Scène : BatVador seule sur une balançoire façon sad Pablo Escobar. Non, mais je peux pas recommander ça.
Scène : BatVador le regard perdu dans l’infini d’une mer de nuages. Mais c’était quand même vraiment bien.
Scène : BatVador allongée par terre telle le meme du bonhomme qui pleure, allongée sur le dos par terre. Oui, mais à quoi bon rappeler ce qu’on sait déjà, le monde est déjà déprimant.
Scène : BatVador fumant une cigarette façon Portrait de Sylvia von Harden. Oui, mais il faut dénoncer, expliquer c’est important, c'est comme ça qu’on fait changer les choses.
Scène : Batvador qui se tient le visage façon le cri de Munch. On va tous mourir.
Comme on peut le constater après avoir joué à FACEMINER, je vais bien. Non, mais super, ça me peine que vous en doutiez vraiment. Non, mais si je vous jure. Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais avec FACEMINER, je n’avais même pas oublié ce que c’était. Juste, je ne sais plus ce que je me suis représenté en le demandant. Je pense que je m’attendais à quelque chose plus comme Orwell et moins à l’horreur existentielle d’un Universal Paperclips, mais tout va bien, je suis sortie pleine de joie de vivre de cette expérience.
De la mine d'or…
On commence par identifier des visages dans des sets d’image, pourquoi, aucune idée, mais ça rapporte de la moulah et vous avez un mindset d’entrepreneur et en ce début de late stage capitalism (le jeu se passe en 1999) c’est tout ce qui compte. Pendant qu’une voix robotique vous lit les messages qui arrivent dans votre boite mail, ceux-ci vous indiquent les améliorations auxquelles vous avez le droit et vous prodiguent des conseils pour améliorer votre productivité, vous commencez à automatiser votre affaire. Ce n’est pas de la triche, on vous y encourage, plus vous êtes efficace, plus vous gagnez de l’argent et c’est ce que vous voulez. C’est d’ailleurs le son de cloche des mails que vous recevez des autres faceminers. Oui bien sûr, des fois, vous vous demandez à quoi ça sert, mais très vite, avec l’aide d’un petit panneau solaire pour réduire la facture d’électricité et d’un nouveau processeur plus puissant, vous pouvez augmenter le nombre de programmes qui identifient les photos à votre place puis augmenter la qualité des identifications pour limiter les erreurs. Et votre compte en banque se remplume. Et puis vous montez en grade, les autres faceminers aussi, et tout le monde vante les mérites de travailler de chez soi et de s’en mettre plein les poches.

Bien sûr, vous voulez rester compétitif, alors, vous investissez dans un groupe électrogène et dans un circuit d’eau pour améliorer le refroidissement de la machine et éviter de payer une fortune en eau et électricité. Vous améliorez ensuite la précision du dispositif et puis vous ajoutez encore quelques programmes pour augmenter la rapidité de traitement des données. Évidemment, il va falloir augmenter la mémoire et l’espace de stockage de l’ordinateur, mais ça va, vous gagnez bien et vite et vous ne dépensez presque rien, puisqu’on est autosuffisant. Si les mails envoyés par votre overlord ne changent pas de ton et vous incitent à rester toujours plus compétitif avec des nouveaux programmes et des nouvelles infrastructures, les mails de vos camarades commencent à changer de ton. Dans la masse des futurs posteurs assidus sur LinkedIn, certains commencent à se plaindre de l’isolation provoquée par cet entrepreneuriat moderne. Certains n’ont pas vu le dehors puis un bon moment. Mais bon, vous avez toujours plus d’argent et vous pouvez investir, pour avoir encore plus d’argent, pour investir encore plus et monter en grade et avoir encore plus d’argent. Au bout d’un moment, vous siphonnez l’électricité et le processeur d’autres faceminers et vous trouvez ça gonflé quand on vous rend la pareille.
Et puis l’entreprise vous rappelle que les mails doivent rester strictement professionnels, ça ne doit pas servir à connecter en dehors du travail, ça fait baisser la productivité. C’est dommage, ces meetups avaient l’air fun. S'ensuit une période de silence où vous continuez de vous enrichir, mais l’équilibre devient plus difficile à trouver et les sommes à investir sont toujours plus importantes, mais qu’à cela ne tienne, vous avez déjà plus d’un million en banque et bientôt, ce sera deux. Mais voilà qu’après un silence relatif, on recommence à se demander à quoi ça sert et les mails reprennent, un journaliste veut des infos et une guerre s’engage entre les winners du système qui ne jurent que par la croissance et s’en prennent aux tire-au-flanc qui se contentent du minimum et aux alarmistes avec leurs inquiétudes climatiques. Oui, la température extérieure augmente et il faut toujours plus d’eau et d’électricité pour refroidir votre machine et analyser toujours plus de données, mais qu’à cela ne tienne, vous pouvez toujours siphonner les ressources des autres. Après tout, personne n’a le droit d’empêcher votre ascension fulgurante. Set d'images après set d’images, mail après mail, cette fuite en avant s’emballe, plus rien ne peut l’arrêter. Je ne vous raconte pas la fin, mais vous n’avez pas vraiment besoin de moi pour imaginer ce qui se passe de toute façon.

… au désastre écologique
J’ai vu de nombreuses vidéos sur les cryptomonnaies, leur fonctionnement. J’ai été en autoentreprise et même si j’y ai trouvé mon compte, j'en reconnais le côté aliénant. J’ai consommé des quantités de contenu sur le capitalisme et son fonctionnement et je crois pourtant que je n’ai rien trouvé qui incarne de façon aussi simple, implacable et absolument déprimante l’absurdité de la poursuite de la croissance infinie et son coût réel. Au bout d’un moment, on se rend bien compte que cet argent ne sert à rien d’autre qu’à en gagner plus. Les seules choses que l’on peut acheter sont liées au travail, rien d’autre n’existe. Ça aurait été suffisant pour me plonger dans un abime de déprime, mais il faut rajouter cette petite touche tristement réaliste qu’apportent les mails, notamment des autres faceminers. Parce qu’il est facile de se dire que lorsque tout le monde aura réalisé ce qui se passe, les gens vont arrêter, car personne ne veut ça. Mais c’est faux. Bien sûr, les mails montrent qu’il y a deux camps, ceux qui ne croient pas à la crise et encore ceux-là peut-être pourra-t-on en faire quelque chose, mais les autres, ceux qui voient très bien la situation telle qu’elle est et n’en ont absolument rien à cirer, aiguisant joyeusement la hache pour couper la branche sur laquelle ils sont assis en échange de gratification immédiate, tout imbus qu’ils sont de la certitude d’être spéciaux et importants et les vrais winners du système. Et puis, moi-même, je me suis facilement fait prendre dans cet engrenage. J'avais du mal à faire des pauses dans ma session de jeu. Alors même que je savais déjà où ça allait et que c'était idiot, mais bon ça va, c'est qu'un jeu…

J’ai à la fois adoré et haï FACEMINER, avec son système simple penchant globalement du côté de l’idle game narratif avec une pincée de stress. J’ai trouvé ça malin, j’ai trouvé ça bien fait, j’ai trouvé que ça illustrait bien l’idiotie du minage de données et en même temps ça m’a rappelé des souvenirs d’isolation de mon expérience en autoentreprise et de relations un peu déshumanisantes avec les entreprises pour lesquels je travaillais. Ça m’a renvoyé en pleine face la crise écologique et la situation actuelle que j’aurais peut-être aimé oublier quelques heures. Et puis ça m’a fait me demander, est-ce que ça sert à quelque chose ? Peut-être, parce que ça peut permettre d’illustrer certains concepts de manière beaucoup plus intuitive que ne peuvent le faire les vidéos ou les articles, mais est-ce qu’à part un public de convaincu quelqu’un d’autre y jouera ? Même, pire, ce public non acquis y trouverait-il vraiment à redire ou trouvera-t-il qu’en faisant attention ça va, c'est pas si grave ?
Ce n’est pas que je n’ai pas l’habitude des jeux sur l’absurdité du capitalisme et les gens déprimés, c’est globalement mon créneau sur TPP, mais FACEMINER est arrivé, je pense, à un moment où il est vraiment impactant, où il tape là où ça fait mal tout en se reposant sur des principes simples et honnêtement peu révolutionnaires (mais efficaces). Ceci dit, tout doucement, je commence à penser que si je suis très contente qu’on illustre ce qui ne va pas, j’aimerais aussi qu’on imagine des alternatives, des solutions. C’est bien de dire qu’on va droit dans le mur, mais peut-être qu’on pourrait imaginer aussi comment éviter ledit mur.

FACEMINER a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Je ne saurais pas dire si FACEMINER fera autant d’effet à la prochaine personne qui y jouera ou si c’est une conjonction de choses, qui fait que ça a tapé juste, mais j’ai envie de vous conseiller de jouer à FACEMINER autant que j’ai envie de vous dire que vous savez déjà où ça va et d’acheter du chocolat et de regarder votre film doudou à la place. Je ne sais pas, c'est à vous de voir, en tout cas, c'est un modèle de simplicité et d’efficacité et c’est une bonne chose qu’il existe.
Les + | Les - |
- Illustre parfaitement son propos | - Très déprimant |
- Très efficace | - Pas de version française |
- Un côté idle game très satisfaisant |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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