Oyez, oyez ! Venez écouter l'histoire contée par le studio Alkemi, celle du bec-en-sabot Volepain et de ses compères, qui s'épanche à coups de cartes, de chouettes illustrations et de musique douce à l'oreille. Cette histoire est celle de Foretales.
Après avoir entrepris de repenser le twin-stick shooter avec Transcripted (2012), puis le shoot’em up avec Drifting Lands (2017), Alkemi s’adonne désormais aux joies du jeu de cartes. Et si, depuis le succès d’Heartstone, l’industrie se plait à multiplier les expérimentations (Neon White et son ADN fast-FPS) ou à adapter le deck à ses licences prestigieuses (le futur Midnight Suns), le studio nantais a préféré s’en retourner aux coins cornés du jeu de plateau des week-ends alanguis. En profitant tout de même des avantages du jeu vidéo. Et si Foretales parait issu d’un mélange moins étrange que ses prédécesseurs, c’est certainement à son avantage.
C’est le Luth final
À la faveur d’une expédition nocturne dans les quartiers huppés de la Cité des Fèvres, le bec-en-sabot Volepain et son compagnon de route Léo mettent la main sur une lyre mystérieuse. Objet de convoitise d’un énigmatique oiseau lépreux, l’instrument investit Volepain d’un don de prescience et lui permet d’entrevoir plusieurs futurs aux issues tragiques pour lui, ses proches et le monde en général. Commence dès lors une course contre-la-montre, chaque étape de son voyage rapprochant le jeune voleur des affres que lui réserve le Destin.
Une bien sombre affaire, n’est-il pas ? Il faut l’admettre, à la vue des chatoyantes couleurs qui habillent les tuniques des protagonistes comme les sous-bois dans lesquels ils déambulent, on n’avait pas vu se dessiner les aventures de Volepain avec une telle dramaturgie. Les enjeux qui apparaissent ainsi petit à petit donnent une ampleur insoupçonnée à la quête, d’autant plus tragique qu’elle contraste nettement avec le style du dessin, qu’on aime à rapprocher, animaux anthropomorphes et décor médiéval aidant, du Robin des Bois de Wolfgang Reitherman. Inscrite plus encore dans la veine de la fantasy animalière (on pense par exemple à la série de livres Rougemuraille de Brian Jacques), la trame prend des allures d’épopée quand le groupe qu’on accompagne est obligé de prendre la route, poussé par les événements. Tout ceci ne se fait toutefois pas sans humour et les situations burlesques se multiplient, donnant de l’eau au moulin des répliques bien tombées. Le narrateur, par la voix espiègle de Travis Willingham (les web séries Critical Role), y joue pour beaucoup et commente à la moindre occasion nos péripéties, sans pour autant tomber dans le surjeu ou la lourdeur, ce qui n’était pas gagné. C’est ainsi rythmé par ses jolies tournures descriptives, son joyeux casting et tout de même la pression du danger qui guette que Foretales se parcourt, avec enthousiasme et cartes en main.
Deck en sabot
Au vu des sorties qui se suivent, on pourrait avoir tendance à oublier que tous les jeux de cartes n’impliquent pas du deckbuilding. Ici, les paquets se multiplient, mais à la manière d’un jeu de société mâtiné de jeu de rôle, et les cartes sont présentes à toutes les étapes du gameplay. Chaque chapitre (représenté par une sorte de carte de tarot) est constitué de régions, auxquelles est attribué un deck d’exploration constitué de lieux à visiter ou d’événements. Ces cartes, le plus souvent présentes au nombre de trois, quatre ou cinq sur le plateau, forment la partie exploration de Foretales. On interagit avec elles grâce à notre deck d’actions, associées en nombre limité aux personnages qui participent à la quête. Chaque action aura un effet différent selon la carte exploration sur laquelle elle est jouée. Par exemple, face à un marchand véreux, le Vol à la tire de Volepain octroiera quelques sous récoltés sans risques, mais s’il est utilisé sur un poste de soldats, s’ajoutera au butin un certain nombre de poursuivants.
Ces derniers sont rassemblés en un deck et peuvent apparaître aléatoirement sur certaines cartes exploration. À nous de décider comment aborder ou non le groupe ennemi. S'ensuit une confrontation qui débute par une phase d’approche. En fonction des cartes et des ressources (nourriture, argent, honneur et infamie, ou cartes spéciales récoltées sur le chemin) en notre possession, il s'agit de choisir la meilleure stratégie : graisser la patte d’un puissant garde avec le contenu de sa propre bourse tout juste volée pour lui faire quitter le combat et ainsi faire fuir le reste de la bande ? Ou peut-être renforcer un combattant puis décocher une flèche et affaiblir un adversaire avant le début des hostilités ? Il faut noter que si le recours à la violence est envisageable et parfois inévitable, chaque unité ennemie morte au combat viendra garnir un cimetière, et il se pourrait que le destin évolue d’une bien triste manière si les corps venaient à s’accumuler. Comme les combinaisons sont nombreuses et se multiplient au fil de la progression, on est bien content de pouvoir se reposer sur des indications d’effets, toujours présentes et vite assimilées, ainsi que sur la surbrillance des cartes qui peuvent interagir entre elles.
Si nos cartes actions viennent à manquer, il est impossible d’interagir plus avant. Il faut alors piocher une carte du paquet de repos, lequel redonnera trois actions par personnage. Attention, si certains de ces pleins se feront sans contrepartie, la plupart d’entre eux auront une conséquence : utiliser de la nourriture (à condition d’en avoir, sous peine de perdre de la vie), ajout de poursuivants ou d’une carte d’exploration handicapante... Et si toutes les cartes repos sont piochées, c’est le game over ; pas bien méchant, il faudra seulement recommencer le chapitre. On sait gré à Alkemi d’avoir rendu assez souple la tension qui accompagne les parties. Car on a beau baliser à la vue du tirage de la dernière carte repos, les possibilités d’agir sont tout de même largement en notre faveur.
Croire en l’âne des cartes
Il serait laborieux d’entrer encore plus avant dans les détails, mais malgré la multiplication des interactions et des cartes, prendre ses marques n’est qu’une question de temps et on navigue aisément avec cette interface bien remplie au bout d’un ou deux chapitres. Les cartes glissent, passent d’une pile à l’autre, on identifie rapidement quel groupe d’ennemis sera le plus évident à disperser avant de reprendre son chemin. Façon de parler, évidemment, car pendant tout ce temps, c’est sur une table que l’aventure déroule ses péripéties ; une bien jolie table, par ailleurs, décorée d’effets lumineux thématiques et élégants, auxquels s’ajoute une poignée d’animations spéciales lors des combats. De quoi amplifier ce sentiment d’équilibre subtil que dégage Foretales, et qui trouve son pic lorsqu’une carte récoltée à force d’effort lors d’une exploration arrange en un clin d’œil une situation épineuse – des sortes de boss, le plus souvent.
On prend en effet un plaisir certain à vadrouiller dans cet univers constitué d’illustrations (superbes dans leur majorité), prenant sans hésitation des chemins de traverse à la rencontre de possibles quêtes secondaires, si notre deck d’actions parait assez rempli. On profitera de ces moments pour en apprendre plus sur l’environnement proche, parfois même nos ennemis, afin d’opter pour l’approche qui nous parait la plus efficace. Il est étonnant de voir à quel point Alkemi réussit à renouveler les situations tout en gardant une même base de gameplay. Il faudra à un moment trouver des preuves pour exercer la défense lors d’un procès ou réussir à s’orienter dans le noir d’un souterrain… Si les premiers niveaux paraissent somme toute assez classiques dans le déroulé du jeu, ceux qui constituent la seconde moitié de l’aventure apportent chacun leur petite particularité, quitte à tendre parfois vers la gestion de ressources. Et si la marche à suivre de certaines quêtes n'est pas toujours très instinctive, on n’hésitera pas à se servir de l’aide, qui se fera de plus en plus précise à force de sollicitations.
L’aventure ne se fera, en effet, pas entièrement sans cahots. Il est parfois assez peu évident d’anticiper les besoins qu’on va avoir, ce qui mène à attendre de retomber sur les bonnes cartes exploration pour avancer. Ça joue certes sur la rejouabilité, en comptant sur notre première expérience pour mieux avancer dans la prochaine, mais c’est par moments un peu frustrant. Il faut avouer que dès lors qu’on mouline, le principe de jeu fait ressortir son inhérente répétition, en particulier quand une zone est propice aux combats. Enfin, on évitera de spoiler, mais attendez-vous à jouer plus que ce que le jeu vous fait d’abord entrevoir, en forçant un peu la main sur l’enchaînement de runs afin d’avoir le fin mot de l’histoire. On devine qu’il fallait au moins ça pour encourager à découvrir tout ce que l’aventure réserve, mais le PTSD d’un certain JRPG nous a fait lever les yeux au ciel. Heureusement, on peut compter sur la ravissante soundtrack/bruitage, composée par Christophe Héral et Raphaël Joffres, pour accompagner au mieux notre périple. Les escapades en forêt ou sur la plage prennent tout de suite une autre dimension, aux sons des sifflements et des doubidoubidous discrets qui semblent venir des fourrés.
Foretales a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Switch.
La formule établie par Foretales impressionne d'équilibre et de finition. La composante narrative est au centre de l'expérience, rebondie qu'elle est de bons mots et de péripéties, et ne nous lâche plus qu'à de rares occasions. Ses compositions enjouées et son ambiance joliment travaillée en tête, on le quitte le cœur content et devisant gaiement. Quel beau jeu, vraiment.
Les + | Les - |
- Un système particulièrement solide et riche | - De rares moments où l'on tourne en rond... |
- Une ambiance excellement travaillée | - ... qui accentuent l'impression pourtant ténue de répétition |
- Très joli, dans les cartes comme au-dehors | - Certaines mécaniques assez peu instinctives, bien que rattrapées par le système d'indices |
- Cette musique de l'amour - et un beau travail de sound design |
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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