Largement inspiré des mécaniques de la série Persona, Eternights est un beat them all mâtiné de dating sim qui vous propose d'essayer de trouver l'amour au beau milieu de l'apocalypse.
Parfois, il faut savoir dépasser les apparences. Tous les trailers d'Eternights suggéraient que le jeune Studio Sai avait "juste" pondu une version un peu moche et raide d'un JRPG d'Atlus aux décors vides et bleuâtres. Et, ô absence de surprise, le jeu qui m'est parvenu il y a quelques jours est exactement cela. Ce n'est pas très beau, les mécaniques de visual novel ont globalement été piquées au catalogue de l'éditeur japonais, tout ce petit monde a une apparence de Playmobil pour otakus en train de jouer à se faire peur... Eternights EST, formellement, une sorte de sous-Persona. Sauf que, de manière tout à fait surprenante, il parvient très rapidement à se trouver une véritable identité, à coups de scénario inventif, de casting brillant et d'un système de combat petit, mais costaud. Il est certes un peu à l'étroit dans son manque de moyens évident, mais constitue une excellente surprise de cette rentrée très chargée en RPG.
Pour la fin du monde, pas de sous-vêtements
Je dois dire qu'une de mes plus grandes joies en lançant Eternights a été de découvrir que l'on y incarne canoniquement un véritable crétin. Le protagoniste, puceau frustré passant ses journées à glander devant la télé ou sur des applications de rencontre avec son meilleur ami, est un imbécile formidablement bien écrit. On lui coupe le bras par magie ? Il fait pousser un tentacule libidineux à la place. On lui demande de matérialiser un parachute ? C'est un soutien-gorge géant. Une fille lui demande d'aller chercher des "produits féminins" ? Il pense qu'il s'agit de peluches. Complètement immature, il impose un ton très particulier qui sera fort utile pendant les dix à douze heures que durera l'aventure : une alternance assez frénétique de comédie déviante et de tragédie sanglante.
Car oui, seconde surprise, Eternights ne lésine pas sur la tragédie, faisant passer le scénario d'un Persona moyen pour une comptine sur le thème du printemps. Dans la première heure de jeu, notre héros assiste à la fin du monde, à la diffusion d'un virus transformant les survivants en créatures difformes et se retrouve enfermé dans un abri antiatomique sans espoir clair de revoir un jour la lumière du soleil. Un des premiers personnages amicaux rencontrés en dehors du bunker se fera ainsi rapidement exploser la cervelle à coups de poings par un policier à tête de vagin monstrueux. Bienvenue dans un des RPG au setting le plus stressant depuis un bon moment.
Après avoir rapidement recruté quelques compagnons au beau milieu de cet enfer, vous trouvez refuge dans un train futuriste, dans lequel on vous annonce coup sur coup que la planète va être détruite dans quelques jours si vous n'arrivez pas à désactiver des bidules situés au beau milieu de donjons remplis à ras bord d'aberrations tueuses. Pour franchir chaque étape, vous n'avez à chaque fois que quelques jours devant vous. Eternights déploie alors ce qui s'apparente effectivement à une structure "persona-esque" : vous devez organiser vos journées pour pouvoir à la fois renforcer vos liens avec votre troupe et pour progresser dans un donjon de plus en plus redoutable.
Donjons et Draguons
L'atout majeur et incontestable d'Eternights, c'est que ses développeurs ont visiblement eu pleinement conscience des limites de leurs moyens. Comment proposer une expérience évoquant les grands noms du JRPG moderne sans avoir l'impression de faire cheap ou vide ? En ramassant au maximum l'expérience. Eternights est ainsi un véritable condensé de jeu de rôle, au rythme implacable.
Dans la série Persona, vous avez généralement un mois entre chaque donjon pour aller en cours, flirter, participer à des activités annexes ou en apprendre davantage sur vos compagnons. Ici, pas le temps de niaiser : tous les quelques cycles jour/nuit, vous devez affronter le prochain gros obstacle ou mourir. Vous avez donc un nombre d'actions très limité à chaque chapitre, ce qui place tous les personnages dans un sentiment d'urgence assez haletant. Les amourettes naissent vite, chaque moment est précieux, et les rares moments de détente sont terriblement éphémères.
C'est heureux. Avec ses personnages qui évoluent à cent à l'heure, Eternights est un petit bijou insoupçonné d'écriture. Les trahisons et les tragédies fusent, les traumatismes s'enchaînent et chaque victoire semble immédiatement balayée par l'urgence suivante, sans jamais se départir de ce mélange d'annihilation imminente et de rares moments plus légers grappillés ici ou là.
Un sentiment d'autant plus présent que les donjons eux-mêmes ont été conçus à l'économie, ce qui est ici un gage de grande efficacité. Il s'agit davantage d'un enchaînement d'arènes que de phases d'exploration à proprement parler. Le système de combat y est simple mais efficace, quelque part entre Bayonetta et Sekiro : on frappe, on esquive, on fait monter des barres de coups spéciaux et on les déclenche au bon moment pour casser des barres de bouclier des adversaires les plus résistants.
Des rails un peu étroits
J'ai beau être emphatique, n'allez pas non plus en déduire qu'Eternights est un jeu parfait, il est fort loin de cela. Il dépasse de très loin ses promesses, ce qui est déjà formidable, mais il faut aussi reconnaitre qu'il multiplie les cache-misère et les petites erreurs qui lui donnent par moments un aspect assez cabossé. On passera d'ailleurs sur l'aspect graphique, car, c'est évident, il s'agit d'un jeu plutôt laid. Il compense néanmoins ses modèles 3D grossiers et ses décors basiques par des scènes cinématiques animées et des séquences de flashback sous forme d'illustrations crayonnées plutôt jolies. On s'en contente, c'est juste assez pour nous plonger dans l'intrigue aux moments clés.
On a plus de mal à pardonner les problèmes de caméra qui sont parfois plus difficiles à surmonter que les boss les plus coriaces du jeu. Ou encore la traduction de qualité aléatoire donnant l'impression que les adaptateurs n'avaient aucune forme de contexte. Ou bien encore les quelques grosses incohérences scénaristiques qui pointent vers la fin de l'aventure, comme si les scénaristes s'étaient soudainement trouvés un peu à l'étroit dans leur récit très compact. Idem pour les séquences dans lesquelles le Studio Sai n'a pas fait confiance à son propre gameplay et a voulu à toute force y insérer des séquences alternatives.
En soi, je n'ai rien contre l'apparition impromptue de jeux de danse, de puzzles à résoudre ou de séquences de course-poursuite dans des jeux dont ce n'est pas le genre principal. Mais il faut aussi reconnaitre que c'est rarement une réussite dans un jeu dont le moteur n'a ostensiblement pas été conçu pour cela. Dans le cas d'Eternights, cela se traduit à chaque donjon par des moments relativement pénibles. Courses-poursuites dont les masques de collision sont incompréhensibles, mini-jeux mal calibrés et répétitifs pour gagner un point de statistique quelconque ou encore séquence d'infiltration dysfonctionnelle : les grands classiques du genre sont là. Je n'avais pas forcément besoin d'eux pour passer un bon moment.
Eternights a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5.
Avec Eternights, le Studio Sai m'a complètement pris de court. Je m'attendais à m'ennuyer, et j'ai adoré suivre l'épopée désespérée de cette poignée de survivants dans un monde au bord du gouffre. Le jeu ne lésine ni sur les séquences bouleversantes, ni sur les moments d'aventure épique, et arrive à faire tenir le tout dans une durée de vie raisonnable et cohérente avec ce qu'il raconte. J'en ressors simplement avec l'impression que tous les petits défauts du jeu proviennent du fait que le studio aurait aimé en faire beaucoup plus, et n'a pas tout à fait pu aller au bout de ses ambitions. J'espère pour eux qu'ils seront à même de le faire dans une seconde production encore plus audacieuse.
Les + | Les - |
- Scénario haletant et tragique | - Oui, bon, c'est moche |
- Personnages attachants | - La caméra, systématiquement aux fraises |
- Système de combat basique mais super efficace | - Les mini jeux et autres séquences d'infiltration, assez ratés |
- Durée de vie parfaite pour ce qu'il propose | - La traduction française n'a pas toujours beaucoup de sens |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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