Annoncé quasi en même temps que l’intention de rachat d’Activision Blizzard par Microsoft, End of Lines, nouveau VN des talentueux Bordelais de Nova-box, a suivi cette logique de passer totalement inaperçu, en sortant dans une période complètement bouchée, coincé au milieu de Tears of the Kingdom, Diablo IV et autres Final Fantasy XVI. Ce qui est plutôt cohérent avec son propos et le reste des signaux et messages d’alerte écologique.
Hé oui, exit les voyages temporels, l’industrie musicale et les disques maudits, le nouveau titre de Nova-box nous met cette fois-ci aux commandes d’un petit groupe de survivants dans un monde post-apo dramatiquement crédible. Pas de zombies ou de guerre nucléaire : dans End of Lines, la catastrophe qui a conduit à l’effondrement de la société telle qu’on la connaît est d’ordre climatique, une thématique on ne peut plus actuelle et traitée de manière extrêmement juste et subtile par le studio.
Pas de zombies, mais +4°C
Pour la faire très simple, End of Lines, c’est le The Walking Dead de Telltale, mais en remplaçant les zombies par le réchauffement climatique. Le résultat est percutant : la disparition des oiseaux, poissons, insectes, la montée des eaux, les feux de forêt, les pénuries, l’augmentation de la température ; tout ceci est bien plus terrifiant, bien plus concret que n’importe quelle horde d’infectés. C’est aussi assez casse-gueule, car vouloir narrer ce genre de fresques via le prisme de l’écologie et du réchauffement climatique pourrait réduire ces sujets pourtant capitaux et urgents à un simple prétexte scénaristique. Un travers que Nova-box évite avec succès.
Le choix de la menace d’une catastrophe climatique comme outil narratif pour un récit basé sur le drame et la survie est d’ailleurs très intéressant. Il est assez commun que les œuvres culturelles dites de genre soient un bon moyen de prendre la température des sujets de société et des angoisses du moment. Pas très étonnant, donc, de voir fleurir du post-apo à ambiance guerre nucléaire ou de la science-fiction anticommuniste dans le bloc de l’Ouest durant la guerre froide, des œuvres rejetant la technologie au profit de la nature dans un Japon traumatisé par les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, ou des récits d’invasions de zombies dépossédés de leur identité et libre arbitre en plein essor de l’ultralibéralisme. Et si la prise de décisions politiques radicales n’est malheureusement pas au programme sur le plan de l’écologie – bien au contraire – et que le sujet est encore trop peu traité sérieusement dans la plupart des sphères médiatiques, l’urgence de la situation est plus que perceptible, et l’éco-anxiété gagne de plus en plus de monde, à commencer par les plus jeunes générations.
Et c’est de ça dont parle le plus End of Lines, notamment via de longs flashbacks ou séquences oniriques que vit Camille, un des protagonistes du titre. Le meilleur exemple est son souvenir et son ressenti très conflictuels vis-à-vis de ses parents. Camille leur reproche une inconscience et un déni criminels (avoir fait des enfants alors que la catastrophe s’annonçait, leurs habitudes de consommation), tout en reconnaissant avec fatalisme que leurs petits gestes mis en place au fur et à mesure de leur prise de conscience sur le sujet étaient complètement inutiles : sans mesures drastiques des gouvernements et industriels, le petit jardin de son père pour sauver les abeilles n’a évidemment rien sauvé du tout. Nova-box tient ainsi un exercice d’équilibriste remarquable, et évite la leçon de morale à base de responsabilité individuelle ou de cette saleté de colibri, au profit d’une critique plus globale et plus juste des économies et politiques capitalistes, tout en regrettant légitimement une certaine passivité et un certain déni de la part des populations.
Et à la fin, on meurt
La question qui me taraude cependant face à ce genre d’œuvres basées sur des thématiques lourdes et qui font office de signaux d’alarme, c’est finalement : à quoi bon ? Il ne s’agit en aucun cas d’une critique envers Nova-box et End of Lines, le jeu est excellent et traite avec soin d’un sujet compliqué, montre des conséquences tout à fait crédibles et choquantes du réchauffement climatique, et le studio combat probablement ses propres angoisses avec les armes dont il dispose. Mais, comme le père de Camille, qui, bien que de bonne volonté, n’aura eu aucun impact sur la catastrophe à venir, Nova-box et son jeu ne changeront pas la donne. Et je pense qu’aucune œuvre ne le pourra. Malgré ses récompenses et son succès critique Parasite n’a, à ma connaissance, pas fait tomber ni même trembler nos sociétés inégalitaires, pas plus que EO n’a rendu le monde végan.
Alors oui, c’est une œuvre de plus à traiter de la question, c'est toujours ça de pris. Peut-être qu’en la mettant entre suffisamment de mains, elle fera naître des vocations pour en produire encore plus, ou motivera des personnes déjà sensibilisées à sauter le cap de la lutte écologiste. Après tout, le film Babe, à son époque, a bien déclenché une vague de végétarisme parmi son public. Mais Babe, c’était en 95, et on ne peut pas dire que notre production de viande et produits à base d'animaux se soit franchement calmée… Peut-être aussi que cette œuvre, comme d’autres avant, ouvrira le débat dans certains cercles, ou pourra servir de support pour traiter de la question. Tout cela est bien et n'est ni à négliger ni à mépriser, mais comme d’habitude, ce n’est pas assez. Pas pour des questions de qualité, de portée, de public ou de moyens. Mais la balle n’est et n’a jamais été dans notre camp, et à moins de révolutions écologistes à travers le monde ou de décisions et actions immédiates de grande ampleur, on pourra créer et consommer autant d’œuvres écolos qu’on le voudra, prendre toutes les résolutions individuelles qu’on pourra, on continuera d’avancer vers le mur. Pas que cela doive nous empêcher de les effectuer, ces petits gestes, ni de produire ces œuvres, ça reste mieux que de l’inaction ou pire, des dégradations conscientes ou volontaires. Mais c’est tout ce qu’ils resteront, des petits gestes.
L'ambiance est plombée, mais avec style
Remontons-nous un poil le moral : End of Lines n’est pas qu’un pamphlet écologique, c’est tout de même un jeu vidéo. Et dans son genre, il est excellent. Sur la partie gameplay, rien de nouveau sous le soleil. On est face à un VN tout ce qu’il y a de plus classique et de plus fonctionnel, avec ses embranchements, ses choix de dialogues, ses logs qui permettent de se remémorer une conversation : c’est simple et efficace – et on ne peut s’empêcher de constater à quel point Disco Elysium a eu une influence sur la manière de présenter des dialogues. Tout juste regretterons-nous un système de gestion de ressources et d’expéditions un peu vain et téléphoné. Ça ne plombe en aucun cas le jeu, et la mécanique pourra influencer certains choix, mais elle n’apporte finalement pas grand-chose. Quitte à ajouter une brique de gameplay dans un visual novel, elle aurait pu avoir plus d’impact.
Ce qui a de l’impact, en revanche, c’est le travail des artistes derrière le titre. Visuellement, c’est encore une fois sublime. Les précédents titres du studio étaient déjà magnifiques, tant au niveau des compositions des tableaux, que de la direction artistique ou du choix des couleurs, et les illustrations d’End of Lines bénéficient du même soin – même si elles représentent des scènes autrement plus choquantes et déprimantes que celles d’un Across the Grooves. Il en est de même pour la musique, plus en retrait que dans la précédente production de Nova-box, mais qui propose tout de même quelques thèmes assez efficaces et qui tombent à point nommé.
Mais la véritable réussite du titre, c’est son écriture. C’était peut-être ma principale réserve face à Across the Grooves, dont je trouvais l’histoire sympathique, mais les dialogues parfois trop écrits et un peu artificiels. Cette impression disparait complètement dans End of Lines : c’est, avec le récent To Hell with the Ugly, un des jeux français les mieux écrits qu’il m’ait été donné de parcourir. Que ce soit dans le drame, l’humour, les scènes de vie quotidienne ou les flashbacks, les répliques tombent toujours juste et sont toujours crédibles. On s’attache ainsi énormément aux personnages, principaux comme secondaires, et on s’implique (parfois un peu trop, pour ma part) dans leur développement. La narration fonctionne d’autant plus que le système de moralité – qui détermine certains embranchements et les différentes fins – est loin d’être manichéen, et abandonne la dichotomie de bonnes et mauvaises réponses, pour se concentrer sur un système de personnalités archétypales. Le jeu ne juge ainsi jamais complètement les choix de nos personnages : quand il s’agit de survivre dans un monde en ruines, les compas moraux sont sévèrement éprouvés.
End of Lines a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PC et Mac.
Loin d’être une fable écolo un peu cucul, End of Lines met les mains dans le cambouis en nommant frontalement les responsables d’une catastrophe à venir et en montre les conséquences écologiques et humaines sans prendre de gants. Le résultat ne laisse pas indemne, et chamboule autant avec ses angoisses climatiques qu’avec ses drames humains. Bien qu’assez court pour son prix de 17 € (à peine trois heures pour une première run, mais les embranchements lui offrent une assez bonne rejouabilité), son écriture fine et subtile, son propos, ses personnages, ses illustrations et sa bande-son en font un des incontournables de la scène indé française actuelle et confirment le talent de Nova-box à raconter et mettre en scène des histoires passionnantes et engagées.
Les + | Les - |
- Visuellement magnifique | - La mécanique de gestion de ressources est sous-exploitée |
- Traite avec sérieux et subtilité la question du réchauffement climatique | |
- Scénario, personnages et dialogues très bien écrits |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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