F12, F12, F12. Que ce soit pour une critique – comme dans le cas présent – ou pas, j'ai toujours l'habitude de récolter un paquet de photos de mes errances virtuelles. Sans mitrailler comme un fou non plus, non, simplement capturer un cadrage qui fait mouche ou un moment cocasse. On pourrait appeler ça le syndrome du touriste, qui prolonge la pratique du monde réel. Mais dans Exographer, la photographie fait partie intégrante du jeu. C'est même la toute première mécanique qui nous est donnée et elle a un sens différent : celle de la curiosité scientifique.
Photographier, c'est d'abord sauvegarder le moment présent, et donc la partie en termes vidéoludiques. C'est aussi révéler des indices, des expériences que l'on ne voit pas au premier regard. Le petit exographe que l'on dirige a pourtant les yeux grand ouverts en permanence. Déposé sur un monde en ruine, il va devoir explorer les installations scientifiques d'une civilisation disparue – un ressort classique, mais toujours efficace. Dans ce décor en 2D, il va ainsi mener l'enquête en examinant de bien curieuses machines, à la recherche de mystères enfouis.
Assieds-toi, photon parle
Reposez donc cette manette, cher collègue. Avant d'entrer en salle de TP, il nous faut faire un petit cours magistral pour situer le contexte. Laissez-moi vous présenter Raphaël Granier de Cassagnac, directeur de recherche au CNRS en physique des particules le jour (avec un nom pareil, ça ne s'invente pas) et écrivain de science-fiction la nuit, à moins que ça ne soit le contraire. Fasciné par les passerelles entre fiction et science, il obtient en 2019 une chaire "Science et Jeu vidéo" à l'École Polytechnique avec le mécénat d'Ubisoft, qui débouche entre autres sur le développement d'Exographer.
Au-delà des noms qui claquent (CNRS ! Polytechnique ! Ubi… ah… enfin des noms quoi), retenons que l'environnement académique a clairement été décisif pour le développement. La création d'Exographer a été une suite d'allers-retours entre l'équipe du design, dirigée par Pierre-Alban Ferrer, et la validation scientifique du projet. Le scénario principal tourne en particulier autour de la (re)découverte des particules élémentaires du modèle standard. Si les fermions ne servent qu'à ouvrir des portes dans la progression, les quatre bosons principaux sont associés à de nouvelles capacités : le photon, qui n'est une particule que quand ça l'arrange, permet de traverser certaines matières ; le gluon, responsable de l'interaction forte, d'où son nom, permet de coller à des parois ; et ainsi de suite.
Trajectoires et collisions
Finir Exographer vous rapportera-t-il suffisamment de crédits ECTS pour boucler votre deuxième année de master en physique théorique ? Ne rêvez pas. Depuis les exercices géographiques de Carmen Sandiego (1985 tout de même !), on sait que la finalité première d'un jeu vidéo commercial n'est jamais pédagogique. Ça ne fonctionne tout simplement pas. En témoigne d'ailleurs la devise du développeur SciFunGames : "Science for all, fun above all", l'amusement d'abord. On n'apprend pas : on s'immerge dans une atmosphère savante, et c'est très différent. Cela n'empêche pas, par contre, de construire un jeu s'inspirant de connaissances et qui soit valide au point de vue scientifique. Du moins pour une partie : l'aspect fictionnel, par l'intermédiaire des "matières absurdes" que l'on traverse tout au long du jeu, permet de déborder sans empiéter sur la crédibilité de l'ensemble.
Les inspirations scientifiques sont parfois simplement graphiques : un niveau reprend par exemple l'imagerie de l'installation japonaise de Super-Kamiokande, juste parce que c'est joli. D'autres passages mettent en scène d'impressionnantes machines inspirées de celles, réelles, qui provoquent des collisions de particules au CERN. Ces échanges de particules forment justement la partie centrale des énigmes et reprennent la notation des diagrammes de Feyman. Chaque expérience nécessite de retrouver des motifs dans un graphe complexe, en faisant varier divers paramètres d'orientation et de comportement des trajectoires.
L'essentiel est invisible pour les yeux
Tout ceci est bien beau, mais est-ce que cela fait d'Exographer un bon jeu ? Réponse courte : oui. Réponse plus nuancée : peut-on vraiment faire la part des choses ? Essayons : dans la catégorie des puzzle-plateformers, Exographer n'est certes pas le plus original, ni le plus beau. Certaines mécaniques sentent un peu le déjà-vu (marcher sur les murs), d'autres sont un peu plus originales (échanger les matières). L'ensemble frôle le metroidvania sans vraiment y rentrer, préférant une progression plus linéaire, portée par l'excellente bande-son rétro de Yann Van Der Cruyssen (compositeur pour Stray)
Si le décor était inventé de toutes pièces, comme pour un Ultros coloré, on pourrait attribuer à Exographer un pouce mollement levé vers le haut. Pas trop lourd, pas incroyable non plus, plutôt compact, avec peut-être un bémol sur les phases d'analyses de particules qui sont un poil répétitives – on peut toutefois activer un mode qui les rend un peu moins casse-pieds, et il n'y en a pas tant que ça. Mais voilà : Exographer bénéficie d'un contexte qui lui donne un petit plus... pour ceux qui s'y intéressent un minimum.
Au final, s'il faut faire un reproche, c'est curieusement que le jeu n'est pas assez pédagogique. Une grande quantité d'explications que vous venez de lire ici ne sont dues qu'à des recherches personnelles et ne sont pas explicitées en jeu. Aucun lien vers les diagrammes de Feyman, rien sur les machines du CERN, à moins d'aller activement consulter le devlog sur le site de SciFunGames. On peut comprendre que la partie scientifique soit mise en retrait s'il n'y a au final pas tellement de rapport entre mécaniques du jeu et mécanique des particules dans la vraie vie (enfin, dans la théorie abstraite de la vraie physique, m'enfin, vous voyez). Une telle timidité est tout de même étonnante ; personnellement, je suis content d'avoir creusé un peu pour faire les connexions, mais tous les joueurs ne saisiront pas l'ensemble des clins d'œil, à moins de donner quelques pointeurs un peu plus directs. Et ce serait dommage, parce que le jeu prend tout son sel lorsque l'on comprend à quoi il fait allusion.
Exographer a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Si vous aussi avez des étoiles dans les yeux quand on vous parle de quarks et que vous avez déjà entendu parler du boson de Higgs, les références d'Exographer devraient au moins vous faire sourire. Dans le cas contraire, il n'est pas certain que l'expérience vous réoriente immédiatement vers une thèse en physique des particules. À défaut, il reste un plateformer amusant, bien ficelé et pas trop long. Si le sujet vous intéresse, ne manquez pas ce podcast de France Culture sur les rapports du jeu avec la recherche.
Les + | Les - |
- Le contexte scientifique | - Pas extrêmement original ni fluide |
- Un plateformer compact et efficace | - Enigmes un peu répétitives |
- La bande-son douce | - Pourquoi si peu explicite ? |
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