces dernières années. Il me semble important de le préciser, parce que les quatre premiers chapitres sont un véritable but contre leur camp, susceptibles de vous faire renoncer à ne serait-ce qu'avoir une vague idée de ce que le jeu entend proposer ensuite. Et même si ce n'est pas la "faute" du scénario, mais plutôt de sa mise en scène poussive, il faut quand même bien admettre que son écriture lourdingue n'aide absolument pas à lui pardonner ce démarrage foireux.
Jugez plutôt : c'est Noël à New York et Frey, une orpheline fan de parkour de 21 ans endettée jusqu'au cou, manque de finir en prison, puis tabassée par un gang de rue surgi des années 90 avec des gens qui font "yo yo". Rêvant de se tirer de cette ville pourrie et fan d'Alice au Pays des Merveilles, elle rêve de refaire sa vie dans un autre monde, ce qui va évidemment lui arriver quand elle va enfiler un bracelet qui parle de manière arrogante avec un accent britannique et qui va au passage lui refiler des pouvoirs magiques. Et vous savez comment ça marche la fantasy : s'il y a des accents british, c'est que vous allez vous retrouver dans un univers parallèle générique un peu nullos. Ce qui ne manque pas d'arriver, la pauvre Frey se retrouvant bien vite dans un royaume mediévalo-romano-magique évidemment hostile. Oh, et comme de bien entendu, la voilà traquée ET par un dragon ET de la brume qui transforme les gens en zombies ET par des sorcières maléfiques.
En réalité, je ne veux pas être trop méchant avec l'univers un peu vide et un peu idiot mis en place par Forspoken, avec son côté post-apo-isekai-antiquité-tardive qui tente de sortir des sentiers battus sans jamais y arriver tout à fait. Parce qu'à défaut de réussir, l'histoire déroulée par le jeu essaye. L'héroïne se révèle plutôt attachante à la longue, avec son côté à la fois teigneux et super enthousiaste à l'idée de faire joujou avec des pouvoirs. La quête principale, axée autour du fait d'annuler la Fin du Monde et de se fritter contre des méchantes sorcières, évoque une version un peu pop-punk du Magicien d'Oz, ne ménage pas ses efforts et réussit à ne pas se diluer dans le n'importe quoi habituel des gros open world AAA. Forspoken n'a pas un scénario bien palpitant, mais au moins il se tient à son propos du début à la fin.
Non, ce qui ne fonctionne pas du tout, c'est que cette histoire amusante, mais débile met un temps infini à vous lâcher la bride. Les cinq ou six premières heures de Forspoken se résument à un interminable tutoriel bourré de centaines de lignes de dialogue d'exposition, se refusant farouchement à vous laisser faire quoi que ce soit par vous-même, et vous abrutissant de dialogues particulièrement creux entre Frey et son bracelet. Un excellent moyen de mettre en scène le vide, par ailleurs, puisque Forspoken, c'est aussi des dizaines et des dizaines de scènes où l'héroïne parle à son bras sans bouger.
Le parkour de la combattante
Arrive la cinquième ou sixième heure de jeu. Et là, soudain, Forspoken vous lâche enfin la grappe. Pas complètement : l'aventure reste globalement très balisée. Mais au moins, vous pouvez vous promener un peu, explorer le système de combat, et vous amuser à jouer avec le mode de déplacement de Frey, basé sur une sorte de parkour mélangé avec de la glisse et du vol plané. Une fois de plus, le jeu est cabossé, et le système ne fonctionne pas très bien quand vous vous retrouvez en milieu fermé, comme des villes, des tours ou des labyrinthes. En revanche, en rase campagne, c'est un vrai plaisir : Frey bondit, glisse et virevolte avec grâce, rendant le déplacement d'un point A à un point B extrêmement satisfaisant. D'un certain côté, Forspoken est le Sonic rapide et nerveux que l'on n'a pas eu depuis longtemps.
On finit également à cette occasion par apprendre qu'il est possible de réduire les dialogues absolument incessants entre Frey et le bracelet au minimum, et mettre fin à ce qui s'apparente au podcast le plus rébarbatif et non sollicité entendu dans un jeu AAA depuis des années. Et on a alors l'occasion de se frotter au système de combat : une sorte de jeu de tir où les flingues ont été remplacés par de la magie dont on peut changer les effets à la volée tout en esquivant les projectiles ennemis. Et ce qui s'apparente finalement à un mélange (certes brouillon) entre Dark Souls, Returnal et Horizon Zero Dawn devient très vite assez amusant. On est initialement très limité, mais dès qu'on a gagné quelques niveaux et débloqué quelques sorts plus puissants, le système devient plus profond et malin qu'il en a l'air.
Et les niveaux, passé cet interminable tutoriel mou, on les gagne très très vite. Parce que Forspoken, loin des 40 heures de campagne annoncées, réussit à ramasser son propos sur une quinzaine d'heures, et fait tout pour que faire la campagne en ligne droite ne soit jamais handicapant. Notamment en vous filant sans arrêt des tonnes et des tonnes de points d'expérience pour tout et n'importe quoi. Mieux : il arrive à placer sur la route des quêtes principales la plupart des structures bonus dont vous avez besoin pour être au niveau. À l'instar d'un Horizon Zero Dawn, justement, il parvient à vous faire "naturellement" visiter la plupart des endroits importants. À vous de voir si vous voulez effectivement passer quinze ou vingt heures de plus à nettoyer la map des centaines de petits points clignotants inhérents au genre. Mais Forspoken ne m'a jamais semblé aussi satisfaisant que quand j'ai pris la décision d'ignorer ce monde ouvert de toute façon assez vide et assez moche : la quête principale se suffit parfaitement à elle-même, sans jamais trop faire monter le niveau de difficulté ni vous pousser à la collectionnite.
Une catastrophe évitée de peu
Il n'en reste pas moins que même si on peut lui trouver toutes les excuses du monde, Forspoken ne devrait absolument pas être sorti dans cet état. Oui, le titre de Luminous évite la cata complète. Oui, il devient meilleur au fil de l'aventure, c'est incontestable. Mais ça reste très, très en deçà de ce qu'on pourrait attendre d'un gros jeu de cette génération. Outre la pelletée de problèmes techniques sur laquelle je ne m'étends pas (d'autres ont fait ça mieux que moi), Forspoken est un jeu qui nous est présenté dans un état proprement scandaleux, particulièrement au regard de ses promesses.
Des collectibles inintéressants en pagaille, des défauts de synchronisation labiale à qui mieux-mieux, des bugs de collision dans tous les sens, du recyclage d'assets à gogo, des dialogues insipides, une VF complètement hors-sol… Et plus généralement tous les défauts de nombre de jeux en monde ouvert concentrés comme s'il fallait cocher une grille de bingo. Tout est là, jusqu'aux petits défauts les plus classiques des jeux de la génération actuelle, à l'image des polices de caractères absolument minuscules et illisibles ou d'un portage PC nécessitant une configuration absolument grotesque pour tourner correctement, sans gros compromis possible.
On referme Forspoken avec l'impression de baigner dans un concentré d'un jeu milieu de gamme paru il y a dix ans. Jusqu'à son moteur graphique, qui oscille entre tentatives de faire de belles choses et "c'est FFXV, mais en plus moche", Forspoken n'a aucun des oripeaux de la modernité pour lui. Comme si, à défaut de réussir à lui donner une identité propre, faute d'une vision de ce qu'il devait être, Square Enix s'était replié sur une solution de facilité : un open world moyen, assez vide, peuplé de personnages oubliables, et complètement dénué d'audace. Certes, cet isekai paresseux laissera le souvenir d'une héroïne amusante et de séquences de course-poursuite assez rythmées, mais il laissera également l'impression d'un immense gâchis parfaitement anachronique.
Forspoken a été testé sur PlayStation 5 via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PC.
Frey, l'héroïne énergique et astucieuse de Forspoken, méritait mieux. New-Yorkaise en galère, plongée à la découverte d'un monde inconnu, elle n'aura cependant droit ni à l'aventure frénétique d'un Peter Parker dans le Spider-Man d'Insomniac Games, ni à la quête épique et torturée d'Aloy dans le Horizon Zero Dawn de Guerilla Games. Non, la pauvre Frey va se contenter de courir dans tous les sens dans des plaines vides et brumeuses, à taper des ours et des zombies mutants tout en ramassant des dizaines de plumes et de pépites de charbon dans des coffres abandonnés. Si le jeu était raté de bout en bout, on serait au final moins en colère. Mais Forspoken n'est pas raté à proprement parler, c'est un jeu qui ne tient pas ses promesses, ce qui est éminemment plus frustrant. Difficile de savoir, au fond, ce qui sera le plus intéressant entre ce titre et ses futurs postmortems et autres témoignages expliquant ce qui a pu aboutir à cet immense gâchis.
Les + | Les - |
- Se révèle assez amusant une fois qu'on cesse d'être pris par la main | - Les premières heures sont calamiteuses |
- L'héroïne a un côté touchant | - C'est quand même pas très beau et perclus de bugs de collision |
- Intrigue principale courte et ramassée qui donne un bon rythme au jeu | - Les dialogues avec le bracelet parlant sont incessants et grotesques |
- Quelques traits d'humour qui marchent... | - .... Mais le scénario est tout de même assez calamiteux |
- Le système de parkour est très cool | - Les combats sont originaux mais trop brouillons |
- Bande son et sound design corrects... | - ... Même si on a l'impression que ce n'est pas toujours la musique appropriée qui se lance |
- Absolument aucun temps de chargement sur PS5 | - Doublage en français catastrophique (heureusement désactivable) |
- Les polices de caractères minuscules des menus sur PS5, sérieusement, en 2023 ??? |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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