Quatre ans jour pour jour après la sortie du premier opus, Foreign Gnomes est de retour avec la suite d’Everhood, l’espèce de rejeton musical d’Undertale. Petite précision d’ailleurs avant d’attaquer le vif du sujet : si narrativement vous ne raterez presque rien en vous lançant dans Everhood 2 sans avoir joué au premier, ce n’est pas le cas de ses mécaniques. Avertissement donc, pour pouvoir parler convenablement de sa suite, je vais devoir spoiler un twist de gameplay du premier jeu, que je vous encourage de toute manière très fort à tester si vous êtes sensibles aux jeux musicaux bizarres, métas et psychédéliques.
Car la désormais série Everhood repose sur trois piliers assez solides : une narration et écriture postmodernes et métas, une bande-son et esthétique qui mettent tous les potards à fond, et un gameplay minimaliste et radical. Et c’est peu dire qu’Everhood 2 reprend entièrement la formule de son prédécesseur, en poussant plus loin des curseurs que l’on pensait déjà au maximum.
These go to eleven
Comme je le disais dans mon avertissement, il va falloir parler du gameplay d’Everhood avant d’aborder celui du second. La mécanique centrale, et la philosophie de gameplay qui se cache derrière, est si radicale qu’il me semble très déconseillé de se lancer dans l’aventure sans savoir où l’on met les pieds. Everhood premier du nom, donc, est une sorte de boss rush structuré en deux parties très distinctes. Dans sa première moitié, chaque combat consiste à éviter des lignes de projectiles envoyées par l’adversaire, et d’ainsi survivre jusqu’à la fin de la musique. Ce n’est pas franchement un jeu de rythme, plutôt un jeu d’esquive, de réflexes et d’apprentissage de patterns. Puis, le jeu dévoile un twist de gameplay, qui permet d’absorber certains projectiles pour les renvoyer aux ennemis. On reparcourt ainsi le jeu pour cette fois-ci assassiner tous les personnages auxquels on s’était confronté pacifiquement dans la première partie de l’aventure. Je n’irai pas par quatre chemins : Everhood 2 reprend très précisément à ce stade dès le tutoriel, à la fois en termes de mécanique et de difficulté. J’ai rarement vu une suite de jeu considérer à ce point que l’on a battu le précédent avec brio et que l’on a déjà tous les réflexes dans les doigts et le gameplay en tête. Y aller sans se mouiller la nuque au préalable, c’est se confronter à un mur de difficulté quasi-immédiat et des skill checks impardonnables très tôt dans le jeu. Le titre reprend ainsi cette logique d’esquive et de renvoi des projectiles, avec cependant une évolution du concept.

Les ennemis balancent toujours des lignes de couleurs différentes, on peut toujours les esquiver, sauter au-dessus, et, pour infliger des dégâts, il faudra surtout absorber plusieurs lignes de même couleur d’affilé et ce, sans prendre de dégâts ou aspirer une couleur différente. Le premier changement, c’est que l’on remplit désormais une jauge, avec plusieurs paliers, dont les effets vont crescendo (et varient selon les armes et objets équipés). Il est ainsi recommandé (voire parfois obligatoire), de faire grimper la jauge un maximum, et donc de parvenir à n’absorber qu’un seul type de couleurs sans se faire toucher pendant suffisamment de temps pour avoir une belle jauge bien remplie qui inflige un max de dégâts et/ou brise les boucliers. C’est à la fois une idée brillante, puisqu’elle exploite à merveille les deux aspects du premier jeu (l’esquive et le renvoi des attaques), tout en les poussant un peu plus loin dès le tutoriel du jeu, et en même temps facilement frustrante, puisqu’elle fait reposer tous les combats sur un équilibre risque/récompense très très difficile à tenir et à estimer. Un bête saut loupé et ce sont des combos de 40 ou plus qui s’effondrent sous nos yeux larmoyants. Une attaque lancée trop tôt, et c'est toute une jauge à re-remplir, voire un combat à recommencer. D’autant que, vous l’avez probablement constaté en regardant les captures d’écran, Everhood 2 est un jeu particulièrement chargé visuellement et esthétiquement, et il est parfois difficile de distinguer tout ce qu’il s’y passe. Sans compter que le jeu comporte une méta (un peu) cachée, qui donne aux combats une tout autre dimension.
En effet, si le jeu ne nous l’indique jamais, un rapide coup d’œil aux succès nous fait immédiatement comprendre que tous les ennemis, boss compris, peuvent être battus en un seul coup. C'est-à-dire en remplissant suffisamment la jauge pour asséner plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de points de dégâts lors de notre unique attaque. L’exercice varie de plutôt faisable à assez difficile sur les mobs de base, et devient évidemment très très compliqué une fois face aux boss. Ce n’est fort heureusement jamais obligatoire (même si je soupçonne que du contenu caché se trouve derrière cet aspect, on verra probablement ça dans quelques semaines, quand des gens plus forts que moi l’auront essayé et streamé), mais une fois au courant de l’existence de ces succès, je dois avouer avoir fait tout mon possible pour remplir ce diabolique objectif. Et je recommande assez fort de le faire, ou au moins d’essayer au maximum, car cet exercice m’a fait appréhender le mapping des niveaux de manière vraiment très différente, et ajoute ainsi un aspect stratégique au pur jeu de réflexes. Rien que pour ces combats frénétiques, aux effets visuels over the top accompagnés d’une BO qui empile les bangers, Everhood 2 m’a largement séduit.

Postmodern Love
Mais Everhood, c'est aussi un héritier du post-modernisme méta d'Undertale, qui partage d'ailleurs avec lui la série Mother comme source d'inspiration. Et, sur ce point aussi, Everhood 2 passe à la vitesse supérieure. J'appréhende souvent ce genre d'univers et d'écritures avec beaucoup de prudence, car l'approche méta a bien trop tendance à se contenter de répliques et séquences edgy et prétentieuses, tout en se trouvant beaucoup plus malins qu'ils ne le sont vraiment. L'exercice est périlleux, et les risques de chutes sont nombreux. Je trouve cependant qu'Everhood 2 s'en sort assez bien sur ce créneau.
Attention tout de même, Everhood 2 reste un jeu de petits malins, l'écriture entière repose sur un constant "haha, je t'ai bien eu, tu l'avais pas vu venir !", jouant avec les codes et les attentes d'une structure et narration classiques de jeu vidéo. Mais, là où ça fonctionne sur moi, c'est que le titre de Foreign Gnomes n'a jamais l'air de péter plus haut que son cul. Tout ce jeu sur les normes et les ficelles attendues n'est pas là pour adopter une posture de "ça fait réfléchir", ni pour prendre de haut son public ou se draper dans un cynisme ou une ironie d'edgelord. Everhood 2 est surtout un formidable exercice de style qui part dans tous les sens, ne semble presque rien s'interdire et multiplie ainsi les tons, esthétiques, angles de vue, procédés de mise en scène, dans un énorme et généreux gloubi-boulga d'influences, de références et d'expérimentations abstraites et psychédéliques. Le tout servi par un humour tantôt très potache et bas du front, tantôt très référencé, mais le plus souvent complètement absurde et inattendu. Et malgré le côté épuisant et submergeant de l'expérience, je ne peux m'empêcher de respecter et adorer cette énergie entièrement tournée vers le shitpost décomplexé servi avec la plus grande sincérité. Je pense que les concepteurs d'Everhood 2 se font beaucoup rire, et je suis ravi d'assister et participer à ce joyeux foutoir. Je n'ai vraiment pas eu l'impression que ça me racontait grand-chose, et le résultat pourra peut-être paraitre vain et un peu vide de propos général ou de grande ligne directrice, mais je me suis tellement amusé en découvrant les 1001 idées qui constellent le titre que j'ai du mal à lui en tenir rigueur.

Et l'exercice ne s'arrête pas à la narration, puisque la structure entière du jeu déborde dans tous les sens, rebattant les objectifs et les enjeux en permanence, nous faisant constamment douter des personnages, de notre mission, du monde qui nous entoure. C'est un peu douloureux pour un complétionniste comme moi d'avoir l'impression de rater des trucs, de ne pas savoir si on vient de passer un embranchement ou si l'action que l'on vient d'effectuer était obligatoire, car Everhood 2 s'amuse énormément avec l'articulation de ses séquences, et brouille volontairement notre perception. Je le soupçonne d'être finalement plus linéaire qu'il semble être, mais l'illusion fonctionne suffisamment pour distiller le doute et nous laisser se balader de scène en scène. J'adresserais peut-être plus quelques réserves sur un end game très redondant et qui essore plus que de raison certaines blagues et affrontements. Je comprends l'idée derrière ce procédé, mais j'aurais aimé que cette ultime pirouette dure moins longtemps. Les blagues les plus courtes sont les meilleures, et Everhood 2 tire peut-être un tout petit peu trop sur la corde dans son final. Rien qui ne me ferait regretter la douzaine d'heures frénétiques et hilarantes qui le précèdent pour autant.

Everhood 2 a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch.
Everhood 2 est radical. Ses couleurs, animations et flashes éclatent les yeux comme jamais, sa difficulté est assez impardonnable et toute sa structure est un long exercice de style expérimental et psychédélique, pour un résultat aussi drôle et grisant qu'épuisant. Une telle radicalité est forcément clivante, et j'ai beau avoir adoré explorer ses multiples univers, rencontrer ses dizaines de personnages débiles et bizarres, traverser ses centaines de situations absurdes et me cramer la vue au point d'avoir le défilement de l'écran imprimé dans la rétine, je ne peux décemment pas le recommander à tout le monde, tout en ayant terriblement envie de le faire.
Les + | Les - |
- Le système de combat, malin et profond... | - ... mais parfois un peu frustrant |
- L'OST empile les bangers | - Un rythme un peu moins maitrisé sur la fin |
- Extrêmement drôle et créatif | - Prévoyez les gouttes pour les yeux |
- Pousse encore plus loin tous les potards du premier |

Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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