Nintendo semblant avoir fini d'essorer jusqu'à l'os l'excellent Fire Emblem: Three Houses, il était temps de passer au prochain épisode majeur de sa série de RPG tactiques. Fire Emblem Engage constitue à cet égard un retour à une formule plus classique : scénario linéaire et relativement simplifié, recentrement sur l'aspect tactique du jeu au détriment de personnages moins iconiques, et références multiples aux épisodes précédents. Bref : une sacrée prise de risque.
Il faut se souvenir qu'avant Three Houses et dans une certaine mesure avant Fates, Fire Emblem était marqué par un accent très très fort sur l'aspect tactique du jeu. Les relations amicales, conflictuelles ou romantiques entre les personnages étaient souvent réduites à peu de choses, quand elles n'étaient pas tout simplement absentes. On se battait, puis on retournait dans les menus pour optimiser son équipement, on profitait de quelques lignes de dialogue, et hop, c'était parti pour la bagarre d'après. Three Houses a tout changé, en diminuant largement l'aspect tactique (lourdement simplifié) pour nous faire passer des heures et des heures dans un monastère-école aux multiples sous-systèmes ludiques. On y pratiquait la pêche et la cueillette, la cuisine et la chorale et mille autres activités, tout en tentant de se faire aimer d'une cinquantaine de personnages picaresques. Le tout dans une histoire épique aux quatre embranchements scénaristiques possibles et aux tragédies mémorables… Cinq ans plus tard, ce Fire Emblem Engage nous fait très clairement la promesse inverse, en livrant un des RPG tactiques grand public les plus brillants depuis des années… Mais en réussissant à se prendre un peu les pieds dans le tapis. En réduisant énormément l'intérêt de la partie "gestion" tout en la rendant quasiment indispensable à la progression, ce tactical RPG se dilue dans un océan de micro-tâches rébarbatives qui vont vous faire absolument détester la vie de caserne.
L'essayeur des anneaux
Pour qui a pratiqué des Fire Emblem depuis les tréfonds des années 90, la mise en scène minimaliste et le scénario prétexte de Fire Emblem Engage sont tout sauf une surprise, mais davantage un retour aux origines : il y a des méchants qui attaquent, des gentils doivent récupérer des bidules éparpillés dans divers royaumes, et au milieu de tout ça il y a des dragons, des enfants de dragons, du sang de dragon, des hommes-dragons, des vouivres et des hydres dracono-reptiliennes. Pour qui arrive avec Three Houses comme seul bagage, en revanche, le choc peut être un peu rude. Les personnages sont caricaturaux et creux, vous aurez le plus grand mal à vous souvenir du nom de qui que ce soit, et le chara design de tout ce beau monde, bien que correct, n'a pas le quart de la flamboyance des précédents épisodes. L'intrigue se laisse suivre, mais à l'exception de cette sombre histoire d'anneaux, on est sur le niveau zéro de la fantasy, un simple prétexte à enchaîner les bastons qui de plus dépense trop vite et de manière trop maladroite ses retournements scénaristiques.
Ah oui, les anneaux. Il faut qu'on parle des anneaux : c'est le principal gimmick de ce Fire Emblem Engage. Au cœur de l'intrigue, il y a des anneaux magiques. Au nombre de douze bien sûr, plus une pelletée infinie d'anneaux un peu moins magiques à looter avec une des monnaies du jeu, parce que la culture des lootbox et des machines à sous est désormais bien implantée chez Nintendo. Les douze anneaux majeurs, protecteurs de la paix du royaume ou que sais-je, sont chacun liés à un personnage d'un autre jeu Fire Emblem qui va servir de compagnon/stand/Persona/Pokémon à la personne qui le porte. Une manière de se vautrer dans une forme de fan service assez classique en recyclant des personnages populaires, mais qui va avoir son intérêt sur le champ de bataille : plus un anneau est porté par son ou sa propriétaire, et plus son lien avec le "fantôme" qui l'habite se renforce. Scénaristiquement, cela se traduit par des tas d'ectoplasmes de personnages de la série qui flottent en disant des trucs nuls, mais tactiquement parlant, l'idée est intéressante, puisqu'elle vous pousse à gérer certains personnages comme des pièces d'équipement.
Et on va rapidement toucher aux limites de ce Fire Emblem Engage avec cette histoire d'esprits de personnages connus et d'anneaux à optimiser puis à looter et à fusionner : nous sommes ici face à un objet extrêmement curieux. D'une main, il va s'échiner à déployer d'excellentes idées de gameplay qui en font un tactical absolument fascinant, et de l'autre il va exiger de vous des dizaines de pitreries semi-obligatoires et routinières à effectuer entre chaque affrontement pour micromanager vos statistiques de combat.
Une charge mentale pesante
Fire Emblem: Three Houses arrivait à installer sa routine entre les missions via deux méthodes : des récompenses sous forme d'avancées dans les sentiments des personnages, et le fait que la plupart de ces interactions étaient finalement assez facultatives, particulièrement en New Game +. Fire Emblem Engage fait le pari d'une formule complètement bâtarde qui peine à atteindre ces deux objectifs. En effet, chaque phase narrative entre les missions va fortement vous pousser à revenir dans le domaine de Somniel (votre base) ainsi qu'à explorer des villages et des terrains libérés du joug ennemi. Et ce qu'on a à faire pendant ces phases tient davantage du microtravail que du jeu de gestion. Chaque retour à Somniel va ainsi vous conduire à effectuer de manière très monotone des dizaines de minuscules petites actions qui vont chacune vous délivrer une tout aussi minuscule récompense.
Pêle-mêle, il vous sera demandé de looter des anneaux mineurs indispensables pour protéger vos troupes, de parler à tout le monde pour obtenir des "fragments de lien", lesquels sont indispensables pour de courts entrainements pour renforcer les anneaux. Mais vous devrez aussi nettoyer les anneaux en question, caresser une mascotte pour obtenir davantage de fragments, investir votre argent dans des villages pour vous faire livrer des consommables, parcourir des distances immenses pour cueillir une pomme ou une orange, faire des siestes (je ne plaisante pas) ou des abdominaux, reforger ou renforcer des armes… Sans compter les tâches les plus basiques consistant à gérer et optimiser l'inventaire de chaque personnage, notamment les objets et armes destinées à soigner, possédant des charges limitées.
Et chacun de ces petits trucs va vous donner un microbonus de 1 point de vie par-ci, 2 points de mouvement par là, le plus souvent de manière temporaire ou du moins fortement limitée, vous poussant à recommencer après chaque bataille. Quant aux récompenses sous forme "verbales" ou scénaristiques, elles sont limitées par le fait que les personnages et les intrigues secondaires sont, comme je le soulignais, vraiment dénués d'intérêt. Le plus souvent, une avancée dans la relation entre deux personnages va se limiter à quelques lignes de dialogue assez creuses et totalement dénuées d'enjeux.
Et hélas, à moins de jouer dans le mode de difficulté le plus bas, vous allez avoir désespérément besoin de cet ensemble de petits bonus mis bout à bout : des anneaux de rang S, des boosts de résistance temporaire, un fort niveau de lien entre les personnages, les dernières armures disponibles. Bref, autant de petits boosts nécessaires pour ne pas vous faire tailler en pièce par une compagnie ennemie un peu rude. Le réglage désormais classique de la difficulté de la série est d'ailleurs de retour, puisque vous aurez le choix entre trois niveaux de difficulté (et c'est assez ardu dès le second) et la possibilité d'activer ou non la mort permanente des personnages vaincus. C'est cependant la première fois que rehausser légèrement la difficulté va vous conduire à devoir passer des plombes à effectuer des séries interminables de sessions de loot et de mini jeux répétitifs pour ne pas vous retrouver face à un mur infranchissable. C'est d'autant plus frustrant que les combats en eux-mêmes, qui se retrouvent fatalement assez espacés en temps de jeu, sont parmi les plus fabuleux de toute la saga.
Je suis venu ici pour me battre, ok ?
Une fois que vous avez enfin achevé toute votre promenade fastidieuse dans Somniel, vous vous retrouvez donc à parcourir une des 26 (plus quelques annexes) missions de la campagne de Fire Emblem Engage. Et c'est un plaisir immense, pas vu dans un jeu de la série depuis vraiment, vraiment très longtemps. À l'image d'un Triangle Strategy ou du remaster de Tactics Ogre sortis l'année dernière, ce nouveau Fire Emblem mise sur un sentiment de fausse simplicité : tout est très simple à appréhender sur le papier, mais la maîtrise de chaque petite mécanique peut vraiment changer la donne, et transformer un affrontement a priori impossible en victoire triomphante.
Au cœur des batailles, on retrouve certes le très traditionnel triangle des armes : la hache bat la lance, la lance bat l'épée, l'épée bat la hache. L'arc est fort contre les unités volantes et la magie permet de passer outre les armures les plus robustes. Mais Fire Emblem Engage enrichit énormément cette approche simpliste par un nombre de petites mécaniques finement huilées, à commencer par la notion de "brise-garde" qui est une des principales innovations de cet épisode. En utilisant la bonne unité contre le bon adversaire, vous pouvez ainsi détruire temporairement la capacité de riposte d'une unité adverse, vous permettant ensuite de vous acharner sur elle sans risque jusqu'au début du tour suivant. Couplée avec la possibilité de faire attaquer automatiquement en série des unités habilement placées, cette mécanique vous pousse à travailler très finement le placement de vos soldats sur des cartes globalement très bien fichues.
À ce système de jeu sur la garde et les placements, il faut ajouter un système de combinaison entre les personnages et leurs anneaux, inspiré de mécaniques déjà vues par exemple dans Fire Emblem Awakening. Chaque porteur d'anneau peut ainsi fusionner avec l'esprit qui l'habite, pour former pendant quelques tours une super-unité mélangeant les compétences des deux personnages. Et plus le lien entre deux combattants est fort, plus les résultats seront puissants, finissant même par se transformer en bonus permanents. C'est un vrai bonheur à optimiser, et on finit par créer au fil du jeu des combinaisons vraiment redoutables. Plus on s'approche de la conclusion de Fire Emblem Engage et plus la frustration s'intensifie : on aimerait passer davantage de temps sur ces affrontements merveilleux, et nettement moins à ramasser du crottin de cheval pour l'offrir à son crush (encore une fois : je ne plaisante pas).
Fire Emblem Engage a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l'éditeur.
Sorti dans la rase campagne de janvier et bourré de petits défauts, à commencer par un manque certain de charisme, ce Fire Emblem Engage pourrait bien passer relativement inaperçu ou finir par être considéré comme un des épisodes mineurs de la série, à l'instar du très oublié, mais très plaisant Fire Emblem Echoes: Shadows of Valentia. Si vous êtes amateur·ice de tactical RPG, je vous recommande cependant chaudement de passer outre tous ces moments gênants à errer de microtâches en mini-jeux dans la base de Somniel et à vous laisser embringuer dans certains des affrontements stratégiques les plus finement ciselés depuis un bail, du moins dans un jeu Nintendo.
Les + | Les - |
- Excellent jeu de stratégie | - Toutes les tâches à faire entre les batailles, pas très intéressantes |
- Beaucoup de très très bonnes idées (les anneaux, le brise-garde...) | - Le scénario plat et pas franchement cohérent |
- On apprécie toujours la difficulté assez modulable de la série | - Tout manque énormément de charisme là-dedans |
- C'est plutôt joli | |
- Ergonomie des menus extrêmement claire |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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