La naissance de Fear Effect fut le fruit d’une époque étrange, convergence de la folie Tomb Raider, des jeux d’action à caméras fixes à la Resident Evil et du moment où les anglo-saxons ont découvert l’esthétique Manga. En résultaient deux jeux d’action-espionnage édités par Eidos, typés mangas, un poil racoleurs, et surtout très oubliables. La promotion d’alors, autre temps, mettait une emphase particulière à fétichiser le statut de lesbiennes des deux héroïnes (ce qui consistait surtout à les dénuder de la manière la plus glaireuse possible). Sans surprises, cette franchise aux confluences de trop de choses approximatives et de mauvais goût sombre dans l’oubli immédiatement après son second épisode, en 2001. Mais voici qu’un Square Enix, ayant-droit actuel de la chose et cherchant à inonder le marché avec de la nostalgie facile, confie -après un kickstarter réussi de justesse- au studio français Sushee la lourde tâche de réaliser non seulement un remake du premier épisode (Fear Effect Reinvented, à paraître), mais également un épisode inédit, troquant la 3D et les plans fixes de Dino Crisis pour de l’infiltration vue de dessus, à l’image du travail entrepris par Square sur les spin-of de Tomb Raider. Et on ne va pas vous mentir : à mauvaise idée, mauvais jeu.
Nostalgie de ce qui ne vous manquait pas
Qui regrette Fear Effect ? Personne, et aucun effort ne sera fait pour vous remettre dans le contexte. A la suite de diverses péripéties fort mal introduites (mais ne vous inquiétez pas, les bisous lesbiens via un prisme voyeur très hétérosexuel sont toujours là), nos chers aventuriers se retrouvent à devoir aller s’aventurer dans des trucs parce que, hey, c’est ce que font les aventuriers. Les scènes cinématiques, approximatives et figurant des personnages en 3D d’une rare hideur, vous sortirons davantage du peu d’ambiance installée qu’elles ne vous aideront à vous impliquer dans ces histoires de complots au Groenland. Une histoire d’une platitude effroyable, déroulée par des dialogues peu inspirés, et qui prendra systématiquement le soin de vous laisser sur le bord de la route, tout au long des six (et pas plus) heures de l’histoire principale.
Loin de capitaliser sur le peu de souvenirs que le grand public aurait encore de Fear Effect, Sushee déroule un monde mou et impersonnel, des protagonistes auxquels il est quasiment impossible de s’attacher, et un univers qui ne semble avoir tout simplement pas été écrit. Non pas que le scénario, l’ambiance ou le lore doivent être au cœur d’un jeu d’action vaguement décérébré, mais à ce niveau d’indigence d’écriture, on finit par se sentir repoussé par le propos qui nous est salement étalé sur l’écran. Et on se souvient alors que non, personne ne regrette Fear Effect. Déjà ringard en 2000, complètement à la ramasse en 2017, on craint le pire pour le Reinvented actuellement en développement. Mais cela ne serait pas si grave, au fond, si le jeu en lui-même tenait la route.
Rien ne va
Car, que fait-on dans Fear Effect Sedna ? Essentiellement : avancer, de manière extrêmement lente, dans des niveaux impersonnels et génériques, en tentant de se glisser derrière des gardes indolents pour les assassiner. On participe aux gunfights les plus mous qu’il nous ait été donné de voir. On jongle maladroitement entre les différents personnages contrôlables, sans jamais que cela se fasse de manière fluide ou organique. Et on se traîne d’énigmes en énigmes. Des énigmes essentiellement conçues pour être incompréhensibles, faute à un manque chronique d’indications visuelles ou de logique, comme si rien là-dedans n’avait été testé auprès de joueurs n’ayant pas eux-même conçu le jeu.
Chez Sedna, rien ne va. La musique, les doublages, le level design, rien ne tient une seconde de comparaison avec n’importe quel jeu du même genre, que ce soit le Shadow Tactics sorti l’an dernier, le Transistor de Supergiant Games, ou, de manière encore plus triste, les deux épisodes de Lara Croft (The Guardian of Light et The Temple of Osiris) du même éditeur, dont Fear Effect Sedna aurait pu être un descendant logique. A n’en pas douter, les développeurs de Sushee ont fait ce qu’ils ont pu. Ont-il manqué de moyen, de guidage et de conseil de la part de l’éditeur, de temps de développement pour le projet, ou d’une absence de vision de ce que Square Enix souhaite faire avec cette licence oubliée de tous ? Le jeu a-t-il été sacrifié au profit de Reinvented ? Difficile à dire, mais on en est au stade où Fear Effect Sedna récolte la note abyssale de 39 sur Metacritic et où l’éditeur est contraint de publier des communiqués de presse pour signaler que le remake de Fear Effect premier du nom n’est pas annulé.
Mais où va Square Enix ?
Laissons Fear Effect Sedna de côté : c’est un jeu raté, pas la peine de l’accabler outre mesure. Empêtré dans les développements interminables de Kingdom Hearts III et de Final Fantasy VII Remake, multipliant les créations de studios internes et les acquisitions aléatoires, l’éditeur, malgré tout en bonne santé financière, a une stratégie de plus en plus compliquée à suivre. Si on se concentre sur le seul versant nostalgique, on peut lui reconnaître la volonté de faire vivre son catalogue, et d’essayer de faire perdurer, avec des jeux à la I Am Setsuna et autres Lost Sphear, l’esprit des années 90. Mais pour un projet réussi et abouti comme Dragon Quest Builders, combien de portages approximatifs, de marketting raté, ou de remakes incompréhensibles à la manière de cet immonde Secret of Mana sorti dans la consternation générale en février dernier.
Plutôt qu’une politique construite et cohérente destinée à faire vivre son catalogue plus que conséquent, Square Enix semble empêtré dans sa volonté d’être partout à la fois, et de ne pas laisser passer un mois sans lancer un projet rétro ou nostalgique, au risque que l’essentiel soit anecdotique, consternant, ou nécessite du rétropédalage à n’en plus finir. Fear Effect Sedna n’est à ce titre pas une erreur : c’est un symptôme. Un symptôme inquiétant pour un éditeur qui semble avoir mis les deux pieds sur l’accélérateur du recyclage du passé glorieux des mythiques années 90, sans le moindre début de réflexion sur ce qui a fait leur immense succès à l’époque. Le versant « pour vous les trentenaires » du traitement fluo, baroque et incohérent appliqué à un Final Fantasy XV lors de son portage PC. Ce sont les deux faces d’un même problème : Square Enix fait n’importe quoi.
Fear Effect Sedna est un jeu totalement raté, misant sur la nostalgie d’une franchise du début du millénaire que personne ne regrette, et sorti à la va-vite par un Square Enix qui ne semble pas savoir quoi en faire. Mais plus qu’une erreur de parcours, ce titre inquiète sur les intentions a moyen terme de l’éditeur, qui semble bien décidé à faire de plus en plus n’importe quoi avec son immense catalogue de licences typées années 80 à 2000. Les projets farfelus et mal ficelés du genre se multiplient depuis deux ans au catalogue de Square, sans qu’on comprenne bien si le moindre début de vision à moyen terme existe quelque part dans leur stratégie. Quand au studio parisien Sushee, on lui souhaite de se remettre de ce jeu raté, et de livrer quelque chose de plus intéressant avec leur Fear Effect Reinvented toujours en développement.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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