Beat them up contemplatif suivant le crépuscule d'un Yakuza fraîchement sorti de prison, Fading Afternoon est une proposition pour laquelle il est, pour le meilleur et pour le pire, peu aisé de trouver une comparaison dans le reste de la production indépendante.
Nous tenons là la dernière production de quelqu'un qui n'est pas tout à fait un inconnu, puisqu'il s'agit du troisième jeu du très discret yeo et de sa petite équipe d'artistes. Très remarqué pour The Friends of Ringo Ishikawa paru en 2017, yeo produit depuis des œuvres partageant toutes la même esthétique, au croisement entre les vieux films de gangsters japonais et le pixel art des années 80. Le tout baignant dans une mélancolie absolue, de celle que l'on a parfois pour les pays et les époques que l'on a jamais connus. Fading Afternoon est peut-être son jeu qui pousse ce principe le plus loin, en nous mettant dans les bottes usées de Seiji Maruyama, bandit sur le retour divisant péniblement ses journées entre errance urbaine, violence et ennui. Une expérience étrange, certes, mais l'aboutissement du style "by yeo".
Mafia Blues
Un de mes jeux préférés de tous les temps, vous le savez sûrement, prend pour point de départ la sortie de prison d'un Yakuza joyeux et débonnaire. Fading Afternoon est la preuve faite jeu qu'on peut avoir deux incipits très similaires et deux propositions radicalement opposées par la suite. Ici, on n'est pas vraiment là pour rigoler : emprisonné pour protéger sa hiérarchie dans le cadre d'activités professionnelles pas très reluisantes, le redoutable Seiji est libéré, pour être accueilli de manière relativement tiède par son ancien clan.
Un petit pécule en poche et une chambre d'hôtel réservée à son nom pour quelques jours lui servent de cadeau de retour à la vie civile. Une nouvelle phase de son existence qui pourrait s'avérer aussi courte que vaine, nous apprend-on rapidement sous la forme d'un crachat de sang qui, on le sait si on a déjà regardé un film de gangsters, est une forme de condamnation à mort. Voici donc la situation qu'on vous propose au départ. La suite ? À vous de voir.
Fading Afternoon est un jeu qui vous laisse un sentiment de liberté initialement presque déroutant, particulièrement si c'est votre premier yeo. Baigné dans une musique eighties mélancolique, Seiji clope à la fenêtre de son hôtel miteux, traîne dans les rues, se frappe contre des voyous qui squattent le pachinko du coin ou passe de longues après-midi silencieuses au restaurant, sans but très précis. Il faut un petit moment avant de comprendre de quoi il en retourne, mais nous tenons là un jeu qui aborde, entre autres, le thème de l'ennui et de la vacuité.
La Rue Kitano
Fading Afternoon, c'est dans un premier temps quelques heures à ne pas du tout comprendre ce qu'il faut faire pour avancer l'intrigue dans une des nombreuses directions possibles. On comprend assez rapidement qu'il faut gagner des "points de respect" en se sapant correctement et en tabassant des adversaires. Mais il faut aussi gagner assez d'argent pour se nourrir, payer sa note d'hôtel ou investir dans davantage de confort. Ou juste passer de longues journées dans des endroits liés au passé de Seiji, pour qu'il puisse regagner des souvenirs qui sont autant de possibilités d'interactions ultérieures avec des personnages secondaires.
Et tout ça sans que ne nous soit jamais vraiment expliqué le pourquoi du comment, l'ordre de priorité des choses ou les conséquences de nos actions. Une fois cette pilule inhabituelle de minimalisme avalée, on peut commencer à s'amuser un peu : après tout, Fading Afternoon c'est comme la vie, on ne sait jamais à quoi une journée va ressembler avant de l'avoir vécue. En s'accrochant un peu, on finit par maîtriser la mécanique essentielle du jeu, à savoir son cycle jour/nuit.
Sans que cela soit jamais très clairement explicité, chaque action effectuée dans Fading Afternoon "coûte" du temps à Seiji, et finit par vous forcer à passer à la journée suivante. Chaque cycle vous pousse ainsi à prendre des décisions : une journée passée à glander au port ou à boire du whisky de manière mélancolique dans un bar classieux, c'est autant de petites avancées dans la connaissance que vous aurez du bonhomme… Et autant de temps perdu à ne pas gagner de l'argent ou à tabasser des lieutenants issus de clans adverses. Et plus le temps passe, plus les possibilités vous poussent à faire des choix cruciaux qui vont petit à petit vous orienter vers une des huit (et quelques) conclusions possibles. Ce sentiment de maîtriser l'environnement de Seiji est finalement assez grisant. On aurait aimé, en revanche, que tout ceci soit concrètement plus agréable à parcourir.
Press F to faire n'importe quoi
La proposition radicalement silencieuse et minimaliste de Fading Afternoon se retrouve hélas, un peu, dans son gameplay (et dans ses bugs, encore trop nombreux). Avec son implantation des boutons farfelue, ses menus contextuels (très) mal expliqués et sa gestion d'inventaire calamiteuse, on passe beaucoup, beaucoup trop de temps à pester contre les commandes. Et à involontairement allumer une cigarette alors qu'on cherchait à interagir avec une cabine d'essayage.
Un constat valable pour les nombreux combats de ce jeu, qui reste fondamentalement un beat them up, dans lequel une bonne partie de votre temps sera consacrée à coller des dérouillées à des vagues de dizaines d'ennemis sanguinaires. Des combats aux possibilités presque aussi riches que le reste des activités de Seiji : on peut parer, frapper avec les poings et les pieds, générer des combos, utiliser des armes ou des objets et même désarmer ses adversaires via des clés de bras complexes… On se rapproche quasiment d'une version pixel art du CQC de Metal gear Solid 3 dont l'exécution s'avèrerait pour le moins approximative. Là encore, la faute à des commandes bizarres, peu instinctives et qui ne répondent pas vraiment au doigt et à l’œil. Ajoutez de très réguliers bugs de collision, et vous obtenez des séquences parfois assez frustrantes et injustes.
Mais, pour peu qu'on aime ce style propre à yeo et qu'on ait envie de débloquer de nouveaux moments doux-amers sous forme de souvenirs éthérés ou de découvrir quel sera le prochain yakuza charismatique à se mettre en travers de notre chemin, on finit par s'y faire. Je ressors tout de même de cette expérience en faisant le constat que si Fading Afternoon est un triomphe esthétique et une proposition narrative des plus ambitieuses, ce n'est quand même pas un jeu vidéo très agréable à manipuler.
Fading Afternoon a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Non, Fading Afternoon n'est pas parfait, et loin de là. Trop sec dans sa présentation de ses mécaniques, mal fichu dans sa gestion des combats, plombé par une interface désagréable, il est hélas un peu cabossé de partout, à l'image de son protagoniste. Cependant, je crois n'avoir paradoxalement pas croisé de proposition aussi audacieuse et aussi ambitieuse depuis longtemps dans un jeu indépendant. Le studio fondé par yeo, il y a déjà six ans, a fait beaucoup de chemin depuis The Friends of Ringo Ishikawa et a désormais acquis une patte et un style absolument unique dans l'industrie. Un type de proposition qu'il faut à mon sens louer et encourager : ils sont désormais à quelques petites options d'accessibilité et de confort de vie de sortir de leur zone de chalandise et de conquérir le grand public.
Les + | Les - |
- L'originalité de la proposition | - Il reste beaucoup de bugs |
- Direction artistique et bande-son sublimes | - Commandes et interface confuses |
- Le sentiment de liberté finit par être grisant | - Minimaliste au point d'être peu accueillant |
- Rejouabilité impressionnante |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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